De la jurisprudence européenne pour tous

Dans le but de favoriser le réflexe européen, la TRIBUNE EUROPEENNE s’adresse à tous les avocats. Le droit européen est en effet directement applicable en droit interne et intéresse donc tous les praticiens puisque tous les avocats peuvent solliciter l’application de cette matière par le tribunal auquel il s’adresse.

Cette rubrique fait donc un rapide tour d’horizon de quelques décisions de la Cour de Justice et de la Cour européenne des droits de l’Homme reprises par nos amis français dans L’EUROPE EN BREF (Délégation des barreaux de France).

Il faut ici remercier le Président de la Délégation des Barreaux de France, Me Laurent Pettiti, et son équipe pour cette précieuse collaboration.

Stéphane Boonen,
Administrateur

Relevé dans L’Europe en bref n°1002 du 17 au 23 mars 2023
L’Europe en bref n°1003 du 24 mars au 6 avril 2023
L’Europe en bref n°1004 du 7 au 20 avril 2023
L’Europe en bref n°1005 du 21 avril au 04 mai 2023
L’Europe en bref n°1006 du 8 au 11 mai 2023
L’Europe en bref n°1007 du 12 au 1er juin 2023
L’Europe en bref n°1008 du 02 au 08 juin 2023
L’Europe en bref n°1009 du 09 au 22 juin 2023 


AVOCAT / Sanction disciplinaire / Liberté d’expression / Arrêt de la Cour EDH 

La sanction disciplinaire prise à l’encontre d’un avocat pour avoir déposé une plainte alléguant la commission d’une infraction pénale par un procureur est contraire à l’article 10 de la Convention (23 mars) Arrêt Rogalski c. Pologne, requête n°5420/16.

Dans un 1er temps, la Cour EDH analyse les griefs formulés par le requérant sur le terrain de l’article 10 de la Convention relatif à la liberté d’expression. En l’espèce, une sanction disciplinaire avait été prise à l’encontre du requérant, lui infligeant une amende pour comportement contraire à l’éthique à l’occasion du dépôt d’une plainte à l’encontre d’un procureur. La Cour EDH observe que l’ingérence ainsi portée au droit à la liberté d’expression était prévue par la loi. Elle considère toutefois, que même si la liberté d’expression est également conférée aux avocats, ceux-ci doivent respecter certaines règles de conduite visant à protéger le pouvoir judiciaire contre des attaques infondées. Cette ingérence poursuit donc un but légitime. Dans un 2nd temps, la Cour EDH examine la nécessité de l’ingérence portée par cette législation dans une société démocratique. En l’espèce, elle considère qu’aucun élément ne démontrait d’intentions malveillantes de la part du requérant, qui justifieraient le recours à une procédure disciplinaire. La Cour EDH estime que les avocats ne sont pas responsables des faits qui leur sont soumis. Elle note par ailleurs que l’allégation d’infraction pénale n’était pas totalement dépourvue d’éléments de preuve. Partant, elle conclut à la violation de l’article 10 de la Convention. 

 
AVOCAT / Absence d’assistance juridique effective / Non-respect de la confidentialité des entretiens / Droit à la liberté et à la sûreté / Arrêt de la Cour EDH

Le non-respect de la confidentialité des communications entre un avocat et son client, même lors du déclenchement de l’état d’urgence, est contraire à la Convention si cela n’est pas délimité de façon adéquate et suffisante par les autorités nationales (6 juin) Arrêt Demirtaş et Yüksekdağ Şenoğlu c. Turquie, requête n°10207/21 et 10209/21

La Cour EDH analyse les griefs des requérants sur le fondement de l’article 5 §4 de la Convention relatif au droit à faire statuer à bref délai sur la légalité de leur détention. Les requérants se plaignaient de ne pas avoir bénéficié d’une assistance juridique effective du fait de l’écoute des entretiens avec leurs avocats ainsi que de la saisine des documents échangés avec eux. Dans un 1er temps, la Cour EDH observe que l’état d’urgence était déclaré et que des mesures pouvaient ainsi être prises afin de limiter le droit à la confidentialité des communications entre un avocat et son client, mais à certaines conditions délimitées, notamment afin de lutter contre le terrorisme. Cependant, elle démontre que ces conditions n’ont pas été respectées. Dans un 2ème temps, la Cour EDH note que les autorités nationales n’ont pas procédé à un examen individualisé de la situation des requérants, puisqu’elles ont relevé à tort que ceux-ci avaient été reconnus coupables d’infractions liées au terrorisme. Dans un 3ème temps, elle rappelle que la confidentialité des entretiens entre un avocat et son client est un droit fondamental et touche directement aux droits de la défense. Les dérogations à ce principe ne sont possibles que dans des cas exceptionnels et doivent s’entourer de garanties adéquates et suffisantes contre les abus, ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque l’administration disposait de nombreux pouvoirs non encadrés par la législation nationale. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 5 §4 de la Convention. 

 
BREXIT / Ressortissants du Royaume-Uni / Citoyenneté de l’Union européenne / Perte des droits rattachés / Pourvoi / Arrêt de la Cour 

La perte des droits attachés au statut de citoyen de l’Union européenne est une conséquence automatique de la décision souveraine du Royaume-Uni de se retirer de l’Union (15 juin) Arrêts Silver e.a. c. Conseil, aff. C-499/21 P ; Shindler e.a. c. Conseil, aff. C-501/21 P ; Price c. Conseil, aff. C-502/21 P 

Saisie de recours en annulation de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union et de la Communauté européenne de l’énergie atomique et de la décision (UE) 2020/135 relative à la conclusion de cet accord, la Cour confirme les ordonnances du Tribunal de l’Union ayant débouté les requérants de leur recours. Ceux-ci, ressortissants britanniques, faisaient valoir qu’ils seraient désormais privés des droits qu’ils avaient exercés et acquis en tant que citoyens de l’Union. La Cour, confirmant l’analyse du Tribunal, note que le retrait du Royaume-Uni de l’Union relève d’un choix souverain de celui-ci, dans le respect de ses règles constitutionnelles, et que la perte, pour les requérants, de leur statut de citoyen de l’Union et des droits qui y sont rattachés découle uniquement de cette décision unilatérale, et non pas de l’accord de retrait ou de la décision du Conseil de l’Union entérinant cet accord. Par conséquent, elle déclare les recours irrecevables pour défaut d’intérêt à agir. (

 
CONSOMMATION / Protection des consommateurs / Contrats hors établissements / Droit de rétractation / Obligations d’information du professionnel concerné / Arrêt de la Cour 

Le consommateur est exonéré de toute obligation de paiement des prestations fournies en exécution du contrat, lorsque le professionnel n’a pas informé le consommateur de son droit de rétractation (17 mai) Arrêt DC (Rétractation après l’exécution du contrat), aff. C97/22 

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Landgericht Essen (Allemagne), la Cour de justice de l’Union européenne rappelle que le droit de rétractation vise à protéger le consommateur lors de la conclusion d’un contrat hors établissement. Dès lors que celui-ci peut être soumis à un élément de surprise ou à une pression psychologique, l’information relative au droit de rétractation est d’une importance fondamentale pour le consommateur afin qu’il effectue un choix éclairé concernant la conclusion du contrat. En outre, la Cour considère que l’objectif de protection des consommateurs serait compromis si un consommateur pouvait encourir des coûts, non prévus par la directive 93/13/CEE, à la suite de sa rétractation d’un contrat de service conclu hors établissement. Ainsi, elle considère que lorsque le professionnel n’a pas informé le consommateur de son droit de rétractation et que celui-ci l’a exercé après l’exécution du contrat, il est exonéré de toute obligation de payer les prestations fournies en exécution du contrat de service hors établissement.

