Monsieur le Président du Conseil Central de Surveillance Pénitentiaire, est-il déjà possible de tirer un premier bilan de la gestion de la crise sanitaire dans les prisons ?
A l’issue de la première vague, fin juin, nous avons fait le bilan suivant : alors que les risques de propagation de la pandémie en prison paraissaient très importants, la diminution de la population pénitentiaire d’une part et le suivi particulièrement attentif mis en place par l’administration pénitentiaire d’autre part, ont permis aux prisons de l’ensemble du pays de revenir plus rapidement à une situation plus apaisée.
D’autre part, l’espoir de diminuer la population pénitentiaire de façon substantielle de façon telle que réellement, la détention ne soit qu’un ultime recours, cet espoir s’est concrétisé. Nous avons pu constater que la volonté politique, alliée à la mobilisation de l’ensemble des acteurs de la justice permet de remettre ou de maintenir en liberté des centaines de personnes sans que cela ne présente de danger en termes de sécurité. Ainsi, alors qu’au 12 mars, pour une capacité de 9.327 places, les prisons comptaient 10.906 détenus, au 1er mai, ils n’étaient plus que 9.561, soit le taux d’occupation le plus bas qui ait été atteint.
Le déconfinement qui a suivi va cependant nous conduire vers un tout autre constat. La population carcérale a rapidement augmenté pour retrouver son niveau d’antan. Et au moment où nous sommes confrontés à la seconde vague, pour les détenus non concernés par les initiatives gouvernementales, ni celles prises voici quelques mois, ni celles qui devraient être mises en œuvre à bref délai par le nouveau Ministre, et qui sont demeurés en prison tout au long de la crise sanitaires, ils ont dans l’ensemble subi des conditions de détention particulièrement difficiles à vivre. Sans visites, privés d’activités et/ou de cours, des contraintes de distanciation sociale encore plus difficiles à respecter qu’à l’extérieur, des mesures d’isolement médical préventif en cas de suspicion de contagion…sans plus aucun accès à des modalités de peine destinées à préparer leur sortie (permissions de sortie, congés pénitentiaires, détention limitée, ...), toutes à nouveau suspendues.
La crise sanitaire qui perdure peut être une opportunité. En effet, elle a mis en évidence qu’une chose est certaine, moins d’emprisonnement est possible. Plus encore, si la volonté d’emprisonner moins, telle qu’elle a été exprimée à différents moments, se maintient, il est même envisageable de diminuer encore davantage la population pénitentiaire.
Lors de la première phase, diverses mesures ont été prises par le pouvoir politique, à travers les pouvoirs spéciaux, pour accélérer le processus de libération. Lors de cette deuxième phase, il semble bien que très peu de mesures, à l’exception notoire de limiter les visites, aient été prises. Cela ne vous semble-t-il pas choquant ? Serions-nous face à un changement de politique pénitentiaire ?
Le nouveau Ministre a prévu de nouvelles mesures, dans l’ensemble assez semblables à celles envisagées par son prédécesseur. En l’absence de pouvoirs spéciaux, le parcours législatif est bien entendu plus long. Elles sont pour le moment soumises au Parlement. Cela n’a toutefois pas empêché l’administration pénitentiaire d’organiser déjà, par voie de circulaire, la mise en place des mesures à venir, « sur base d’un projet de loi en préparation » ! Il est vraisemblable que les Commissions des plaintes que le Conseil Central a mis sur pied depuis le 1er octobre 2020 au sein de chaque Commission de Surveillance, seront sans doute saisies de cette question dans les jours à venir. D’autre part, à l’instant, une circulaire organisant l’interruption de l’exécution de la peine « Covid-19 vient d’être diffusée. C’est donc une interruption et non un congé qui, comme l’avait mis en évidence un arrêt de la Cour de cassation saisie d’un recours durant la première vague, doit être imputé sur la peine. Plus encore, cette nouvelle circulaire réduit drastiquement le champ d’application puisque les mesures prises lors de la première vague visaient d’une part, les condamnés en détention limitée en ayant des congés ou ayant bénéficié d’un congé pénitentiaire réussi, ici on en exige trois. D’autre part, les condamnés appartenant au groupe risque de personnes vulnérables au développement de symptômes graves du coronavirus, cette seconde catégorie n’est plus visée. Enfin le projet en discussion envisage la suspension de toutes les modalités (permissions de sortie, congés pénitentiaires et détention limitée jusqu’au 31 mars 2021 alors qu’il est permis d’espérer que les mesures liées à la crise sanitaire prendront fin plus tôt. C’est assez dire que les sujets d’inquiétude et de préoccupation ne manquent pas.
