La directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité – l’Europe mise sur une transition juste

Introduction

La Directive (UE) 2024/1760 du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité[1], que l’on identifie souvent sous son acronyme anglais ‘CSDDD’, est une directive qui révolutionne l’organisation des grandes entreprises (pour parler anglais, c’est un « game changer »). Cette directive ne sera pas sans effet sur les PME, encore moins que CSRD[2].

CSRD concerne les informations en matière de durabilité. L’entreprise soumise à CSRD doit faire rapport en tenant compte de toute sa « chaîne de valeur », c’est-à-dire également de l’activité de ses fournisseurs, par exemple de services juridiques. Cette fois, il ne s’agit plus que de faire rapport. CSDDD oblige une entreprise concernée à l’action si elle constate qu’elle exerce, directement ou à travers sa « chaîne d’activités »[3], une incidence négative sur son milieu humain (droits de l’homme, droits sociaux) ou naturel (pollution, climat). Si cette entreprise a recours de façon régulière à des services juridiques d’avocat, elle pourrait devoir vérifier que son avocat habituel respecte ces mêmes règles.

Cette action attendue de l’entreprise est appelée « vigilance » par CSDDD. Il s’agit d’un processus qui est longuement détaillé dans un guide de l’OCDE de 2018[4] qui est devenu une référence dans le domaine. Ce processus peut être résumé comme ceci : l’entreprise ‘vigilante’ doit

  • disposer de politiques (règles de conduite) adéquates en vue de contribuer à la transition vers une économie durable (c’est-à-dire neutre climatiquement, moins polluante et respectueuse des droits sociaux et humains),
  • identifier et évaluer les incidences négatives des activités de l’entreprise en termes de durabilité,
  • faire cesser, prévenir ou atténuer ces incidences négatives,
  • suivre la mise en œuvre des politiques et de leurs résultats,
  • Communiquer à ce propos,
  • Permettre l’expression de dénonciations (lanceurs d’alerte) ou de plaintes par ceux qui s’estimeraient victimes d’une violation des droits visés par la directive, et
  • Réparer les dommages qu’elle a causé ou contribué à causer.

Être vigilant, au sens de CSDDD, ce n’est pas seulement être attentif, mais c’est aussi prévenir, limiter et réparer les dégâts dont l’entreprise est la cause, directe (ses propres activités) ou indirecte (l’activité de ses filiales ou de ses partenaires directs ou indirects dans sa chaîne d’activités).

CSDDD s’inscrit dans un mouvement de fond : la transition vers une économie durable

Au cours de ces dernières années, une jurisprudence de common law a attiré l’attention sur l’obligation des entreprises qui disposent d’une certaine puissance d’être vigilantes sur toute leur chaîne de valeur, depuis l’endroit où la matière première est extraite (pour Shell dans le delta du Niger le pétrole) jusqu’au démantèlement d’un vieux navire tout pourri sur la plage de Chittagong au Bangladesh (affaire Begum v/ Maran à Londres), en passant par la combustion du pétrole vendu par Shell, TotalEnergies ou une autre grande firme pétrolière à leurs consommateurs[5]. Je renvoie à ma contribution écrite avec le professeur Xavier Thunis sur le sujet[6].

Le devoir de vigilance, tel qu’il est consacré par la directive, trouve sa source d’inspiration dans deux instruments de soft law à l’attention des entreprises :

  • Les « Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme : mise en œuvre du cadre de référence "protéger, respecter et réparer" des Nations Unies » (2011) (acronyme anglais : UNGP) qui a créé cette obligation (morale) des entreprises de veiller au respect des droits de l’homme dans toute la chaîne de valeur[7],
  • Les « Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprise multinationales sur la conduite responsable des entreprises » (adoptés en 1976 et modifiés pour la dernière fois en 2023)[8]; ces principes directeurs sont accompagnés du « Guide sur le devoir de diligence » publié en 2018 et déjà cité en note 4.

Alors que les UNGP ne concernent que les droits de l’homme, les Principes directeurs de l’OCDE concernent également l’environnement, le climat, les droits sociaux, les droits des consommateurs, la corruption, la concurrence et la fiscalité. Les Principes directeurs de l’OCDE ont un champ d’application plus large que CSDDD, qui est limitée aux droits de l’homme, aux droits sociaux, au droit de l’environnement et à l’atténuation du changement climatique.