 
CONSOMMATION / Clauses abusives / Crédit hypothécaire indexé sur une devise étrangère / Annulation du contrat / Préjudice du consommateur / Protection effective du consommateur / Arrêt de la Cour

En cas d’annulation d’un contrat de prêt hypothécaire comportant des clauses abusives, les consommateurs peuvent demander une compensation allant au-delà du remboursement des mensualités versées (15 juin) Arrêt Bank M. (Conséquences de l’annulation du contrat), aff. C-520/21 

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Sąd Rejonowy dla Warszawy – Śródmieścia w Warszawie (Pologne), la Cour de justice de l’Union européenne précise qu’il revient aux Etats membres de déterminer les conséquences qu’emporte l’invalidité d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, après que les clauses abusives ont été supprimées. Elle ajoute toutefois que les règles nationales mises en place doivent être compatibles avec le droit de l’Union et notamment, les objectifs poursuivis par la directive 93/13/CEE. Ainsi, la Cour estime que la demande à la banque par le consommateur de créances allant au-delà du remboursement des mensualités versées ne va pas à l’encontre des objectifs de la directive. Au contraire, cela pourrait contribuer à dissuader les professionnels d’inclure de telles clauses abusives dans les contrats avec les consommateurs. Par ailleurs, la Cour note que la banque ne peut pas demander au consommateur une compensation allant au-delà du remboursement du capital versé ainsi que du paiement des intérêts de retard légaux, cela étant contraire à la directive et allant à l’encontre de l’effet dissuasif produit sur les professionnels ainsi que de l’intérêt du consommateur. Dès lors, la banque ne peut tirer un quelconque avantage économique ou une indemnisation, en raison de l’annulation du contrat pour l’emploi de clauses abusives, son comportement étant illicite. Par conséquent, il revient aux établissements bancaires de faire en sorte que leurs activités soient conformes à la directive.

 
DIVERS – ACCES A L’EDUCATION / Interdiction de la discrimination / Ségrégation / Arrêt de la Cour EDH 

Le refus injustifié par les autorités locales de transfert d’école d’un enfant rom s’apparente à de la ségrégation scolaire et est contraire à l’article 14 de la Convention (30 mars) Arrêt Szolcsan c. Hongrie, requête n°24408/16 

Dans un 1er temps, la Cour EDH note que les autorités nationales affirment avoir refusé le changement d’école du requérant au motif que ce dernier ne résidait pas dans la zone de recrutement de l’école en question. Or, la Cour EDH observe que d’autres enfants non-roms vivant dans la même ville que le requérant se rendaient dans l’école en question. Dans un 2nd temps, la Cour EDH note qu’elle est dans l’impossibilité de savoir si le requérant a vu son transfert vers l’autre école refusé du fait de son origine ethnique. Toutefois, elle considère qu’aucune justification objective n’a été apportée pour expliquer cette différence de traitement. De plus, elle constate que le Gouvernement n’a pas contesté les propos du requérant concernant la médiocrité de la 1ère école ainsi que le fait qu’elle soit exclusivement fréquentée par des enfants roms. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 14 de la Convention. En outre, en vertu de l’article 46 de la Convention, elle requiert de l’Etat l’adoption de mesures visant à mettre fin à la ségrégation des élèves roms dans les écoles. 

 
DIVERS - CONSENTEMENT ECLAIRE / Ablation d’un rein / Droit au respect de la vie privée et familiale / Arrêt de la CEDH 

L’ablation d’un organe lors d’une intervention vitale d’urgence, sans le consentement éclairé du patient, est contraire à l’article 8 de la Convention (13 avril) Arrêt Mayboroda c. Ukraine, requête n°14709/07 

La Cour EDH analyse les griefs formulés par la requérante sur le terrain de l’article 8 de la Convention relatif au droit au respect de la vie privée, et en particulier le droit à donner un consentement éclairé. Elle précise tout d’abord que réaliser une intervention vitale d’urgence sans le consentement du patient n’est contraire ni à la Convention ni à la législation nationale applicable. En l’espèce, si la requérante a donné son consentement pour l’intervention, elle a néanmoins subi une ablation du rein non consentie durant celle-ci dès lors qu’elle n’a pas été informée d’une telle éventualité préalablement à l’opération. La Cour EDH note ensuite que les autorités nationales ont analysé la situation seulement sous couvert de l’urgence vitale de l’ablation, sans prendre en considération la question du consentement de la requérante. De plus, elle relève que l’hôpital a pour habitude de ne recueillir qu’un consentement oral des patients et ne possède ni de politique de consultation des patients ni de système de conservation des données. Le médecin de l’hôpital se référait au droit soviétique de l’époque plutôt qu’à la législation nationale en vigueur. De ce fait, la Cour EDH conclut que l’Etat n’a pas un cadre réglementaire suffisant afin de protéger le droit à un consentement éclairé, précisant que la requérante a été informée de ce prélèvement seulement plusieurs mois plus tard. Partant, elle conclut à la violation de l’article 8 de la Convention. 

 
DIVERS - NORMES EUROPEENNES EN MATIERE D'INCENDIE / Etablissement recevant du public / Equipement de sécurité / Harmonisation / Arrêt de la Cour 

Les Etats membres ne peuvent imposer des exigences supplémentaires à celles prévues par le droit de l’Union européenne aux fins de la mise à disposition sur le marché national d’équipements sous pression disposant du marquage CE (23 mars) Arrêt Syndicat Uniclima, aff. C-653/21.

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Conseil d’Etat (France), la Cour de justice de l’Union juge que le droit de l’Union s’oppose à ce qu’un arrêté relatif à la sécurité contre les risques d’incendies dans les établissements recevant du public impose aux établissements, lorsqu’ils utilisent des équipements disposant du marquage CE, des exigences qui ne figurent pas parmi les exigences essentielles de sécurité prévues par le droit de l’Union. La Cour rappelle que ledit marquage indique que les équipements sont conformes aux exigences harmonisées au niveau de l’Union. Elle conclut que lorsqu’une loi nationale impose des exigences supplémentaires à celles prévues par la directive 2014/68 pour la mise à disposition desdits équipements sur le marché national, elle reviendrait donc à priver d’effet utile les mesures d’harmonisation prévues par la directive.

 
DIVERS - PROTECTION CONTRE LES VIOLENCES DOMESTIQUES / Inaction de l’Etat / Arrêt de la Cour EDH 

L’absence de protection adéquate, tant juridique que pratique, pour les femmes et les filles victimes de violences domestiques, est contraire à la Convention (23 mai) Arrêt A.E. c. Bulgarie, requête n°53891/20 

La Cour EDH analyse les griefs de la requérante sur le fondement de l’article 3 de la Convention relatif aux traitements inhumains et dégradants en raison de la gravité des faits et de l’article 14 de la Convention relatif à l’interdiction de la discrimination, combiné à l’article 3. La requérante, mineure au moment des faits, a été victime de violences domestiques de la part de son conjoint majeur et se plaint de lacunes dans le cadre juridique national et dans l’intervention de l’Etat. Dans un 1er temps, la Cour EDH juge que le fait de pouvoir engager seulement des poursuites privées, lié au refus des autorités nationales de qualifier les violences subies de « violences domestiques » au motif que la relation entre la requérante et son conjoint ne correspond pas à la définition légale, n’est pas conforme à l’article 3 de la Convention. Dans un 2nd temps, la Cour EDH note que les femmes sont les principales victimes des violences domestiques et constate que les autorités nationales n’ont pas mis en place les mesures nécessaires pour les protéger. Partant, elle conclut à la violation de l’article 3 et de l’article 14 lu en combinaison avec l’article 3 de la Convention.

 
ENERGIE ET ENVIRONNEMENT - Marché intérieur de l’électricité / Autorité de régulation nationale / Protection des consommateurs / Arrêt de la Cour 

Dans le cadre de la protection des consommateurs un Etat membre peut octroyer aux autorités de régulation nationales du marché de l’électricité le pouvoir d’imposer aux entreprises la restitution de sommes indûment perçues (30 mars) Arrêt Green Network (Injonction de remboursement de frais), aff. C-5/22 

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Consiglio di Stato (Italie), la Cour de justice de l’Union européenne examine la compatibilité avec le droit de l’Union d’une loi permettant à une autorité nationale de régulation de l’énergie d’imposer aux entreprises d’électricité la restitution au client final de sommes qu’elles ont indûment perçues de celui-ci en violation de leurs obligations de transparence tarifaire. La Cour rappelle qu’en vertu de la directive 2009/72/CE, les Etats membres doivent octroyer, notamment dans le cadre de la protection des consommateurs, de larges prérogatives aux autorités de régulation nationales. Elle relève que même si la directive ne fait pas mention de la compétence d’exiger des entreprises qu’elles remboursent les sommes perçues en contrepartie d’une clause contractuelle illégale, la directive ne limite pas les prérogatives des autorités nationales de régulation puisqu’elle n’en donne qu’une liste non exhaustive. Ainsi, les Etats membres peuvent leur conférer un tel pouvoir afin que ces dernières assurent le respect des obligations de transparence et de protection des consommateurs pesant sur les entreprises. L’autorité nationale de régulation n’a donc pas outrepassé ses pouvoirs.

