Dans le but de favoriser le réflexe européen, la TRIBUNE EUROPEENNE s’adresse à tous les avocats. Le droit européen est en effet directement applicable en droit interne et intéresse donc tous les praticiens puisque tous les avocats peuvent solliciter l’application de cette matière par le tribunal auquel il s’adresse.
Cette rubrique fait donc un rapide tour d’horizon de quelques décisions de la Cour de Justice et de la Cour européenne des droits de l’Homme reprises par nos amis français dans L’EUROPE EN BREF (Délégation des barreaux de France).
Il faut ici remercier le Président de la Délégation des Barreaux de France, Me Laurent Pettiti, et son équipe pour cette précieuse collaboration.
Stéphane Boonen
Relevé dans L’Europe en bref n°966 du 25 novembre au 16 décembre 2021
L’Europe en bref n°967 du 17 décembre 2021 au 20 janvier 2022
L’Europe en bref n°968 du 21 janvier au 3 février 2022
L’Europe en bref n°969 du 4 au 17 février 2022
L’Europe en bref n°970 du 18 février au 3 mars 2022
L’Europe en bref n°971 du 4 au 17 mars 2022
L’Europe en bref n°972 du 18 au 24 mars 2022
Droit de l’U.E. - Absence d’indépendance de l’avocat par rapport à son client – recours irrecevable
Les liens existants entre l’avocat et son client, coassocié et membre fondateur du cabinet d’avocat dans lequel il est collaborateur, portent manifestement atteinte à l’indépendance de l’avocat et ne lui permettent pas de représenter ce client devant les juridictions de l’Union européenne (24 mars)
Arrêt PJ c. EUIPO et PC c. EUIPO, aff. jointes C 529/18 P et C 531/18 P
La Cour de justice de l’Union européenne rappelle qu’au titre de l’article 19 de son Statut, l’avocat qui représente une partie doit agir en toute indépendance ainsi que dans le respect de la loi et des règles professionnelles et déontologiques afin de protéger et défendre au mieux les intérêts du mandant. La Cour précise que cette notion d’ « indépendance » exclut que les liens entre l’avocat et son client portent manifestement atteinte à sa capacité à assurer sa mission de défense, une telle irrecevabilité étant toutefois limitée aux seuls cas pour lesquels il est manifeste que l’avocat n’est pas en mesure d’assurer sa mission en servant au mieux les intérêts de son client. A ce titre, un lien contractuel de droit civil entre un avocat et son client est insuffisant. S’agissant de l’avocat collaborateur, il doit être présumé que même s’il exerce sa profession dans le cadre d’un contrat de travail, il remplit les mêmes exigences d’indépendance qu’un avocat exerçant individuellement ou comme associé dans un cabinet. Toutefois, lorsque le client est lui-même coassocié et membre fondateur du cabinet d’avocats, la Cour considère que celui-ci peut exercer un contrôle effectif sur le collaborateur. Ni le Tribunal de l’Union européenne ni la Cour n’ont l’obligation d’avertir l’auteur d’un recours ou de le mettre en mesure de procéder à la désignation d’un nouveau représentant en cours de procédure.
Droit de l’U.E. – Recours contre l’inaction de la Commission européenne saisie d’une plainte – rejet
Le recours contre l’inaction de la Commission européenne alors qu’elle était saisie d’une plainte pour des manquements présumés de la France au droit de l’Union européenne est rejeté (1er décembre)
Arrêt Union syndicale Solidaires des SDIS de France et DOM/TOM c. Commission, aff. T-152/21
Le Tribunal de l’Union européenne rappelle que la responsabilité non contractuelle de l’Union peut être engagée lorsque plusieurs conditions cumulatives sont réunies. Tout d’abord, le comportement reproché à l’institution doit être illégal. Ensuite, le requérant doit apporter la preuve de la réalité du dommage. Enfin, il doit exister un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué. Or, le Tribunal observe, d’une part, que l’absence de réponse sur l’avancement de la plainte, un an et demi après son introduction auprès de la Commission, ne saurait suffire pour constituer une violation suffisamment caractérisée de l’obligation de diligence. D’autre part, le Tribunal rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure administrative doit être apprécié en fonction des circonstances qui sont propres à chaque affaire. A cet égard, la requérante n’a pas fourni d’éléments précis permettant de démontrer que le principe du respect d’un délai raisonnable avait été violé. Partant, le Tribunal rejette le recours.