Tant les UNGP que les principes de l’OCDE engagent les États à mettre en place un système efficace pour assurer le respect de ces principes par leurs entreprises. Par défaut, ces principes ne sont que du « soft law », même s’ils traduisent un consensus international sur ce qui doit être respecté par les entreprises pour se diriger vers cette indispensable économie durable avant qu’il soit trop tard.

Certains États ont pris tout cela très au sérieux et ont mis en place une législation qui mettait en œuvre l’un ou l’autre des principes des UNGP. C’est ainsi notamment que le Royaume Uni a adopté en 2015 un « Modern Slavery Act », que la France a adopté la loi du 27 mars 2017 relative au « devoir de vigilance » et que l’Allemagne, voyant venir l’initiative de la Commission européenne poussée par la France dont les entreprises ne voulaient pas rester seules à devoir être vigilantes, a adopté en 2021 une loi sur la « diligence raisonnable dans la chaîne d’approvisionnement » (LkSG).[9]

Si le « Modern Slavery Act » a frappé les esprits, mais reste d’application territoriale et s’il a abouti à un certain nombre de condamnations pénales dans le domaine du trafic d’êtres humains[10], il ne répond pas à l’ensemble des préoccupations que les UNGP veulent rencontrer.

La loi française a elle aussi frappé d’abord parce qu’elle a été adoptée de façon presque subreptice alors qu’elle était susceptible d’avoir un effet massif sur la conduite des affaires par les plus grandes entreprises actives en France. Une fois adoptée la loi sur le devoir de vigilance, il était politiquement impossible de faire marche arrière, parce que cette loi ne fait que transposer en droit national des engagements internationaux pris par la France comme par les autres pays de l’OCDE. Cependant, aucun décret d’application n’est venu compléter cette loi, dont le texte tient en un peu plus d’une page A4. Son principal défaut, c’est que le contrôle de sa mise en œuvre repose entièrement sur des initiatives d’ONG qui interpellent les entreprises ou par le contentieux judiciaire, ce qui n’est pas formidable pour la sécurité juridique, les juges se montrant tantôt audacieux, tantôt inquiets et excessivement retenus. Contrairement à ce que certains avaient craint, il n’y a pas eu une avalanche de procès. Le contentieux est somme toute assez restreint (une vingtaine de procès) mais ses résultats sont maigres à ce jour.

La loi allemande LkSG de 2021 est entrée en vigueur en 2023[11] et est encadrée par une autorité administrative qui publie des guides et prodigue des conseils à ses administrés. Elle peut également sanctionner les manquements à la loi, mais pour l’instant, elle se concentre sur l’accompagnement.[12]

Champ d’application de CSDDD

Le champ d’application personnel de CSDDD concerne trois types d’entités ou de groupes :

  • les entreprises européennes (ou les sociétés mères d’un groupe d’entreprises) qui occupent plus de 1.000 salariés au cours de la dernière année et un chiffre d’affaires supérieur à 450 millions d’euros,
  • les entreprises qui ont conclu un accord de licence ou de franchise qui leur rapporte des redevances d’au moins 22.500.000 euros et un chiffre d’affaires d’au moins 80 millions d’euros, et
  • les entreprises de pays tiers qui répondent aux mêmes chiffres en termes de chiffre d’affaires et de redevances le cas échéant (le nombre de salariés est indifférent).

En Belgique, le terme « entreprise » vise essentiellement les SA, SRL et SC d’une part, et les entreprises financières réglementées d’autre part, c’est-à-dire essentiellement les banques et les compagnies d’assurance.

En Belgique, selon un décompte, 198 entreprises ou groupe d’entreprises seraient concernées.[13]

Sur quels droits de l’homme porte l’obligation de vigilance ?

Tous les droits de l’homme sont en principe concernés par le devoir de vigilance, mais la définition précise des droits ou obligations des entreprises à cet égard sont identifiés en fonction d’une liste d référence à des instruments internationaux qui se trouve en première partie d’une annexe de la directive. Il faut noter que tous ces instruments s’adressent en principe aux seuls Etats.

Ainsi, l’entreprise doit faire en sorte que soit respecté « 8. … le droit de l’enfant d’être protégé contre l’exploitation économique et de n’être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son éducation … » (articles 24, 27, 28, 32, 34 et 35 de la convention relative aux droits de l’enfant) ».

Le point 15 de cette partie de l’annexe est intéressant car il reconnait qu’une atteinte à l’environnement peut constituer une violation de droits de l’homme, ainsi que notamment l’arrêt SHELL du 12 novembre 2024 et l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 9 avril 2024[14] l’ont consacré.