 
ENERGIE ET ENVIRONNEMENT /Aménagement urbain / Evaluations des incidences environnementales / Arrêt de la Cour

L’obligation de réaliser une évaluation des incidences environnementales d’un projet d’aménagement urbain ne peut pas dépendre exclusivement de sa taille (25 mai) Arrêt WertInvest Hotelbetrieb, aff. C-575/21

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Verwaltungsgericht Wien (Autriche), la Cour de justice de l’Union européenne examine la compatibilité avec le droit de l’Union d’une réglementation nationale prévoyant la subordination d’une évaluation des incidences sur l’environnement de travaux d’aménagement urbain au seul franchissement de seuils de surface occupée, qu’elle définit conformément à la directive 2011/92/UE. En réponse, la Cour estime que la directive s’oppose à une telle réglementation, car si rien n’empêche un Etat d’avoir recours à des seuils pour évaluer la nécessité de procéder aux évaluations, il est nécessaire de prendre en compte d’autres éléments, tels que la localisation des projets. Aussi, la fixation de seuils à un niveau tel que la totalité ou la quasi-totalité des projets d’un certain type serait, de facto, soustraite à l’obligation de réaliser une telle évaluation, est contraire au droit de l’Union.

 
FAMILLE / Adoption d’un enfant majeur / Droits procéduraux / Avis consultatif de Grande chambre de la CEDH 

La mère biologique ne dispose pas nécessairement du droit d’être partie à la procédure d’adoption de son enfant majeur si cela n’est pas prévu par le droit interne des Etats membres (13 avril) Avis consultatif (Grande chambre), demande n°P16-2022-001 

La Cour suprême de Finlande a interrogé la Cour EDH sur le statut et les droits procéduraux d’un parent biologique dans la procédure d’adoption d’un adulte. Dans un 1er temps, la Cour EDH estime que les procédures judiciaires relatives à l’adoption d’un enfant majeur affectent la vie privée du parent biologique du point de vue de l’article 8 de la Convention, en ce que l’identité de ce parent est en jeu, notamment en raison de l’effet de rupture du lien de filiation avec l’enfant majeur. Dans un 2ème temps, elle estime que les garanties procédurales sont respectées à partir du moment où le parent biologique est entendu et ses arguments sont pris en compte au moment de la procédure d’adoption. En effet, la Cour EDH précise qu’il s’agit d’une garantie procédurale élémentaire lorsque les intérêts d’un individu protégés par l’article 8 de la Convention sont en cause. Elle considère que des garanties procédurales supplémentaires ne sont pas nécessaires, notamment le droit à être considéré comme partie à la procédure, pour satisfaire aux exigences de l’article 8 de la Convention. Dans un 3ème temps, la Cour EDH démontre que les Etats membres disposent d’une large marge d’appréciation dans le cadre de la procédure d’adoption, et qu’il revient aux Etats de déterminer si le droit invoqué par le parent biologique est reconnu en droit interne. Si ce droit n’existe pas au niveau interne, l’article 6 de la Convention ne sera pas applicable à l’égard du parent biologique dans la procédure d’adoption de l’enfant majeur. 

 
JUDICIAIRE / Durée des procédures / Épuisement des voies de recours internes / Irrecevabilité / Décision de la Cour EDH 

Le recours indemnitaire mis en place par la Hongrie pour la durée excessive des procédures civiles peut être considéré comme effectif au titre de la Convention (30 mars) Décision Szaxon c. Hongrie, requête n°54421/21

La Cour EDH juge que la loi nationale sur l’exécution de l’indemnisation pécuniaire relative à la durée excessive des procédures civiles contentieuses, adoptée en réaction à une condamnation antérieure de la Cour EDH, garantit un redressement des violations de la Convention. Elle considère ainsi le recours établi par cette loi comme effectif. La Cour EDH estime alors que le requérant doit d’abord former un recours au titre de cette loi devant les juridictions nationales pour être considéré avoir épuisé les voies de recours internes et que sa requête soit déclarée recevable. Partant, elle conclut à l’irrecevabilité de la demande. 

 
JUDICIAIRE / Prescription / Diffamation / Droit d’accès à un tribunal / Non-violation / Arrêt de la Cour EDH 

La prescription acquise à la suite d’un renvoi ordonné à une date trop lointaine d’une action indemnitaire en diffamation ne viole pas l’article 6 §1 de la Convention (30 mars) Arrêt Diémert c. France, requête n°71244/17 

Dans un 1er temps, la Cour EDH relève que le régime du délai de prescription litigieux a bien été défini de manière précise par la loi, cette restriction au droit d’accès à un tribunal revêtant donc un caractère prévisible. S’agissant du but poursuivi, elle rappelle qu’il s’agit de satisfaire aux exigences de la bonne administration de la justice et du respect, en particulier, de la sécurité juridique. Dans un 2ème temps, elle réaffirme que les Etats contractants bénéficient d’une certaine marge d’appréciation dans l’élaboration de la réglementation relative à l’accès des tribunaux. A ce titre, la Cour EDH se borne à vérifier si la combinaison des règles procédurales litigieuses a fait peser sur le requérant une charge excessive de surveillance de la procédure. Dans un 3ème temps, elle conclut que la cour d’appel et le requérant ont en l’espèce tous deux contribué à l’acquisition de la prescription et que dans ces conditions, en dépit de la négligence dont la cour d’appel a fait preuve en matière d’audiencement, le requérant n’a pas eu à supporter une charge procédurale excessive. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 6 §1 de la Convention.

 
JUDICIAIRE / Reconnaissance et exécution des jugements / Relations UE-Ukraine / Décision du Conseil de l’Union 

L’Ukraine et l’Union européenne pourront réciproquement reconnaître et exécuter leurs décisions de justice à partir du 1er septembre (24 avril) Convention sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers en matière civile ou commerciale Conclue en 2019, la Convention de la Haye sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers en matière civile et commerciale engage les Etats contractants à reconnaître et exécuter les jugements rendus en matière civile et commerciale dans les autres Etats qui y sont parties. L’objectif est de faciliter l'accès à la justice des entreprises et des citoyens européens en garantissant une sécurité juridique accrue et en réduisant les frais de justice lors de litiges transfrontaliers. Le Conseil des affaires étrangères du 24 avril dernier a approuvé l’établissement de relations conventionnelles dans ce cadre avec l’Ukraine, qui avait ratifié la convention en 2022. Les Etats membres de l’Union ont ainsi estimé qu’il n’existe pas d’obstacles fondamentaux qui pourraient empêcher l’Union d’établir ces relations conventionnelles avec l’Ukraine, qui entreront en vigueur le 1er septembre 2023.

 
LIBERTE D'ASSOCIATION / Sanction administrative / Déclaration des fonds étrangers perçus / Liberté d’association / Arrêt de la Cour EDH 

La sanction administrative infligée au président d’une association constitue une ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté d’association du fait du manque de clarté des dispositions nationales et de la faiblesse du contrôle juridictionnel postérieur (9 mai) Arrêt Korkut et Amnesty International Turquie c. Turquie, requête n°61177/09 

La Cour EDH analyse les griefs du requérant sur le fondement de l’article 6 de la Convention relatif au droit à un procès équitable et de l’article 11 relatif à la liberté de réunion et d’association. Les requérants, l’association et son président, contestent leur condamnation à une sanction administrative pour s’être abstenus de déclarer à l’administration des fonds étrangers perçus par l’association avant de les utiliser. Dans un 1er temps, la Cour EDH estime que les juridictions internes n’ont pas effectué un contrôle suffisamment approfondi des moyens soulevés par les requérants, puisque celles-ci ne leur ont pas permis de présenter leurs arguments visant à démontrer que les fonds en question avaient bien été déclarés, ni n’ont pris en compte les nouveaux moyens présentés devant elles en appel. Dans un 2nd temps, la Cour EDH considère que l’amende administrative infligée au président de l’association constitue une ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté d’association. Du fait du manque de clarté des dispositions nationales, de l’inexistence de la jurisprudence nationale et de la faiblesse du contrôle juridictionnel, elle juge que les autorités nationales n’ont pas fourni les garanties adéquates et efficaces contre l’exercice arbitraire de l’exécutif. Partant, elle conclut à la violation des articles 6 et 11 de la Convention. 