Droit de l’U.E. – Refus de la Commission européenne de verser des intérêts moratoires après l’annulation d’une amende - violation
Le refus de la Commission européenne de verser des intérêts moratoires sur le montant indûment payé d’une amende ultérieurement annulée et réduite engage la responsabilité non contractuelle de l’Union européenne (19 janvier)
Arrêt Deutsche Telekom c. Commission, aff. T 610/19
Selon le Tribunal de l’Union européenne, la requérante n’a pas démontré le caractère réel et certain du préjudice invoqué, à savoir le manque à gagner subi en raison de la privation de jouissance au cours de la période en cause du montant de l’amende indûment payé, pour pouvoir engager la responsabilité non contractuelle de l’Union. En revanche, le Tribunal considère que la Commission avait l’obligation de restituer, en vertu de l’article 266 TFUE, le montant de l’amende indûment payé avec des intérêts moratoires pour toute la période en cause. La créance de la requérante existait et était certaine à la date du paiement provisoire de l’amende puisque, d’une part, le règlement délégué (UE) 1268/2012 et le règlement (UE, Euratom) 966/2012 relatifs aux règles financières applicables au budget général de l’Union prévoient une créance de restitution au bénéfice de la société qui a payé à titre provisoire une amende annulée et réduite et, d’autre part, l’annulation et la réduction du montant de l’amende par le juge de l’Union a un effet rétroactif. Le refus de la Commission constitue donc une violation caractérisée du droit de l’Union. Le Tribunal précise que la Commission n’a aucune marge d’appréciation, elle ne peut pas déterminer les conditions dans lesquelles elle versera ces intérêts moratoires.
Droit de l’U.E. – application d’une loi nationale contraire à une directive n’ayant pas d’effet direct – question préjudicielle
Une juridiction nationale n’est pas tenue d’exclure l’application d’une loi nationale contraire à une directive qui n’est pas d’effet direct dans le cadre d’un litige entre particuliers, et ce, même si cette contrariété a été constatée par un arrêt en manquement (18 janvier)
Arrêt Thelen Technopark Berlin (Grande chambre), aff. C-261/20
Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Bundesgerichtshof (Allemagne), la Cour de justice de l’Union européenne interprète l’article 15 §1, §2, sous g), et §3 de la directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur. Si la Cour écarte l’obligation d’exclusion d’application de la loi nationale de transposition sur la seule base du droit de l’Union européenne, elle prévoit 2 limites à ce principe. En 1er lieu, la juridiction nationale peut exclure l’application de la réglementation sur le fondement du droit national dans le cadre d’un tel litige, si ce droit le prévoit. En 2nd lieu, la partie lésée par la non-conformité du droit national au droit de l’Union dispose du droit de demander, devant les juridictions nationales, la réparation du préjudice qu’elle a subi en raison de la violation du droit de l’Union du fait de la transposition incorrecte de la directive.
Droit familial – reconnaissance de la filiation avec les parents d’un même sexe dans un autre pays de l’Union – question préjudicielle
Un enfant mineur ressortissant d’un Etat membre né dans un autre Etat membre doit se voir accorder un document d’identité par les autorités nationales, lequel doit reconnaître son lien de filiation avec ses parents de même sexe tel qu’établi dans l’acte de naissance (14 décembre)
Arrêt Stolichna obshtina, rayon « Pancharevo » (Grande chambre), aff., C-490/20
Saisie d’un renvoi préjudiciel par l’Administrativen sad Sofia-grad (Bulgarie), la Cour de justice de l’Union européenne relève que les autorités de l’Etat membre dont est ressortissant un enfant mineur né dans un autre Etat membre sont tenues de lui délivrer un document d’identité, et ce, tel qu’il résulte des informations de l’acte de naissance établi par les autorités de l’Etat membre d’accueil. Ils doivent donc mentionner 2 personnes de même sexe comme étant ses parents, si tel est le cas dans l’acte de naissance, et ce, même si l’Etat membre d’origine ne reconnaît pas la possibilité de faire une telle mention sur un acte de naissance. L’Etat membre d’origine est également tenu de reconnaître le lien de filiation, établi dans l’Etat membre d’accueil, entre l’enfant et chacun de ses 2 parents de même sexe. En effet, cette obligation doit notamment permettre à l’enfant d’exercer les droits découlant de son statut de citoyen européen, en particulier son droit de circuler et séjourner librement sur le territoire des Etats membres, avec chacun de ses 2 parents. La circonstance selon laquelle l’un des 2 parents est un ressortissant du Royaume-Uni qui n’est plus membre de l’Union européenne est par ailleurs sans incidence sur la solution de l’arrêt.
Droit familial – adoption à l’encontre des souhaits de la mère - violation
La décision autorisant l’adoption d’un enfant par une famille d’accueil en allant à l’encontre des souhaits de sa mère, est contraire à l’article 8 de la Convention relatif au droit au respect de la vie privée et familiale (10 décembre)
Arrêt Abdi Ibrahim c. Norvège (Grande chambre), requête n°15379/16
La Cour EDH rappelle que si les autorités nationales ne sont pas tenues de placer un enfant dans une famille partageant son identité religieuse, ethnique, culturelle et linguistique ou celle de ses parents, elles ont l’obligation de prendre en compte ces facteurs. En l’espèce, elle constate que le processus décisionnel dans son ensemble, lequel a abouti à l’adoption de l’enfant, n’a pas été conduit en prenant dûment en compte la totalité des vues et intérêts de la mère de cet enfant. En particulier, les juridictions nationales ont principalement attaché de l’importance à l’opposition de la famille d’accueil à une forme d’adoption qui aurait permis à la mère de maintenir des liens familiaux avec l’enfant dans leur intérêt mutuel. Ainsi, il n’a pas été démontré en quoi les circonstances étaient de nature à justifier une rupture complète et définitive des liens entre la requérante et son enfant. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 8 de la Convention.