La partie 2 de l’annexe vise ponctuellement la violation de certaines dispositions de conventions internationales dans le domaine de l’environnement.

Ainsi, le premier instrument visé est la Convention cadre de 1992 sur la diversité biologique : l’entreprise a « 1. L’obligation d’éviter ou de minimiser les effets défavorables sur la diversité biologique, interprétée conformément à l’article 10, point b, de la Convention de 1992 sur la diversité biologique … ». Etonnamment, la Convention cadre de 1992 relative au changement climatique n’est pas visée. Le climat n’entre pas dans le régime général du devoir de vigilance mais est soumis à un régime spécial, nous le verrons.

La partie 2 vise la Convention sur le droit de la mer, mais uniquement son article 210 relatif aux « pollutions par immersion ». Tous les autres types de pollution sont apparemment exclus. C’est curieux, d’autant plus qu’un avis récent du Tribunal international du droit de la mer[15] consacre à son tour le fait que l’émission de gaz à effet de serre provoque une pollution marine dangereuse que les États membres ont l’obligation de prévenir.

« Chaine d’activité » versus « chaine de valeur »

La directive ne s’applique qu’à la « chaîne d’activité », concept nouveau inventé pour les besoins de la cause. C’est une grande déception, et cela fait de la directive une directive manifestement incomplète en ce qui concerne l’encadrement des obligations de vigilance des sociétés pour contribuer à un monde plus durable. Il est évident que les grandes marques disposent d’un pouvoir d’influence significatif sur leur consommateur et il serait bon qu’elles l’emploient pour favoriser la durabilité.

Suite au prochain épisode, puisque la Commission est chargée d’évaluer si cette restriction doit être revue après les premières années de mise en œuvre.

Quoi qu’il en soit, la directive ne limite pas la responsabilité des entreprises, elle ne fait qu’encadrer ce qui entre dans son champ d’application.

Processus de vigilance : ne pas faire des usines à gaz mais un centre de développement !

L’objectif est essentiellement la mise en place de mécanismes de prévention des incidences négatives sur la chaîne d’activités.

Par défaut, l’entreprise devra réparer ces incidences négatives soit en installant des mécanismes préventifs adéquats, soit en indemnisant les victimes ou en restaurant l’environnement.

La communication annuelle de l’état de la situation permettra aux parties prenantes, le cas échéant, de faire valoir leurs griefs si elles sont négligées ou affectées par l’entreprise.

Le dialogue avec les parties prenantes est en principe un élément essentiel du devoir de vigilance. Mais c’est compliqué, quand on a été formé dans une business school pour faire de l’entreprise une machine à sous, d’en faire un instrument non seulement rentable, mais également durable, c’est-à-dire soucieux de son environnement social et naturel.

Outils pour l’exercice de la vigilance

Il existe déjà, en Belgique, un site internet pour aider les PME à s’en sortir lorsqu’elles veulent faire un exercice de « vigilance » sur leur chaîne de valeur.[16]

L’Europe développe également un tel outil.[17]

D’autres outils seront développés par la Commission européenne et par les autorités des États membres pour faciliter le travail des entreprises.

Vigilance climatique

La vigilance climatique est traitée à part, ce qui s’explique probablement par la peur des entreprises de voir le contentieux climatique les frapper définitivement, ce qui est une erreur.

Une chose est certaine en tout cas, les entreprises concernées doivent établir un plan de transition climatique conforme à l’accord de Paris. C’est écrit noir sur blanc.

Qu’est-ce que cela veut dire, puisqu’on pensait que l’accord de Paris n’était pas liant pour les États membres (ils devaient faire preuve d’ambition et d’augmenter à chaque COP dédiée leur ambition …). Il semble en réalité que cet accord a un effet cristallisant, à défaut d’être liant, puisque tant l’arrêt belge de la Cour d’appel du 30 novembre 2023 dans Klimaatzaak[18] que l’arrêt de la CEDH du 9 avril 2024 se réfèrent aux rapports du GIEC et à cet accord pour identifier un consensus international quant au niveau d’obligation des États en matière climatique.

Traduire cette obligation au niveau des entreprises n’ira pas de soi, ainsi que l’arrêt de la cour d’appel de La Haye du 12 novembre 2024 le constate. Mais c’est une autre histoire. La seule précision que nous donne la directive, c’est qu’il s’agit pour l’entreprise d’une obligation de moyens, comme pratiquement pour toutes les obligations qui découlent du devoir de vigilance.

