Une jeune plaideuse au débit abondant était affectée, comme nous le sommes souvent, d’un tic de langage : dans le cadre. Au 7e, en 5 minutes, elle l’a fait exploser en vol : dans le cadre de ce cadre.
Les C’est vrai que, quelque part, effectivement, excessivement, et autre j’ai envie de dire, polluent souvent les audiences. Ils ne sont pas (toujours) fautifs, mais souvent agaçants. On finit par ne plus entendre que ça … et ce n’est pas le but d’une plaidoirie, a priori.
Dans la foulée, la consœur du cadre plus haut nous a asséné un certain nombre de “il va-t-être”.
Le verbe être a, en effet, un frère jumeau : le verbe têtre. Pourra têtre, va têtre et devra têtre en sont les (més)usages les plus fréquents.
Ça ne heurte pas toujours l’oreille, sans doute grâce à l’homophonie : peut-être et pourrait être sont fréquents et parfaitement corrects, sans compter qu’on pourrait concevoir pareille formulation dans une promesse (fallacieuse ?) comme “Il va t’être fidèle” …
N’empêche, il va-t-être licencié, même fréquent à la barre, est incorrect.
Un tel “t” pourrait-il être revendiqué au nom de l’euphonie ? Non. Et autant le dire, les justifications générales qu’on fournit en invoquant l’euphonie ne sont pas toujours convaincantes.
Ainsi, on écrit Mange ta soupe mais Manges-en encore ! L’explication est qu’il siérait d’ajouter un seuphonique avant le pronom “en” qui suit pareil impératif. Ça permet d’éviter un hiatus, c’est-à-dire la rencontre de 2 voyelles, et ça rend la prononciationplus harmonieuse.
- Ah bon ?
- Oui, comme le t dans « Cet attentat étêta-t-il l’État ? » (ndr : j’aime bien les allitérations).
- Et pourquoi alors écrit-on « Mange en silence»?
- Ce en là n’est pas un pronom.
- Alors, le s n’est pas … euphonique non plus ! Sinon, il faudrait le placer dans les deux cas… En fait, il sert juste à indiquer que “en” est (ici) un pronom (et non une préposition).
Au passage, je l’affirme, c’est une vraie crasse, cette histoire de traits d’union : quand j’écris (ci-dessus) “ce en là”, j’omet tout trait d’union. À bon escient ? Oui : on ne le met qu’après un nom (un substantif, quoi). Enfin, ce n’est pas toujours si clair que ça…
On le sait, le là sert à marquer l’insistance, tout d’abord avec les pronoms démonstratifs [celui, celle(s), ceux…]. On n’a généralement pas de problème avec celui-là.
Si ce là suit un nom immédiatement précédé d’un adjectif démonstratif, rebelote : dans “Ces chats-là”, le trait d’union est de rigueur.
- Mais dans “Ces jolis chats là”, il disparaît !
- Eh oui : ce n’est que si le nom est placé immédiatement après le démonstratif, faut suivre !
- Tiens ? Et si je dis “Ces deux jolis chats-là” ? Le trait d’union revient …
- Il y a une règle, puis une exception, puis une exception à l’exception : si le mot qui sépare le nom du démonstratif est un nombre, retour du trait d’union …
- Pourquoi ?
- Pour rien, c’est comme ça. Est-ce que je te demande pourquoi il ne faut aucun trait d’union dans “J’aime ces pommes de terre là” alors qu’il en faut à peu près partout dans “Je n’aime pas ces choux-fleurs-là”, moi ? Retiens la règle, un point c’est tout !
Comme pour la poule et l’œuf, on peut se demander si c’est la langue française, avec son obsession des règles, qui fait du francophone un législateur bureaucrate jusqu’à l’extravagance, ou si c’est l’esprit latin hérité du jurisconsulte romain qui le détermine à tout réglementer, jusqu’à l’absurde dans sa propre langue …
Je reviens au langage parlé (lire : plaidé).
Arguer signifie argumenter ou encore prétexter. Il se prononce ar-gu-é, le u se faisant entendre. Nous arguons se dit ar-gu‑on, mais nous larguons se prononce lar-gon … C’est comme ça.