 
LIBERTE D’EXPRESSION / Langue minoritaire / Minorité nationale / Campagne électorale / Liberté d’expression 

Arrêt de la Cour EDH L’interdiction absolue de s’exprimer dans une langue autre que la langue officielle de l’Etat dans le cadre d’une campagne électorale est contraire à la Convention (2 mai) Arrêt Mestan c. Bulgarie, requête n°24108/15 

La Cour EDH analyse les griefs formulés par le requérant sur le fondement de l’article 10 de la Convention relatif à la liberté d’expression. Dans le litige au principal, le requérant s’est vu infliger une sanction administrative pour s’être exprimé dans une langue minoritaire dans le cadre de sa campagne électorale. Dans un 1er temps, elle note que cette sanction constitue une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression du requérant. Dans un 2nd temps, la Cour EDH vérifie si les 3 conditions permettant de justifier cette ingérence sont remplies. Tout d’abord, elle constate que l’ingérence est prévue par une loi nationale prévoyant l’interdiction absolue d’employer une autre langue que la langue officielle de l’Etat lors des campagnes électorales. Ensuite, la Cour EDH estime que cette interdiction absolue est incompatible avec les valeurs essentielles d’une démocratie. En effet, de nombreuses recommandations du Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales soulignent l’importance de permettre aux candidats des groupes minoritaires la possibilité d’employer leur langue maternelle, afin de garantir aux minorités un accès égal aux élections. Enfin, elle considère que cette interdiction n’est pas proportionnée aux buts légitimes invoqués par le gouvernement, à savoir la protection de la sécurité nationale, de l’intégrité territoriale et la sûreté publique. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 10 de la Convention. 

 
LIBERTE D’EXPRESSION / Atteinte à la réputation / Droit à la liberté d’expression / Non-violation / Arrêt de la Cour EDH 

Un article de presse relatant des informations fiables et exactes sur des faits de corruption est d’intérêt public et n’est pas contraire à l’article 8 de la Convention (30 mai) Arrêt Mesić c. Croatie (n°2), requête n°45066/17 

La Cour EDH admet que les propos tenus dans l’article de presse litigieux ternissent la réputation du requérant, qui est protégée par l’article 8 de la Convention. Elle recherche alors si les juridictions nationales ont ménagé un juste équilibre entre la protection de la réputation du requérant et la liberté d’expression du portail d’informations ayant publié cet article. Dans un 1er temps, la Cour EDH constate que l’article visait le comportement du requérant dans l’exercice de ses fonctions officielles, et non pas sa vie privée, ce qui constitue une question d’intérêt général. Dans un 2ème temps, elle procède à une appréciation étendue des limites acceptables des critiques tenues à l’égard du requérant, en raison de sa notoriété d’ancien chef d’Etat. Dans un 3ème temps, elle constate que les informations obtenues proviennent d’actes officiels et sont véridiques. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 8 de la Convention. 

 
LIBERTE D'EXPRESSION / Manifestation / Disproportion de la peine / Droit à la liberté d’expression / Arrêt de la Cour EDH

Le fait d’infliger une peine privative de liberté dans le but de réprimer un comportement perturbateur mais non-violent lors d’une manifestation est disproportionné et contraire à la Convention (11 mai) Arrêt Chkhartishvili c. Géorgie, requête n°31349/20 

La Cour EDH commence par rappeler que la liberté d’association et la liberté d’expression, telles que consacrées par la Convention, sont fondamentales dans une société démocratique et bénéficient d’une interprétation extensive. En l’espèce, le requérant, opposé au rejet par le Parlement national d’un projet de réforme, avait été condamné à une peine privative de liberté pour avoir eu un comportement perturbateur mais non-violent lors d’une manifestation. Dans un 1er temps, la Cour EDH constate que cette ingérence dans le droit du requérant à la liberté de réunion pacifique était prévue par une loi nationale. Dans un 2ème temps, elle considère que cette ingérence poursuit un but légitime, à savoir la défense de l’ordre et la protection des droits d’autrui. Dans un 3ème temps, la Cour EDH considère cependant que cette ingérence était disproportionnée car seules des raisons impérieuses pouvaient justifier les restrictions apportées à la liberté du requérant de manifester ses opinions lors de cette manifestation. Partant, elle conclut à la violation de l’article 11 lu à la lumière de l’article 10 de la Convention.

 
LIBERTE D’EXPRESSION / Réseaux sociaux / Commentaires injurieux / Contexte électoral / Droit à la liberté d’expression / Non-violation / Arrêt de Grande chambre de la CEDH 

L’amende pénale infligée à un élu pour avoir manqué de supprimer, de ses réseaux sociaux accessibles au public et utilisés lors de sa campagne électorale, les propos islamophobes de tiers condamnés à ce titre, n’est pas contraire à la Convention (15 mai) Arrêt Sanchez c. France (Grande chambre), requête n°45581/15

Dans un 1er temps, la Cour EDH constate que la condamnation prononcée par les juridictions nationales constitue une ingérence dans l’exercice du requérant de son droit à la liberté d’expression. Elle estime toutefois que cette ingérence est fondée sur une loi nationale. Dans un 2ème temps, la Cour EDH considère que l’ingérence poursuivait un but légitime, à savoir celui de protéger la réputation d’autrui et d’assurer la défense de l’ordre et la prévention du crime. Dans un 3ème temps, elle prend en considération le contenu des commentaires qui désignent sans équivoque un groupe de personnes en raison de leur religion, le contexte de période électorale dans lequel s’inscrivaient les commentaires, ainsi que le statut particulier d’homme politique du requérant, pour constater que l’ingérence était nécessaire dans une société démocratique. Partant, la Grande chambre de la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 10 de la Convention. 

 
MIGRATION – SEJOUR / Hotspot / Traitement inhumain et dégradant / Arrêt de la Cour EDH 

La rétention arbitraire de migrants dans un centre d’accueil et d’enregistrement pendant 10 jours, dans des conditions matérielles médiocres et aboutissant à une expulsion collective constitue une violation de la Convention (30 mars) Arrêt J.A. e. a. c. Italie, requête n°21329/18 

Dans un 1er temps, la Cour EDH observe que les conditions d’accueil des requérants, notamment d’hygiène et d’espace, étaient insuffisantes dans le hotspot de Lampedusa. Dans un 2ème temps, elle estime que la détention des requérants au sein du hotspot n’a pas été limitée dans le temps et que les requérants n’étaient pas autorisés à en sortir. De plus, ceux-ci n’ont été informés des décrets de refoulement les concernant qu’au moment de leur expulsion. Dans un 3ème temps, la Cour EDH constate que les requérants n’ont pas été entendus individuellement et en déduit qu’ils ont été expulsés collectivement. Par la suite, elle note que les requérants n’ont pas eu le temps de former un recours contre ces décisions avant d’être expulsés. Partant, elle conclut à la violation des articles 3, 5 §§1, 2 et 4, ainsi que de l’article 4 du Protocole n°4 à la Convention. 

