Introduction à l’art de la plaidoirie, par Thierry Hirsch, avec la collaboration de Gaston Vogel, Luxembourg, Promoculture - Larcier, 2018, 274 p., 77 €.
L’art de la parole n’est pas une question de simple ornement dans une salle d’audience comme d’aucuns le pensent : c’est une arme. Savoir plaider signifie savoir rendre claires des affaires parfois très complexes, savoir émouvoir et savoir rappeler à tous ceux présents que nous sommes tous hommes et qu’en chacun de nous le bon et le mal se confrontent. Pour de nombreuses questions … la simple connaissance des textes de loi s’avèrent insuffisante. L’avocat idéal n’est donc pas seulement maître en droit ; il est également maître en l’art de la parole et sait faire des développements sur le plan philosophique.
Thierry Hirsch est docteur des lettres classiques de l’Université d’Oxford et spécialiste de la théorie antique de la rhétorique judiciaire. Il nous livre un petit manuel de la plaidoirie en deux parties.
La première, finalement assez courte (une petite septantaine de pages) synthétise les enseignements des grands maîtres antiques de l’éloquence : Anaximène, Aristote, Hermogène, Cicéron et Quintilien.
Des trois types de discours que retient Aristote (judiciaire, délibératif et démonstratif), seul le premier, bien sûr, retient son attention. Sont alors distingués les « états de la cause » (constitutio chez Cicéron, status chez Quintilien) : on plaide en fait (status rationales) ou en droit (status legales), avec, bien sûr de nombreuses variantes (s’agit-il de nier l’imputabilité du crime, de discuter sa qualification, de présenter des éléments de justification ou d’excuse, de solliciter l’indulgence, de reporter la responsabilité sur autrui, voire de contester la compétence - ou la légitimité : ce sont les procès de rupture - du tribunal… ?).
Puis viennent les étapes de la construction du discours : inventio, dispositio, elocutio, memoria, pronuntiatio. Le chapitre consacré à l’elocutio est particulièrement intéressant avec l’énumération des figures de style qui sont à la disposition de l’orateur. L’auteur en expose plus de trente, de la métaphore à la prétérition, en passant par l’antonomase, la geminatio, l’anadiplose ou le tricolon. Et enfin l’énumération des parties du discours, de l’exorde à la conclusion, en passant par la narration, la division, la confirmation et la réfutation.
Bien. Il s’agit là d’un exposé assez classique et, même, concis. Presqu’un résumé.
Mais l’intérêt de cet ouvrage est qu’il est (abondamment) illustré. C’est que l’auteur avait à sa disposition un matériau assez exceptionnel. Maître Gaston Vogel, avocat au barreau du Luxembourg depuis 1962 n’est pas seulement un grand pénaliste. Il a la particularité de conserver la trame de chacune de ses plaidoiries. Onze d’entre elles ont été sélectionnées et permettent d’illustrer la théorie d’une façon particulièrement éclairante. Exorde, narration, division, confirmation, réfutation, conclusion, disais-je : elles sont à chaque fois signalées si bien qu’apparaissent clairement les étapes de la démonstration. Et si les épiphores, zeugmas, asyndétons (ceci en est un) vous paraissent des notions absconses, vous disposerez de moultes exemples qui vous permettront de vous familiariser avec ces figures de styles.
Un manuel vous disais-je. Ne faudrait-il pas le mettre dans les mains de chacun de nos stagiaires ? Parce que plaider reste de l’essence de notre métier.
J’allais oublier. À la fin de l’ouvrage figure une table des citations. Ce n’est pas le moins savoureux. J’en garde deux :
- de Balzac : La haine est un tonique, elle fait vivre, elle inspire la vengeance ; mais la pitié tue, elle affaiblit encore notre faiblesse. Notez que, dans le même sens, j’aime bien aussi B. Lavilliers : La haine est un moteur auxiliaire…
- Audouard : Les cons n’ont pas besoin d’étudier les problèmes, puisqu’ils en connaissent la solution. Ni de rechercher les responsables. Ils les connaissent aussi. Ce sont les autres. Jamais eux. Le con se nourrit de bouc émissaire. C’est pourquoi il a si souvent mauvaise haleine.
Merde alors : les avocats seraient-ils des hommes comme les autres ?
Patrick Henry,
Ancien Président