Alors, non, votre adversaire “n’arg” pas que …, même s’il vous nargue. Et, soit dit en passant, évitez (aussi), à cette occasion, le sempiternel “de part Tadverse”. On ne dit pas il veut être père à part Tentière …
Quoi ? On peut dire “de part-T-et d’autres” ? Ouais, ben je m’en fous. Ça relève d’une autre règle.
D’ailleurs, un même mot, de même sens, peut parfaitement se prononcer de façons différentes :
- Ces oiseaux étaient plus de dix – diss’
- Ces dix oiseaux mangeaient – diz’
- Ces dix beaux oiseaux – di’
Quand tu dois donner 3 explications pour un seul mot, ne t’étonne pas que l’écolier lâche l’affaire…
Et si tu te lances dans les homophones – que, pour lui, tu devrais prononcer comme Smartphone (phône, comme Rhône) –, tu le perdras à coup sûr en abordant les homographes non homophones !
Tu joues aux cartes et tu as 3 as.
Ce jour-là, je vis des vis.
Pourquoi ton fils coupe-t-il ces fils ?
Les poules des sœurs couvent au couvent.
Etc., etc.
Bon d’jou qu’c’est compliqué !
Je termine ce bref tour d’horizon par quelques autres trucs déjà (trop) entendus.
Ressortir de – ressortir à :“L’un est dérivé de sortir et signifie « sortir d’un endroit peu après y être entré », l’autre est dérivé de ressort et signifie « relever de » ; il se construit toujours avec la préposition à. L’un est du troisième groupe [ndr : comme… mentir] et fait ressortait à l’imparfait, l’autre est du deuxième [ndr : comme finir] et fait ressortissait à ce même temps”. (Ac. fr.).
Ainsi, cette affaire ressortit (au présent) ou ressortissait à la cour d’assises – de son ressort – et non ressort ou ressortait de cette juridiction : elle n’y était jamais entrée …
A fortiori en est-il ainsi d’une commission paritaire : un employeur ressortit à la CP 200, jamais il ne ressort de la CP en question !
On ne se trompe pourtant pas avec un ressortissant britannique qu’il ne viendrait à l’idée de personne de qualifier de ressortant.
Et, oui, il existe aussi 2 verbes sortir, dont les conjugaisons sont elles aussi différentes :
- Aller ou mettre dehors (pour faire bref) : “L’avocat sortait un lapin de son chapeau”.
- Produire (en droit et uniquement à la 3e personne) : “Ce règlement sortissait ses effets” et non “sortait ses effets”.
Il suffit de penser à assortir : on assortit un contrat d’une clause particulière, on ne l’assort pas.
Le préfixe re – On ranime une personne, un projet, on ne les réanime pas, même s’il y a réanimation.
Des variantes sont parfois admises pour un sens identique, ainsi en va-t-il de réécrire et récrire.
Une variable peut aussi exister qui implique un (net) changement de sens : rassurer (quelqu’un) et réassurer (un risque).
Pour rouvrir et réouvrir, la discussion est interminable. Je l’esquive. Une chose est sûre, qui nous concerne : le mot réouverture s’est pour sa part imposé ; quand il s’agit de débats, notamment.
Enfin, on utilise parfois à tort rentrer au lieu d’entrer, dans le sens d’aller à l’intérieur de. On entre dans une salle d’audience ou dans l’administration, voire dans l’histoire ; on n’y rentre pas.
La chose est évidemment différente si l’idée est qu’on revient à ce qu’on avait quitté ; ainsi rentre-t-on à la maison (alors qu’on entre dans la maison). La nuance semble mieux perçue entre trouver et retrouver : qui dirait d’un otage libéré qu’il a trouvé les siens ? Rentrer supplante tellement souvent son petit frère que j’ai récemment entendu plaider “Mon client est re-rentré dans le garage” !
Ne dit-on pas qu’on entre dans les ordres et qu’on rentre dans le droit chemin ? (Un plaisantin me glisse à l’oreille qu’on peut sortir des uns comme de l’autre en… se défroquant).
Pour le droit chemin du bon français, la question peut néanmoins se poser tant il est compliqué : y étions-nous déjà vraiment entrés ?
Jari Lambert,
Avocat au barreau de Liège
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