 
MIGRATION – SEJOUR / Autorisation de séjour / Rentier / Expulsion / Droit au respect de la vie privée / Arrêt de la Cour EDH 

Le refus des autorités suisses d’accorder au requérant une autorisation de séjour pour rentiers a entraîné une violation de son droit au respect de la vie privée (9 mai) Arrêt Ghadamian c. Suisse, requête n° 21768/19 

Le requérant, d’origine iranienne et séjournant en Suisse, alléguait en l’espèce que le prononcé de son expulsion, à la suite du refus du Tribunal fédéral de lui accorder une autorisation de séjour pour rentiers, portait atteinte à son droit à la vie privée. Dans un 1er temps, la Cour EDH rappelle que le refus d’un Etat de délivrer un permis de résidence à une personne ayant bâti sa vie sur le territoire en y séjournant de manière illégale ne constitue une violation de l’article 8 de la Convention que dans des cas exceptionnels. Dans un 2nd temps, elle constate que le requérant a 83 ans, qu’il séjourne sur le territoire depuis 49 ans, dont 33 ans légalement. La Cour EDH constate par ailleurs que le requérant a commis des infractions graves sur le territoire, ceci ayant motivé la décision des autorités de l’expulser. A cet égard, si elle admet que les agissements du requérant justifiaient des autorités qu’elles œuvrent pour l’expulsion de l’individu au nom de l’ordre public, la Cour EDH considère ces dernières n’ont cependant pas démontré avoir ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu. Partant, elle conclut à la violation de l’article 8 de la Convention. 

 
MIGRATION – SEJOUR / Expulsion / Résident de longue durée / Droit au respect de la vie privée / Arrêt de la Cour EDH

La révocation du permis de séjour d’un immigré établi de longue date à raison d’infractions pénales, en dépit des progrès accomplis et de sa maladie mentale, constitue une violation de la Convention (30 mai) Arrêt Azzaqui c. Pays-Bas, requête n°8757/20 

La Cour EDH commence par rappeler que s’il appartient aux Etats de contrôler l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire, l’expulsion d’un immigré établi de longue date doit être solidement justifiée. En l’espèce, les juridictions nationales ont motivé la révocation du permis de séjour et l’interdiction temporaire de séjour du requérant par la menace qu’il constituait pour l’ordre public en raison de ses condamnations pénales. Or, la Cour EDH juge que les juridictions nationales n’ont pas correctement mis en balance les intérêts en jeu car elles ont manqué d’examiner de manière effective la situation personnelle du requérant, à savoir sa maladie mentale, ses progrès accomplis et les difficultés qu’il pourrait rencontrer en retournant dans son pays d’origine. Partant, elle conclut à la violation de l’article 8 de la Convention. 

 
PENAL / Détention / Traitements inhumains ou dégradants / Arrêt de la Cour EDH 

Le traitement de détenus considérés comme des « parias » au sein des prisons russes est contraire à la Convention (2 mai) Arrêt S.P. e.a. c. Russie, requête n°36463/11 

La Cour EDH analyse les griefs formulés par les requérants sur le fondement de l’article 3 de la Convention relatif aux traitements inhumains ou dégradants ainsi que de l’article 13 relatif au droit à un recours effectif. Elle observe qu’il existe dans le système carcéral russe une hiérarchie informelle entre les détenus. En effet, ces derniers sont divisés en 4 castes, comprenant notamment une catégorie pour les détenus dits « parias », groupe le plus bas de la hiérarchie. En l’espèce, les requérants, détenus de cette dernière catégorie, étaient victimes de stigmatisations mais aussi de violences physiques et sexuelles. Ils étaient affectés à des tâches subalternes, n’avaient pas accès aux soins médicaux nécessaires, et ne pouvaient pas avoir une hygiène décente. La Cour EDH considère que cette hiérarchie et, par conséquent, la vulnérabilité des détenus appartenant à cette catégorie était connue ou aurait dû être connue des autorités internes. Elle note que pendant des années les requérants ont subi des violences physiques et psychologiques, s’apparentant à des traitements inhumains ou dégradants, sans que l’Etat n’agisse. Aucune action n’a été engagée par les agents pénitentiaires pour punir les autres codétenus. De plus, les requérants ne disposaient d’aucun recours effectif pour remédier à la situation, puisque le médiateur lui-même a admis que des plaintes n’auraient aucun effet. Partant, la Cour EDH conclut à la violation des articles 3 et 13 de la Convention.

 
PENAL / Mandat d’arrêt européen / Motif de refus d’exécution / Maladie / Risque de traitements inhumains ou dégradants / Arrêt de Grande chambre de la Cour 

L’autorité compétente d’un Etat membre peut refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen (« MAE ») s’il existe un risque sérieux d’atteinte à la santé de la personne recherchée (18 avril) Arrêt E. D. L. (Motif de refus fondé sur la maladie) (Grande chambre), aff. C-699/21 

Dans un 1er temps, la Cour rappelle le caractère fondamental des principes de confiance et de reconnaissance mutuelle entre les Etats membres pour garantir la coopération judiciaire en matière pénale. Ces principes justifient l’interprétation stricte de toute exception à l’exécution d’un MAE. Dans un 2ème temps, elle considère qu’à titre exceptionnel, l’autorité d’exécution est toutefois tenue de surseoir temporairement à la remise d’un individu recherché lorsqu’il existe des motifs sérieux et avérés, basés sur des éléments objectifs, indiquant que la remise de l’individu risque manifestement de mettre en danger sa santé. Pour apprécier ce risque, l’autorité d’exécution doit rechercher si celui-ci atteint un seuil minimal de gravité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. Dans un 3ème temps, la Cour précise que l’autorité d’exécution doit alors demander à l’autorité d’émission de lui fournir des informations relatives aux conditions de détention auxquelles l’individu serait soumis. Si ces informations garantissent l’absence de risque grave d’atteinte à sa santé, le MAE doit être exécuté. Dans le cas contraire, cette exécution doit être refusée. La Cour admet toutefois la possibilité de convenir d’une date de remise ultérieure, prévoyant un délai raisonnable pour écarter le risque.

 
PENAL / Détention administrative / Mesure d’éloignement / Atteinte à l’ordre public / Non-violation / Arrêt de la CEDH

Le placement du requérant, condamné pour appartenance à un groupe terroriste, en détention administrative pendant une longue période pour des raisons de protection de l’ordre public et de sécurité nationale, en vue de son éloignement, n’est pas contraire à la Convention (18 avril) Arrêt N.M. c. Belgique, requête n°43966/19 

La Cour EDH analyse les griefs formulés par le requérant sur le terrain de l’article 5 §1 de la Convention relatif au droit à la liberté et à la sûreté, l’article 5 §4 relatif au droit à ce qu’un tribunal statue à bref délai sur la légalité de sa détention et de l’article 3 relatif aux traitements inhumains ou dégradants. Dans un 1er temps, la Cour EDH note que de graves préoccupations d’ordre public et de sécurité nationale ont été prises en compte lors de la décision de maintenir le requérant en détention durant l’examen de sa demande d’asile. De plus, le requérant a eu accès à des soins médicaux et services de soutien psychologique durant sa détention. Malgré la longueur de la détention, la Cour EDH constate que les autorités nationales ont toujours réexaminé les demandes du requérant au regard de sa situation et des risques qu’il pouvait encourir en retournant en Algérie. Elle ne remet pas en cause les affirmations des autorités nationales à la vue de la dangerosité du requérant, précédemment condamné pour appartenance à un groupe terroriste. Dans un 2ème temps, la Cour EDH relève qu’aucune décision judiciaire n’a constaté l’illégalité de la détention et qu’ainsi, le contrôle effectué par les juridictions nationales ne peut être considéré comme étant insuffisant. Dans un 3ème temps, la Cour rappelle que l’isolement cellulaire ne constitue pas un traitement inhumain ou dégradant. La détention du requérant a été réévaluée de nombreuses fois par les autorités nationales en fonction notamment de son comportement. Partant, elle conclut à la non-violation de l’article 5 §§1 et 4 ainsi que de l’article 3 de la Convention.