Le plan climat doit fixer des objectifs précis et des échéances, en 2030 et ensuite tous les 5 ans jusqu’en 2050, date à laquelle l’Europe doit être neutre en carbone.

Le plan climat doit intégrer toute la chaîne de valeur, scope 1, 2 et 3.

Scope 1, 2 et 3 : de quoi parle-t-on ?

Le scope 1, dans le jargon du GreenHouse Gaz Protocol[19] qui est le référentiel universellement reconnu pour le calcul de l’empreinte carbone, c’est les gaz à effet de serre émis par l’entreprise elle-même (ses bureaux, sa ou ses voitures, ses machines, …).

Le scope 2, c’est les gaz à effet de serre émis par les fournisseurs d’énergie externe : s’il s’agit de centrales à charbon, c’est beaucoup de gaz à effet de serre, si c’est une centrale nucléaire, c’est presque rien.

Le scope 3, c’est tout le reste et notamment les gaz à effet de serre émis à l’occasion de l’utilisation ou de la consommation du produit de l’entreprise.

Je vous rappelle que le CCBE travaille sur cette problématique, parce qu’évidemment les avocats ont un rôle exemplaire à jouer dans ce domaine.[20] Pour un cabinet d’avocats, faire le calcul de son empreinte carbone, ce n’est pas grand-chose. Par contre, établir un trajet de réduction pour se conformer à l’accord de Paris, c’est une autre paire de manches.

Autorités de contrôle du devoir de vigilance

L’un des axes centraux de cette directive, c’est finalement la mise en place d’autorités de contrôle chargées de surveiller la mise en œuvre par les entreprises de leurs obligations. Dans un premier temps, il est certain que leur rôle consistera surtout à clarifier les textes, à publier des guides et à assister les entreprises à se saisir de ces instruments nouveaux.

Les autorités de contrôle auront des pouvoirs d’investigation, pourront émettre des injonctions et, en cas de manquement, prononcer des amendes administratives sévères. Elles pourront également recevoir des plaintes de la part d’intéressés ou d’organisations de défense.

Responsabilité pour non-conformité à CSDDD

L’article 29 impose que les manquements au devoir de vigilance entrainent la responsabilité de l’entreprise responsable, pour autant qu’elle ait causé elle-même un manquement aux obligations de la directive ou qu’elle ait contribué à un tel manquement à travers sa chaîne d’activités.

Si elle n’a ni causé ni contribué au dommage, mais qu’elle est liée à l’auteur du dommage, elle devra utiliser son pouvoir d’influence pour que ce dommage soit réparé et qu’il ne se reproduise plus, sans pouvoir être tenue personnellement responsable.

La différence entre « contribuer » au dommage et « être lié à l’auteur du dommage » est fine et je renvoie à mon texte écrit pour de plus amples explications.

Schématiquement, cela donne ceci[21] :

1

L’article 29 de la directive contient diverses précisions :

  • dès lors que la responsabilité de l’entreprise est engagée, elle doit réparer l’intégralité du dommage ;
  • le délai de prescription ne peut être inférieur à 5 ans ;
  • il doit être possible d’agir en référé pour demander une suspension ou une injonction ;
  • le régime de la preuve doit être assoupli pour permettre aux plaignants d’avoir accès aux documents pertinents de la société responsable ;
  • le droit commun de la responsabilité n’est d’aucune manière réduit par la directive ;
  • le système national qui transpose le régime de responsabilité de la directive doit être considéré comme impératif (ce qui est problématique pour les sociétés étrangères, dont le droit national ne transpose évidemment pas la directive).

Devoir de vigilance et risques systémiques

Dernière remarque concernant ce qui sera probablement un point délicat à l’avenir : le devoir de vigilance d’une entreprise, qui vise à contribuer à une économie plus durable, doit nécessairement prévenir dans toute la mesure du possible la faillite de l’entreprise, principalement lorsque cette entreprise a un passif écologique important.

Il conviendra à cet égard de s’inspirer du système de la résolution bancaire, qui impose aux banques d’être structurées en telle sorte qu’en cas de défaillance, les actionnaires absorbent effectivement les pertes, pour faire mentir le principe économique dominant selon lequel « les profits sont privatisés tandis que les pertes sont socialisées ». Ce sont des économistes très sérieux comme Jean Tirole et Paul De Grauwe qui citent ce triste principe qui devrait faire partie d’un autre âge, un âge dans lequel la durabilité n’avait pas encore de sens juridique.

