24 mai 2023 – résumé du séminaire présenté par l’Incubateur européen
En 2019, la Commission Européenne a lancé le « Pacte vert pour l’Europe » (« European Green Deal »), un vaste programme visant à faire de l’Europe, dès 2050, le premier continent au monde à être neutre pour le climat.
L’Incubateur Européen du Barreau de Bruxelles se devait de se faire l’écho du changement de paradigme qu’opère le Pacte vert et sa mise en œuvre et de familiariser la communauté juridique aux enjeux, défis mais aussi opportunités de la mise en œuvre de ces politiques. C’est pourquoi il a consacré au Pacte vert sa dernière après-midi d’études, tenue le 24 mai 2023 en présentiel et par zoom, en 3 langues (français, néerlandais et anglais).
Au cours de cette après-midi, l’Incubateur a eu le plaisir et l’honneur de pouvoir bénéficier de la participation d’orateurs prestigieux qu’ils soient académiques, praticiens du droit ou experts.
Après une introduction scientifique brossant un tableau général, ont été abordés plusieurs thèmes répartis sur deux axes principaux, d’une part l’impact du green deal numérique sur le droit et les modèles économiques, regroupant trois sujets « Technologies de l’Information Durables et Technologies de l’Information Vertes. Défis et Opportunités », « Publication d'Informations en matière de Durabilité par les Entreprises » et « L’Impact de l’IA Générative sur la Profession Juridique » et, d’autre part, un modèle de gestion fondé sur des valeurs : comment créer (et développer) un « impact law practice ».
Chacune des interventions fut riche d’enseignement et l’Incubateur remercie chaleureusement chacun des orateurs. L’objectif de ce bref article n’est toutefois pas de faire un tour d’horizon de l’intégralité du programme mais de donner une simple vue d’ensemble du sujet abordé.
Ecologie et numérisation semblent frères ennemis vu l’impressionnante empreinte carbone résultant de l’intense consommation énergétique que requiert le digital.
Dès l’origine, la Commission Européenne a toutefois perçu que l’essor du numérique était essentiel pour atteindre les objectifs de durabilité qu’elle visait et que la transformation radicale qu’elle envisageait dans le cadre du Pacte vert requérait aussi de promouvoir la transformation numérique et d’y investir, en tant que catalyseur essentiel du changement. Elle s’est donc engagée dans la voie de la nécessaire transition numérique, en veillant à ce que protection de l’environnement et numérisation marchent de concert et soient source d’enrichissement mutuel.
Trois ans et demi après la publication de la Communication de la Commission, plusieurs réglementations clés ont d’ores et déjà été modifiées ou adoptées. Peuvent être cités, parmi d’autres, la loi climat européenne (Règlement n° 2021/1119 du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité carbone), ou, très récemment, la réforme du marché carbone comprenant notamment la réforme du Système d'échange de quotas d'émission de l'UE (Règlement n° 2023/957 et directives n° 2023/958 et n° 2023/959), le vote du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (Règlement n° 2023/956 du 10 mai 2023 établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières), et la mise en place du fonds social pour le climat d’approximativement 85 milliards d’euros (Règlement n° 2023/955 du 10 mai 2023 instituant un Fonds social pour le climat).
Les avancées de l’Union Européenne dans ces domaines, même si certaines initiatives ne sont pas couronnées de succès, impactent notre vie quotidienne en tant que citoyens mais aussi en tant que praticiens du droit.
Que ce soit en tant que citoyens, en tant que conseils, opérateurs économiques ou utilisateurs de nouvelles technologies, les avocats ne peuvent se tenir à l’écart et doivent, eux aussi, apporter leur pierre à la construction de ce monde nouveau imaginé par l’Union Européenne.
En tant que praticiens du droit, la double transition poursuivie par la Commission ne peut nous laisser indifférents : en notre qualité de conseils d’entreprises dont les activités et les obligations se verront nécessairement affectées par les diverses mesures législatives prises dans le cadre de la mise en œuvre de l’ambitieux projet de l’Union Européenne, nous ne pouvons rester à l’écart. Ainsi la directive (UE) 2022/2464, dite « CSRD » (Corporate Sustainability Reporting Directive), qui s’appliquera progressivement à compter du 1er janvier 2024 et dont l’objectif principal est d’harmoniser le reporting de durabilité des entreprises et d’améliorer la disponibilité et la qualité des données ESG publiées va obliger de nombreuses entreprises à fournir des informations précises et standardisées sur leur impact écologique et social. Il nous incombe de les éclairer sur leurs obligations et les accompagner dans leur prise de conscience et dans leur action. Ces mesures s’appliquent d’abord et avant tout aux avocats, conseillant de grandes entreprises
Mais le Pacte européen n’est pas l’affaire que des grosses entreprises.