PENAL / Jugement de condamnation / Droit à l’assistance d’un défenseur / Garanties procédurales / Droit à un procès équitable / Arrêt de la Cour EDH 

La condamnation pénale du requérant, sur la base de déclarations effectuées avant de consulter un avocat et sans avoir été dûment informé de ses droits de la défense, méconnait les exigences du droit à un procès équitable (11 mai) Arrêt Lalik c. Pologne, requête n°47834/19 

Le requérant en l’espèce alléguait que sa condamnation reposait largement sur des déclarations informelles qu’il a effectuées sans qu’il lui soit rappelé le droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat, ni qu’il soit informé des garanties procédurales fondamentales nécessaires à sa défense. Dans un 1er temps, la Cour EDH admet qu’il ressort des circonstances de l’affaire que le requérant n’a effectivement pas été dûment informé de l’ensemble de ses droits, notamment le droit de garder le silence, de ne pas contribuer à sa propre incrimination ou de consulter un avocat. Dans un 2nd temps, elle se dit préoccupée par le fait que les juridictions nationales aient admis le caractère probant des déclarations recueillies en violation de ces garanties fondamentales. La Cour EDH relève que l’utilisation de ces preuves a entraîné une répercussion sérieuse sur le cours de l’enquête et la condamnation subséquente du requérant, et que celui-ci a été placé dans une situation désavantageuse dès le début de l’enquête, sans que les juridictions internes ne relèvent l’absence des garanties procédurales nécessaires. Partant, la Cour EDH conclut à la violation des exigences du droit à un procès équitable, et en particulier de l’article 6 §3 c) de la Convention.


PENAL / Détention / Peine incompressible de facto / Unité psychiatrique / Traitements inhumains ou dégradants / Arrêt de la Cour EDH 

L’impossibilité matérielle pour le requérant détenu de se voir placé dans une unité psychiatrique légale, le contraignant ainsi à rester en prison depuis de nombreuses années, ne répond pas aux exigences de l’article 3 de la Convention (9 mai) Arrêt Horion c. Belgique, requête n°37928/20 

La Cour EDH analyse les griefs du requérant sur le fondement de l’article 3 de la Convention relatif à la prohibition des traitements inhumains ou dégradants. Ce dernier, détenu en prison depuis 1979 pour un quintuple meurtre, se plaint de subir une peine d’emprisonnement à vie incompressible de facto. Selon les pièces du dossier et la loi nationale, le requérant aurait pu bénéficier d’une permission de sortie, d’un congé pénitentiaire, d’une surveillance électronique ou d’une libération conditionnelle depuis le début des années 1990, ce que le tribunal de l’application des peines (ci-après « TAP ») a systématiquement refusé. Le TAP reconnait cependant que la détention du requérant n’est plus nécessaire, tant au regard de la sûreté publique qu’aux fins de sa réintégration dans la société, mais préconise son admission préalable dans une unité psychiatrique légale. Or, ces unités refusent d’admettre le requérant au vu de son statut de « condamné ». A cet égard, la Cour EDH note que le requérant se trouve dans une impasse et juge que malgré la particularité de la situation, la possibilité simplement formelle et non réaliste de demander une remise en liberté n’est pas suffisante au regard de l’article 3 de la Convention, qui garantit un droit absolu. Partant, elle conclut à la violation de cet article. 

 
PENAL / Mandat d’arrêt européen (« MAE ») / Refus d’exécution / Ressortissant d’un pays tiers / Appréciation de l’autorité judiciaire / Intérêt légitime / Arrêt de Grande chambre de la Cour

L’exécution d’un MAE à l’encontre d’un ressortissant de pays tiers peut être refusée par l’Etat membre d’exécution au motif que la peine peut être exécutée dans celui-ci (6 juin) Arrêt O. G. (Mandat d’arrêt européen à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers) (Grande chambre), aff. C-700/21

Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Corte costituzionale (Italie), la Cour de justice de l’Union européenne observe dans un 1er temps que la règlementation nationale qui exclut, de manière absolue et automatique, pour tout ressortissant de pays tiers, la possibilité de non-exécution du MAE émis à son encontre est contraire au principe d’égalité de traitement prévu par la Charte des droits fondamentaux de l’Union. Dans un 2ème temps, elle rappelle que l’application de ce motif de non-exécution facultative répond à la réunion de 2 conditions. D’une part, la personne recherchée doit demeurer dans l’Etat membre d’exécution. D’autre part, l’Etat membre d’exécution doit s’engager à exécuter la peine pour laquelle le MAE a été mis en place, conformément à son droit national. Dans un 3ème temps, la Cour précise que la réunion de ces 2 conditions est suivie de l’appréciation, par l’autorité judicaire d’exécution, de l’existence d’un intérêt légitime justifiant que la peine infligée dans le pays d’émission soit exécutée dans le pays d’exécution. Cette appréciation doit être globale et prendre en compte tous les éléments concrets caractérisant la situation de la personne recherchée, en mettant potentiellement en lumière le fait que l’exécution de la peine dans cet Etat membre contribue à sa réinsertion sociale.

 
TRANSPORTS / Intérêt général / Intérêt particulier / Constructeur de véhicule / Responsabilité / Arrêt de Grande chambre de la Cour 

Un acheteur peut se prévaloir d’un droit à réparation auprès d’un constructeur automobile dès lors que ce dernier lui a fourni un moteur équipé d’un dispositif d’invalidation illicite lui ayant causé un dommage (21 mars) Arrêt Mercedes-Benz Group (Responsabilité des constructeurs de véhicules munis de dispositifs d’invalidation) (Grande chambre), aff. C-100/21

 Saisie d’un renvoi préjudiciel par le tribunal régional de Ravensbourg (Allemagne), la Cour de justice de l’Union européenne estime que la directive 2007/46/CE établissant un cadre pour la réception des véhicules à moteur, lue en combinaison du règlement (CE) 715/2007 relatif à la réception des véhicules à moteur au regard des émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers, protègent non seulement les intérêts généraux, et notamment celui de garantir un niveau élevé de protection de l’environnement, mais aussi les intérêts particuliers de l’acheteur individuel d’un tel engin vis-à-vis du constructeur. La Cour considère que les Etats membres sont donc tenus de prévoir que l’acheteur bénéficie d’un droit à réparation de la part de son constructeur, lorsque cet acheteur subit effectivement un préjudice causé par l’installation par le constructeur, dans son véhicule, d’un dispositif d’invalidation interdit par le droit de l’Union. 

 
TRANSPORTS / Transports aériens / Décès d’un membre de l’équipage / Annulation d’un vol / Indemnisation des passagers / Arrêt de la Cour 

Le décès du copilote ne constitue pas une circonstance extraordinaire exonérant le transporteur aérien de son obligation d’indemnisation des passagers en cas d’annulation du vol (11 mai) Arrêt TAP Portugal (Décès du copilote), aff. jointes C-156/22 à C-158/22

Saisie de renvois préjudiciels par le Landgericht Stuttgart (Allemagne), la Cour de justice de l’Union européenne précise que relèvent de l’exercice normal des activités du transporteur aérien, les mesures concernant son personnel, à l’instar de la planification des équipages et de leurs horaires de travail. A cet égard, l’absence inopinée d’un ou de plusieurs membres de l’équipage indispensables pour assurer un vol, en raison d’une maladie ou d’un décès, ne peut être considérée comme une circonstance extraordinaire au sens du règlement (CE) 261/2004. En effet, la Cour ajoute que c’est l’absence en elle-même qui est un événement inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur, ce dernier devant s’attendre à de tels imprévus lors de la planification des emplois du temps des équipages. Cette conclusion est valable, indépendamment du fait que le membre de l’équipage avait satisfait aux examens médicaux réguliers. Par conséquent, le transporteur aérien n’est pas exonéré de son obligation d’indemniser les passagers. 

 
RGPD / Comité européen de la protection des données (« EDPB ») / Protection des données à caractère personnel / Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (« LBC-FT ») / Paquet législatif / Lettres aux institutions européennes 

L’EDPB a adressé des lettres au Parlement européen, au Conseil de l’Union européenne et à la Commission européenne sur le partage de données à des fins de LBC-FT (4 avril) Lettres aux institutions européennes L’EDPB partage son inquiétude concernant certains amendements introduits par le Conseil visant à permettre aux entités privées de partager des données à caractère personnel entre elles à des fins de LBC-FT pour les transactions suspectes et les données collectées dans le cadre de l’exécution des obligations de vigilance à l’égard de la clientèle. Il relève les risques importants que ces amendements impliquent pour la vie privée et la protection des données personnelles et émet des préoccupations quant à leur légalité, leur nécessité et leur proportionnalité. En effet, il considère que de telles dispositions pourraient entraîner un traitement de données à caractère personnel à grande échelle par des entités privées. En outre, l’EDPB estime que ces dispositions devraient préciser les conditions dans lesquelles un tel traitement est justifié et contenir des garanties suffisantes. Ainsi, il recommande aux colégislateurs de ne pas inclure ces amendements dans le texte final de la proposition.

