Pour rappel, notre rubrique est consacrée à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Chaque édition aborde un autre thème pour vous informer et vous rappeler que l’assujettissement est plus rapide que beaucoup ne l’imaginent. Appliquer la loi anti-blanchiment relève parfois de l’exercice du funambule. D’où le titre de notre rubrique…..
Celle-ci se veut courte est lisible. Elle se veut également interactive, donc n’hésitez pas à nous soumettre vos questions à l’adresse blanchiment@avocats.be. Nous ferons le maximum pour leur y apporter une réponse claire.
Notre rubrique est cette fois-ci consacrée à la question de savoir qui doit procéder aux déclarations de soupçons et à la notion d’AMLCO. Elle a été rédigée par David Verwaerde, membre de la commission anti-blanchiment de l’OBFG.
Bonne lecture à tous !
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Aux termes de la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces (« la Loi »), l’avocat qui, dans l’exercice des activités énumérées à l’article 5, 28°, § 1er de la Loi est confronté à des fonds, des opérations à exécuter, ou des faits qu’il sait, soupçonne ou pour lesquels il a des motifs raisonnables de soupçonner qu’ils sont liés au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme est tenu d’en informer immédiatement le bâtonnier de l’ordre dont il relève (articles 47 et 52 de la Loi). Toutefois, cette déclaration au bâtonnier ne peut pas être effectuée lorsque les informations ou renseignements relatifs aux suspicions ont été reçus d’un client ou obtenus sur un client lors de l’évaluation de la situation juridique de ce client ou dans l’exercice de sa mission de défense ou de représentation en justice (article 53 de la Loi).
Selon l’article 49, aliéna 1er, de la Loi, l’obligation de procéder à une telle déclaration de soupçons repose, en principe, sur le responsable anti-blanchiment (« l’AMLCO »), désigné en vertu de l’article 9, §2, de la Loi.
Saisie par l’OBFG d’un recours en annulation, la Cour constitutionnelle a considéré, dans son arrêt du 24 septembre 2020 (n° 114/2020), que cette obligation reposant sur le responsable anti-blanchiment ne porte pas une atteinte disproportionnée au secret professionnel de l’avocat, pour autant que l’article 49, alinéa 1er, de la Loi soit interprété en ce sens que l’AMLCO chargé de la déclaration de soupçons soit l’avocat (ou les avocats) en charge du dossier. Il s’en déduit qu’il appartient exclusivement au titulaire de la relation avec le client de déclarer lui-même toute suspicion à l’égard de ce dernier au bâtonnier de l’ordre dont il relève.
Il incombe donc aux avocats de tirer les enseignements de cette interprétation de la Cour constitutionnelle, en adaptant, le cas échéant, leurs procédures internes. En effet, certaines associations d’avocats, procédant d’une interprétation téléologique de l’article 9, §2, de la Loi, ont désigné, sur cette base, un ou plusieurs AMLCOs chargé(s) de la mise en œuvre des obligations anti-blanchiment pour l’ensemble des avocats qui la composent. Dans cette même logique, ces cabinets ont traduit – notamment dans le cadre de leurs procédures internes – cette obligation, en ce sens qu’il revenait, en principe, à l’AMLCO ainsi désigné de procéder à toutes les déclarations de soupçons des avocats de l’association, même s’il n’était pas lui-même impliqué dans la relation de confiance entre l’avocat et le client.
Il revient à ces avocats de s’assurer (notamment dans le cadre de leurs procédures internes) que seul l’avocat en charge du dossier (ayant – forcément d’après la Cour – la qualité d’AMLCO) procède à la déclaration de soupçons liée à ce dossier et que cette déclaration ne puisse, en aucun cas, être effectuée par un tiers à la relation de confiance entre l’avocat et son client.
Cette règle ne souffre d’aucune exception.
La Cour constitutionnelle a d’ailleurs, sur la base d’un raisonnement répondant à cette même logique, annulé l’alinéa 2 de l’article 49 de la Loi. Cette disposition imposait, à chaque fois que la procédure normale susmentionnée, via l’AMLCO, ne pouvait être suivie[1], à un représentant de l’avocat, ayant lui-même la qualité d’avocat, d’effectuer la déclaration de soupçon. De la sorte, un tiers à la relation entre l’avocat et son client, fût-il lui-même avocat, était susceptible de devoir transmettre aux autorités des informations aux autorités, ce qui n’était pas justifiable au regard du secret professionnel de l’avocat.
Les avocats doivent donc, le cas échéant, supprimer de leurs procédures internes toute référence à cette procédure subsidiaire.
Pour autant, l’arrêt de la Cour ne remet aucunement en cause l’obligation pour les avocats de désigner un AMLCO chargé de la mise en œuvre des obligations anti-blanchiment qui leur incombent sur la base de l’article 9, §2, de la Loi.
[1] Cette procédure était notamment suivie lorsque l’AMLCO n’était pas atteignable en temps utiles ou lorsque celui-ci semblait lui-même impliqué dans une activité de blanchiment de nature à faire obstacle à la transmission des informations.