C’est ce que rappelait notamment Pauline Musso, cheffe de projet chez CODUCO srl, une entreprise de consultance dans le domaine de la durabilité. Avec l’aide de la Région bruxelloise, cette société accompagne gratuitement, les entreprises bruxelloises désireuses de travailler sur leurs achats et d’adopter une politique d’achat durable à réaliser leur transition économique et écologique et à mettre en place d’une politique d’achat durable.
En tant qu’opérateurs économiques et grands utilisateurs de nouvelles technologies, nous, les avocats, sommes également concernés dans notre propre activité, dès lors que l’attractivité de nos cabinets, par exemple à l’égard de clients comme de candidats collaborateurs, se mesure de plus en plus à l’aune de leur capacité à tenir compte dans leur organisation, des nouveaux impératifs environnementaux. Comme l’exposait Me François Boden, la taille du cabinet importe peu : petite ou grande, toute structure peut faire choix d’œuvrer à la réalisation des objectifs du Pacte vert, que ce soit par conviction personnelle, comme ce fut son cas, ou par souci de positionnement concurrentiel, critère retenu en particulier par les cabinets de niche, comme le soulignait le Professeur Vincent Lion.
Au détour des interventions, quelques surprises par rapport à ce dont les media se font l’écho : c’est ainsi que le Professeur Hervé Jeanmart (Président de l’IMMC à l’UCL) a souligné que la surconsommation énergétique était moins le fait du secteur industriel que … des ménages mais aussi que les ‘solutions’ qu’on nous vend sont en fait impuissantes à réduire les excès : pompe à chaleur, panneaux solaires, etc. mais aussi énergie renouvelable ne sont que des emplâtres sur une jambe de bois. En réalité, est en cause notre volonté : sommes-nous ou non disposés à changer notre mode de vie ?
A titre d’exemple de ce qu’il faut changer, Patrick Devis (directeur des ressources humaines de Belfius) citait le comportement étonnant de nombreux clients qui consultent leurs comptes de très nombreuses fois leur compte en ligne sans réelle nécessité et qui obligent la banque à opérer des compensations si elle veut respecter ses objectifs éthiques en matière d’environnement.
Se pose bien évidemment la question du contrôle du respect des normes imposées et de la sanction de leur éventuelle violation. La Professeure Régine Feltkamp, qui a mis au point la plateforme lawbackontrack.be, avec le Professeur Ludo Cornelis, a souligné la nécessité de revoir, changer et remodeler notre mode de vie et nos activités et, pour ce faire, de donner au droit et à la justice la fonction régulatrice qui leur permettrait de répondre, de manière efficace et efficiente, à toutes les perturbations sociétales auxquelles nous sommes confrontés aujourd'hui. L’autonomie de la liberté ne peut prévaloir sur des règles visant le bien commun, comme elle le fait trop souvent aujourd’hui. Ainsi, il est inacceptable, selon la Professeure Feltkamp, que des règles d’ordre public se voient appliquées de manière restrictive et qu’ainsi leur violation se voit sanctionnée par de simples amendes ou des peines administratives.
De manière globale, comme l’a souligné le Professeur Norman Vander Putten, le Pacte vert pour l’Europe marque un tournant majeur dans l’histoire de l’Union Européenne. Il établit sinon un changement de paradigme en tout cas le passage d’une phase de l’intégration européenne à une autre : des objectifs environnementaux forts, des cibles chiffrées et placées dans le temps. Tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes pour autant et certains échecs doivent être constatés, telle la réforme de la politique agricole commune dont les scientifiques questionnent la capacité de permettre d’atteindre les objectifs du Pacte vert en matière d’alimentation, outre les récents appels à des « pauses réglementaires » environnementales.
Enfin, certaines interrogations se font jour quant à la cohérence interne du projet européen et aux objectifs de croissance que fixe le Pacte : le progrès aujourd’hui doit-il se concevoir en termes de croissance ou de résilience ?
Bref, le grain à moudre n’a pas manqué et nul doute que les enseignements de cette après-midi ne suscitent encore bon nombre de discussions.
Vinciane Gillet,
Présidente de l’Incubateur européen