 
RGPD / Protection des données à caractère personnel / Enseignement par vidéoconférence / Absence de consentement / Relation de travail / Arrêt de la Cour

Le traitement de données à caractère personnel d’enseignants lors de la diffusion de cours d’enseignement public délivrés par vidéoconférence relève du champ d’application matériel du règlement (UE) 2016/679 (dit « RGPD ») (30 mars) Arrêt Hauptpersonalrat der Lehrerinnen und Lehrer, aff. C-34/21

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Verwaltungsgericht Wiesbaden (Allemagne), la Cour de justice de l’Union européenne recherche dans un 1er temps l’existence d’une règle nationale plus spécifique et examine les conditions qu’elle doit remplir pour être considérée comme telle, conformément à l’article 88 du RGPD. A cet égard, elle rappelle que si le §1 autorise les Etats à adopter des règles plus spécifiques pour assurer la protection des données personnelles dans un cadre de travail, le §2 en précise les conditions. Dans un 2nd temps, la Cour rappelle qu’il revient à la juridiction nationale d’apprécier si les dispositions nationales respectent les conditions et limites prescrites par l’article 88. En l’absence de règles plus spécifiques, le traitement de données dans le cadre de relations de travail relève du RGPD. Par ailleurs, la Cour précise que lorsque les dispositions nationales ne respectent pas ce qui est prescrit par l’article 88, la juridiction nationale doit vérifier si ces dispositions constituent une base juridique pour le traitement de ces données, visée par un autre article du RGPD, qui respecte les exigences prévues par le RGPD.

 
RGPD / Recherche et société de l'information / Données à caractère personnel / Fourniture d’une copie des données / Droit d’accès / Arrêt de la Cour 

La personne concernée est en droit d’obtenir une copie fidèle et intégrale de ses données à caractère personnel afin de pouvoir exercer effectivement les droits qui lui sont conférés par le règlement (UE) 2016/679 (dit « RGPD ») (4 mai) Arrêt Österreichische Datenschutzbehörde et CRIF, aff. C-487/21 

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Bundesverwaltungsgericht (Autriche), la Cour de justice de l’Union européenne estime qu’il ressort de l’article 15 §3 du RGPD que la personne concernée peut obtenir une reproduction fidèle et intégrale de ses données personnelles, à savoir les données qui font l’objet d’opérations devant être qualifiées de traitement effectué par le responsable de traitement. En effet, ledit article vise à permettre à la personne concernée de vérifier la véracité de ses données et leur traitement licite. A cet égard, le responsable de traitement se doit de reproduire une copie concise, transparente, compréhensible et aisément accessible des données à la personne concernée qui souhaite exercer ses droits. Ainsi, cette dernière peut obtenir des extraits de documents, de bases de données ou encore des documents entiers, si cela est indispensable. Par ailleurs, la Cour considère qu’en cas de conflit entre l’exercice d’un droit d’accès aux données personnelles et les droits et libertés d’autrui, une mise en balance doit être effectuée. S’il convient de toujours privilégier des modalités de communication ne portant pas atteinte aux droits et libertés d’autrui, il ne faut toutefois pas que cela aboutisse à un refus de communication d’informations à la personne concernée.

 
RGPD / Protection des données à caractère personnel / Préjudice moral / Traitement de données personnelles / Droit à réparation / Arrêt de la Cour 

La simple violation du règlement UE 2016/679 (dit « RGPD ») n’ouvre pas un droit à réparation, 3 conditions cumulatives devant être réunies (4 mai) Arrêt Österreichische Post (Préjudice moral lié au traitement de données personnelles), aff. C-300/21 

Saisie d’un renvoi préjudiciel par l’Oberster Gerichtshof (Autriche), la Cour de justice de l’Union européenne précise les modalités du droit à réparation prévu par le RGPD. Dans un 1er temps, elle rappelle la subordination de ce droit à réparation à 3 conditions cumulatives, à savoir une violation du RGPD, un dommage matériel ou moral résultant de cette violation ainsi qu’un lien de causalité établi entre le dommage et la violation. Par conséquent, la simple violation du RGPD ne fonde pas, à elle seule, un droit à réparation. Dans un 2ème temps, la Cour souligne que le droit à réparation prévu par le RGPD n’est cependant pas limité aux dommages moraux atteignant un certain seuil de gravité, le législateur ayant retenu une conception large des notions de « dommage » et de « préjudice ». Dans un 3ème temps, elle constate qu’il appartient aux Etats membres de préciser, au sein de leurs ordres juridiques nationaux, les modalités d’évaluation des dommages-intérêts et en particulier les critères permettant de déterminer l’étendue de la réparation due dans le cadre du RGPD. Ces précisions nationales doivent toutefois être effectuées dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité.

 
RGPD / Contrôleur européen de la protection des données (« CEPD ») / Protection des données à caractère personnel / Rapport annuel Le CEPD a publié son rapport annuel pour 2022 dans lequel il établit un bilan à mi-parcours de sa stratégie 2020-2024 (26 avril) 

Rapport annuel En 2022, le CEPD a procédé à un examen à mi-parcours de sa stratégie 2020-2024 afin d’évaluer les progrès réalisés par rapport aux objectifs énumérés dans sa stratégie. Cet examen a permis également de dégager 4 priorités institutionnelles sur lesquelles le CEPD va davantage se pencher, à savoir l’application efficace de la protection des données dans un nouveau paysage réglementaire avec les Digital Acts notamment, l’interopérabilité, la coopération internationale afin de promouvoir des approches communes au niveau mondial sur les défis liés à la vie privée et à la protection des données, et le fait de repenser les processus du CEPD pour garantir leur efficacité dans en environnement en rapide évolution. En outre, lors de l’année 2022, le CEPD a accordé une attention particulière au contrôle de l'espace de liberté, de sécurité et de justice de l'UE, couvrant des domaines politiques tels que la gestion des frontières extérieures, la coopération judiciaire en matière civile et pénale, les migrations, l'asile. Il a également partagé son expertise aux législateurs européens sur des sujets liés à la santé, l’intelligence artificielle ou encore, la lutte contre la criminalité, afin que soient assurés le droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles. Par ailleurs, le CEPD a intensifié ses efforts sur les transferts internationaux de données. 

 
RGPD / Traitement de données à caractère personnel / Droit d’accès aux informations / Informations contenues dans les fichiers journaux générés par un système de traitement / Arrêt de la Cour 

Le règlement (UE) 2016/679 (dit « RGPD ») confère aux personnes le droit d’obtenir les informations relatives aux opérations de consultation de leurs données à caractère personnel, telles que la date et les raisons de celles-ci (22 juin) Arrêt Pankki S, aff. C-579/21 

Saisie d’un renvoi préjudiciel par l’Itä-Suomen hallinto-oikeus (Finlande), la Cour de justice de l’Union européenne rappelle tout d’abord que le RGPD est applicable à une demandée présentée après le 25 mai 2018, date d’entrée en application du RGPD, si cette demande porte sur des opérations de traitement de données personnelles faites avant cette date. Ensuite, s’agissant des informations relatives à des opérations de consultation des données à caractère personnel d’une personne, en particulier les dates et finalités de ces opérations, elle considère que ce sont des informations que la personne est en droit d’obtenir du responsable de traitement. Cependant, il n’est consacré aucun droit d’obtenir les informations relatives à l’identité des salariés ayant effectués ces opérations, sous les ordres du responsable, sauf si elles sont nécessaires pour que la personne exerce les droits qui lui sont conférés par le RGPD et si les droits et libertés du salarié sont respectés. En l’espèce, la Cour relève que le responsable de traitement exerce une activité bancaire dans le cadre d’une mission réglementée et que la personne ayant eu ses données traitées en sa qualité de cliente, est également l’employée du responsable. Toutefois, elle estime que cela n’a aucune incidence sur le droit de la personne à obtenir des informations relatives aux opérations de consultation des données à caractère personnel.