A la lecture de la note de politique générale du nouveau ministre de la Justice ainsi que de ses premières interventions dans la presse, celui-ci défend une politique carcérale plus sévère qui a déjà soulevé de nombreuses réactions. Pourriez-vous nous faire part de votre avis sur ce sujet ?
Je vous réponds peu avant une première réunion avec le Ministre avec lequel nous avons bien entendu l’intention de discuter d’un certain nombre d’aspects de sa note de politique générale consacrés à la politique pénitentiaire qu’il entend mettre en œuvre. Pour affronter une surpopulation persistante et un recours toujours trop important à la détention préventive, deux dérives dénoncées tant et plus depuis trop longtemps et qui plombent tous les projets en matière pénitentiaire, sans doute faut-il être animé d’un courage politique bien différent. En revanche, annoncer que « davantage de peines seront exécutées » et que « les récidives seront traitées avec sévérité » c’est à première vue, se présenter comme fort et déterminé.
Cela étant, parmi les projets annoncés, certains nous encouragent dans le travail développé jour après jour par les Commissions de surveillance et le Conseil Central. Pointons ainsi, notamment, l’attention particulière accordée à la formation du personnel (et transition vers un autre modèle inspiré du Nord (surveillance chaude et surveillance froide), la poursuite de travaux de modernisation et de rénovation, assurer de meilleurs soins aux internés et donner une priorité à la construction de 3 centres de psychiatrie légale (CPL) à Paifve, Wavre et Alost, poursuivre le développement de visites virtuelles et examiner comment l’adopter de manière structurelle, investir dans les plans individuels de détention, renforcer les services psychosociaux, soutenir les formations dans les prisons, améliorer les soins de santé pénitentiaires à travers notamment des projets-pilotes à lancer en étroite collaboration avec la SPF Santé publique, investir dans davantage de personnel soignant dans les sections de défense sociale au sein des prisons et enfin, rassembler toutes les lois concernant l’application des peines en un seul Code de l’application des peines.
Quel message souhaitez-vous adresser à l’ensemble des avocats francophones et germanophones de notre pays ?
Voici quelques mois, dans le cadre d’un entretien avec Laurent Kennes, présentant la mise sur pied du nouveau Conseil Central de Surveillance Pénitentiaire, qui est aujourd’hui une institution para-parlementaire, au même titre que, par exemple, le Conseil Supérieur de la Justice ou le Médiateur fédéral, je rappelais que le contentieux pénitentiaire est un contentieux essentiel. Il touche au noyau dur du droit pénal, la privation de liberté et toutes ses dérives. Trop peu d’avocats s’y investissent. Ils sont cependant de plus en plus nombreux et il faut s’en féliciter. Et je me permets à nouveau de faire à ce sujet un parallèle vis-à-vis de la procédure pénale. Quel avocat pénaliste n’a-t-il pas réalisé à quel point l’assistance lors d’une audition pouvait en certains cas être déterminante pour la suite de la procédure ? L’assister dans le cadre de sa détention n’est pas moins important. Du reste, pour nombre de détenus, les conditions de détention et les modalités de l’exécution de l’éventuelle condamnation sont des préoccupations bien souvent plus importantes que le sort réservé aux poursuites.