Transposition – entrée en vigueur

La directive devra être transposée d’ici au 26 juillet 2026. Elle entrera en vigueur en trois phases entre 2027 et 2029 (article 37, paragraphe 1er, alinéa 2 de la directive) :

  • à partir du 26 juillet 2027 pour les entreprises comptant plus de 5.000 salariés en moyenne et qui ont généré un chiffre d’affaires net mondial de plus de 1.500.000.000 EUR au cours du dernier exercice précédent cette date.
  • à partir du 26 juillet 2028 pour les entreprises comptant plus de 3.000 salariés en moyenne et qui ont généré un chiffre d’affaires net mondial de plus de 900.000.000 EUR au cours du dernier exercice précédent cette date.
  • à partir du 26 juillet 2029 pour les autres entreprises qui entrent dans le champ d’application de la directive.

La Commission fera rapport sur une première application de la directive en 2030.

Les Pays-Bas ont déjà entamé leurs consultations internes en vue de cette transposition[22], nonobstant l’intention exprimée par la nouvelle présidente de la Commission européenne d’amender cette directive ainsi que CSRD et le Règlement Taxonomie afin de rencontrer des plaintes exprimées par certains milieux professionnels.

Conclusion

La directive CSDD est une victoire de l’Europe sur elle-même. D’un simple « marché commun », elle développe une ambition de se réconcilier avec la nature et de créer des liens solides avec les entreprises situées dans les états en développement, qui sont la source d’une bonne partie de sa prospérité.

Il faut encore que CSDDD soit mise en œuvre de façon efficace et harmonieuse dans une économie stable et compétitive.

Les défis sont immenses. Ils requièrent de renoncer à certaines habitudes ancrées dans un individualisme étriqué et de créer de nouvelles habitudes fondées sur un individualisme relationnel dans lequel la compétition jouera un rôle moins central, simplement pour rendre ce monde habitable par tous dans des conditions justes.

Jean-Marc Gollier, 
Avocat au barreau de Bruxelles

[1] Directive (UE) 2024/1760 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937 et le règlement (UE) 2023/2859, JO L du 5.7.2024, ELI: http://data.europa.eu/eli/dir/2024/1760/oj

[2] Sur cette directive, j’ai rédigé un court commentaire pour la Tribune il y a un peu moins d’un an : « La directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité (« CSRD ») » (lien : https://latribune.avocats.be/fr/la-directive-relative-a-la-publication-d-informations-en-matiere-de-durabilite-csrd)

[3] Noter l’incohérence pas seulement terminologique entre les deux directives : la « chaîne de valeurs » vise toute la chaîne depuis l’extraction de la matière première jusqu’à la consommation du produit ou l’élimination du produit devenu déchet tandis que la « chaîne d’activités » ne vise, en règle, que la chaîne de production. Il y a manifestement une demi-mesure à imposer à une entreprise de n’être vigilante que de ses conditions de production, mais d’être indifférente aux conséquences de la consommation ou de l’élimination du déchet. Soyons de bon compte : une demi-mesure est mieux que pas de mesure du tout.

Mais n’oublions pas qu’il reste du chemin à faire pour une entreprise qui veut être complètement durable. Si une marque de soda bien connue vend sa boisson dans des bouteilles en plastique parce que c’est moins cher, le déchet (la bouteille vide à jeter) est problématique : ne pas s’en sourcier pourrait être fautif, au sens de notre droit de la responsabilité, indépendamment de CSDDD.

[4] OCDE (2018), Guide OCDE sur le devoir de diligence pour une conduite responsable des entreprises, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/a9375127-fr

[5] La cour d’appel de La Haye vient de confirmer, le 12 novembre 2024, que Shell devait se soucier de la consommation de ses produits par ses consommateurs, qu’elle ne pouvait pas considérer que ce n’est pas son affaire (https://uitspraken.rechtspraak.nl/details?id=ECLI:NL:GHDHA:2024:2099, lire en particulier le point 7.99 de l’arrêt).

[6] X. Thunis et J.-M. Gollier, « Devoir de vigilance des entreprises : vers une « responsabilité sociétale des entreprises » juridiquement obligatoire » in F. Haumont et J. Sambon (dir.), L'environnement, le droit et le magistrat, Mélanges en l’honneur de Benoît Jadot, Bruxelles, Larcier, 2021, p. 315-352.