 
RGPD / Témoins de Jéhovah / Collecte de données / Liberté de religion / Non-violation / Arrêt de la CEDH 

L’obligation faite aux témoins de Jéhovah de recueillir le consentement des personnes dont ils collectent les données personnelles n’est pas contraire à l’article 9 de la Convention (9 mai) Arrêt Association Les Témoins de Jéhovah c. Finlande, requête n°31172/19 

La Cour EDH commence par rappeler que la liberté de conscience, de pensée et de religion garantie par l’article 9 de la Convention est essentielle aux sociétés démocratiques et couvre le prosélytisme. En l’espèce, elle admet dans un 1er temps que l’obligation imposée aux témoins de Jéhovah d’obtenir le consentement des personnes dont ils traitent les données personnelles dans le cadre de leur activité de prédication de porte-à-porte constitue une ingérence dans leurs droits prévus par l’article 9 de la Convention. Dans un 2ème temps, la Cour EDH constate néanmoins qu’une telle ingérence est prévue par une loi nationale dont la validité a précédemment été confirmée par la Cour de justice de l’Union européenne. Elle ajoute par ailleurs que cette ingérence poursuit un but légitime visant à protéger les droits et libertés d’autrui, au sens de l’article 9 §2 de la Convention. Dans un 3ème temps, la Cour EDH constate que cette loi s’applique à toutes les communautés religieuses et est nécessaire dans une société démocratique pour prévenir toute divulgation de données personnelles sensibles. Elle considère ainsi que les juridictions internes ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts en jeu. Partant, la Cour EDH conclut à la non violation de l’article 9 de la Convention. 

 
VIE PRIVEE / Retrait de passeport / Etat d’urgence / Turquie / Droit au respect de la vie privée / Droit à l’instruction / Arrêt de la CEDH

Le retrait des passeports d’universitaires, pendant une durée considérable, en application de mesures prises lors de l’état d’urgence, ayant eu une incidence significative sur leur vie professionnelle universitaire et privée à l’étranger, constitue une violation de la Convention (21 mars) Arrêt Telek e.a. c. Turquie, requêtes n°66763/17, 66767/17 et 15891/18 

Dans un 1er temps, la Cour EDH rappelle que les mesures restrictives imposées à la liberté de circulation des universitaires sont par essence de nature à entraver leurs activités professionnelles. Dans un 2ème temps, elle analyse le retrait de leur passeport, les privant ainsi de la possibilité de retourner dans le pays dans lequel réside leur famille, comme une ingérence dans l’exercice de leur droit au respect de la vie privée. De plus, la Cour EDH constate en l’espèce que les autorités nationales n’ont pas fourni d’éléments de nature à justifier une telle mesure. Dans un 3ème temps, elle rappelle l’obligation à la charge des Etats membres de ne pas entraver de manière injustifiée l’exercice du droit à l’instruction. La Cour EDH considère en l’espèce que l’impossibilité pour les requérants de poursuivre leurs études dans des universités étrangères en raison de cette mesure, constitue une limitation à leur droit à l’instruction. Partant, elle conclut à la violation de l’article 8 de la Convention et de l’article 2 du Protocole n°1 à la Convention.

 
VIE PRIVEE / Changement de sexe / Filiation / Acte de naissance / Droit à la vie privée et familiale / Non-violation / Arrêts de la Cour EDH

L’impossibilité légale pour un parent transgenre d’indiquer son genre actuel, sans lien avec sa fonction procréatrice, sur l’acte de naissance de son enfant conçu après le changement de genre ne viole pas la Convention (4 avril) Arrêts A.H e.a. c. Allemagne, requête n°7246/20 et O.H. et G.H. c. Allemagne, requêtes jointes n°53568/18 et 54741/18 

Dans un 1er temps, la Cour EDH rappelle qu’il n’y a pas de consensus parmi les Etats européens sur les modalités d’inscription d’un parent transgenre dans les registres de l’état civil et que les Etats jouissent d’une marge d’appréciation conséquente à cet égard. Dans un 2ème temps, elle cherche à savoir si les juridictions nationales ont correctement mis en balance les intérêts privés et publics, ainsi que les droits concurrents protégés par la Convention. Elle rappelle également que chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer. A ce titre, la Cour EDH considère qu’en l’espèce, les autorités nationales ont ménagé un juste équilibre entre l’intérêt public attaché à la fiabilité et à la cohérence de l’état civil et les droits de l’enfant de connaître les détails de sa filiation, d’une part, et les droits du parent transgenre d’être inscrit dans le registre des naissances avec son sexe actuel, d’autre part. Dans un 3ème temps, elle écarte le moyen de la discrimination au motif que la marge d’appréciation laissée aux Etats ne lui permet pas de comparer la situation des requérants à celle d’une femme ayant accouché ou de toute personne qui aurait contribué à la conception de l’enfant par fécondation au moyen de ses gamètes mâles. Partant, elle conclut à la non-violation de l’article 8 de la Convention. 

 
VIE PRIVEE / Couples de même sexe / Reconnaissance légale / Droit au respect de la vie privée / Arrêt de la Cour EDH 

L’absence de toute forme de reconnaissance et de protection juridique d’un couple de même sexe est contraire à la Convention (1er juin) Arrêt Maymulakhin et Markiv c. Ukraine, requête n°75135/14 

Dans cet arrêt, les requérants, un couple de même sexe entretenant une relation stable et solide s’étaient vu refuser toute possibilité d’encadrer des éléments fondamentaux de leur vie de couple, à l’exception de certains aspects patrimoniaux. Dans un 1er temps, la Cour EDH admet que les Etats membres sont libres de restreindre l’accès au mariage aux seuls couples hétérosexuels. Cependant, elle considère que lorsqu’une différence de traitement est fondée sur l’orientation sexuelle, la marge d’appréciation de l’Etat membre est étroite. Dans un 2nd temps, la Cour EDH rejette l’argument des autorités nationales tiré de la protection de la famille traditionnelle en ce que la reconnaissance et la protection juridique des couples de même sexe n’aurait pas pour effet de nuire aux familles constituées de manière traditionnelle. Partant, elle conclut à la violation de l’article 14 de la Convention lu en combinaison avec l’article 8. 

 
VIE PRIVEE / Couples de même sexe / Reconnaissance légale / Obligation positive / Droit au respect de la vie privée et familiale / Arrêt de la Cour EDH 

L’absence de toute forme de reconnaissance et de protection juridiques pour les couples de personnes de même sexe est contraire à l’article 8 de la Convention (23 mai) Arrêt Buhuceanu e.a. c. Roumanie, requête n°20081/19

La Cour EDH analyse les griefs des requérants sur le fondement de l’article 8 de la Convention relatif au respect de la vie privée et familiale. Les requérants, 21 couples homosexuels, se plaignaient du fait qu’il soit impossible pour eux de consentir à une forme légale d’union afin de pouvoir accéder aux mêmes droits sociaux et civils que les couples mariés hétérosexuels. Dans un 1er temps, la Cour EDH rappelle sa jurisprudence antérieure selon laquelle les Etats membres sont tenus de fournir, quelle qu’en soit la forme et le type, un cadre juridique permettant une reconnaissance et une protection adéquate des couples homosexuels, conformément aux évolutions sociétales. Dans un 2ème temps, elle écarte l’argument du Gouvernement selon lequel l’hostilité de la majorité hétérosexuelle pourrait être opposée à l’intérêt des requérants de voir leurs relations respectives adéquatement reconnues et protégées par la loi. Dans un 3ème temps, la Cour EDH affirme qu’il n’existe aucun risque pour l’institution du mariage du fait de l’octroi d’une reconnaissance et d’une protection juridiques aux unions homosexuelles puisqu’elle n’empêcherait pas les couples hétérosexuels de se marier. Elle affirme donc que les autorités nationales ont manqué à leur obligation positive de garantir le droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale. Partant, elle conclut à la violation de l’article 8 de la Convention. 
 

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Stéphane
Boonen
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