[7] Document du Conseil des droits de l’homme de l’ONU coté HR/PUB/11/4, disponible à l’adresse : https://digitallibrary.un.org/record/720245?v=pdf

[8] OCDE (2023), Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales sur la conduite responsable des entreprises, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/0e8d35b5-fr

[9] On peut encore ajouter aux Pays-Bas la ‘Wet Zorgplicht Kinderarbeid’ (2019) qui n’est jamais entrée en vigueur, aux USA le ‘Uyghur Forced Labor Prevention Act’ (2021) qui interdit d’importer des produits pour lesquels des prisonniers Ouigour auraiet été forcé de travailler et en Norvège le ‘Åpenhetsloven’ (2022).

[10] Voir l’exposé fait par le site Wikipedia : https://en.wikipedia.org/wiki/Modern_Slavery_Act_2015

[11] Une présentation en français de cette loi par son autorité de contrôle est disponible sur le site https://www.bafa.de . On notera que le chancelier allemand Olaf Scholz a annoncé fin octobre 2024 sa volonté de faire "disparaître" la loi sous la pression de son industrie (https://www.spiegel.de/wirtschaft/kanzler-olaf-scholz-ueber-lieferkettengesetz-das-kommt-weg-a-de1e8128-043a-47d1-8ab1-fe5d8f20d994).

[12] H.-J. de Kluiver, « Towards a Framework for Effective Regulatory Supervision of Sustainability Governance in Accordance with the EU CSDD Directive. A Comparative Study », ECFR 2023, pages 203 à 239.

[13] European Coalition for Corporate Justice (May 2024), Overview of the Corporate Sustainability Due Diligence Directive.

[14] Lien vers l’arrêt de la CEDH : https://hudoc.echr.coe.int/eng/?i=001-233258; commentaire de l’IFDH : https://institutfederaldroitshumains.be/fr/arret-historique-de-la-cour-europeenne-des-droits-de-lhomme-linaction-climatique-viole-les-droits; cet arrêt a fait l’objet d’un commentaire au JT du 30 novembre 2024 : C. Bertaux et C. Jadot, « Le contentieux climatique est aussi, et enfin, un contentieux strasbourgeois », JT, 2024, p. 689-701.

[15]https://www.itlos.org/fileadmin/itlos/documents/cases/31/Advisory_Opinion/A31_avis_cons_21.05.2024_orig.pdf

[16] Site belge d’accompagnement des PME : https://www.duediligencetoolbox.be/fr ; voy. également l’outil développé par l’Institut fédérale du développement durable : https://business-humanrights.be/ ; aux Pays-Bas, un site très pratique existe également : https://www.mvorisicochecker.nl/

[17] Le site européen renvoie essentiellement à d’autres outils européens ou extra-européens existants : https://single-market-economy.ec.europa.eu/sectors/raw-materials/due-diligence-ready/due-diligence-toolbox_en

[18] Arrêt commenté au JT: A. Briegleb et A. De Spiegeleer, « Klimaatzaak en appel; tour d’horizon d’un arrêt hors du commun », JT, 2024, p. 702-711. Cet arrêt est actuellement soumis à cassation, sur recours de la Région flamande.

[19]https://ghgprotocol.org/

[20] Voir la « déclaration initiale du CCBE sur le changement climatique » du 16 février 2023 : https://www.ccbe.eu/fileadmin/speciality_distribution/public/documents/ENVIRONMENT_AND_CLIMATE_CHANGE/ENVCC_Statements/FR_ENVCC_20230216_Declaration-initiale-du-CCBE-sur-le-changement-climatique.pdf

Voir également le rapport d’empreinte climatique du CCBE, en exécution de cette déclaration initiale : https://www.ccbe.eu/fileadmin/speciality_distribution/public/documents/ENVIRONMENT_AND_CLIMATE_CHANGE/ENVCC_Carbon_Footprint/2023/FR_2023_-CCBE-Carbon-Footprint-Report.pdf

[21] Ce graphique est inspiré de celui proposé par l’OCDE (2018), Guide OCDE sur le devoir de diligence pour une conduite responsable des entreprises, p.80.

[22] Projet intitulé « Wet internationaal verantwoord ondernemen », consultation et documents liés disponibles sur le site du gouvernement hollandais : https://www.internetconsultatie.nl/wivo/b1

A propos de l'auteur

Jean-Marc
Gollier
Président du comité environnement et changement climatique du CCBE

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