Droit familial – adoption ne préservant pas autant que possible le lien avec la mère - violation
La décision autorisant l’adoption d’un enfant par une famille d’accueil sans préserver autant que possible le lien avec sa mère est contraire à l’article 8 de la Convention relatif au droit au respect de la vie privée et familiale (20 janvier)
Arrêt D.M et N. c. Italie, requête n°60083/19
La Cour EDH rappelle que le retrait de la garde d’un enfant à ses parents constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale de telle sorte qu’il doit être justifié par l’intérêt supérieur de l’enfant et être proportionné au but poursuivi. En l’espèce, elle relève tout d’abord que les juridictions nationales n’ont pas démontré que l’enfant avait été exposé à des situations de violences, de maltraitances ou de déficits affectifs. Ensuite, la Cour EDH constate que la décision de rompre le lien familial n’a pas été précédée d’une évaluation de la capacité de la mère à exercer son rôle de parent ni d’aucune expertise psychologique. Enfin, elle observe que les juridictions nationales ont décidé de procéder à la déclaration d’adoptabilité de l’enfant provoquant ainsi l’éloignement définitif et irréversible de sa mère, alors même que d’autres solutions moins radicales étaient envisageables. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 8 de la Convention.
Droits fondamentaux – respect de la vie privée – couple homosexuel – refus de reconnaître le lien de filiation – non-violation
Le refus des juridictions de reconnaître un lien de filiation entre un enfant et l’ancienne compagne de sa mère biologique n’est pas contraire à l’article 8 de la Convention (24 mars)
Arrêt C.E e.a c. France, requêtes n°29775/18 et 29693/19
Dans un 1er temps, la Cour EDH rappelle que l’existence d’une vie familiale peut être reconnue lorsque les parties cohabitent en dehors de tout lien marital ou lorsque d’autres facteurs démontrent qu’une relation a suffisamment de constance. Or, elle constate que malgré la séparation des couples, les requérantes ont pu mener une vie familiale comparable à celle de la plupart des familles de sorte qu’il n’y a pas eu de violation de leur droit au respect de la vie familiale. Dans un 2nd temps, la Cour EDH indique que des instruments juridiques permettent d’obtenir le partage de l’exercice de l’autorité parentale afin d’exercer des droits et des devoirs à l’égard de l’enfant. Par ailleurs, elle relève que pour l’une des affaires, la filiation pouvait être établie en application de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique permettant aux couples de femmes qui ont recours à une assistance médicale à la procréation à l’étranger de reconnaître conjointement l’enfant dont la filiation n’est établie qu’à l’égard de la femme qui a accouché. Dans l’autre affaire, le passage à la majorité de l’enfant permettait d’engager une adoption simple. Partant, la Cour EDH considère que l’Etat n’a pas manqué à son obligation de garantir le respect effectif de la vie privée prévu à l’article 8 de la Convention.
Droits fondamentaux – asile – risque de tortures - violation
S'ils étaient renvoyés au Tadjikistan, les requérants seraient exposés à un risque réel d'être torturés ou soumis à des peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l’article 3 de la Convention, en raison de l’appartenance du premier requérant à un parti politique qui a été interdit et déclaré organisation terroriste (22 mars)
Arrêt T.K. e.a. c. Lituanie, n°55978/20
La Cour EDH rappelle que lorsque le requérant n'a pas encore été expulsé, l'existence d'un risque de mauvais traitements doit s’apprécier au regard de la situation au moment où elle statue. En outre, dès lors qu’aucune donnée fiable ne permet d’établir un risque général au sein de l’Etat concerné, ce risque doit s’apprécier au regard de la situation personnelle des requérants. La Cour EDH relève, d’une part, que des rapports récents de sources fiables, telles que le Comité des droits de l'homme des Nations unies, Human Rights Watch ou Amnesty International, font état de mauvais traitements à l’encontre des opposants politiques, y compris des membres du parti politique dont le premier requérant était membre et qui a été interdit et déclaré organisation terroriste. D’autre part, les autorités nationales n'ont pas expliqué pourquoi le niveau de participation du premier requérant aux activités du parti était insuffisant pour faire courir un risque de mauvais traitements, ni examiné les éléments fournis par les requérants afin de prouver le contraire. Dès lors, elles n'ont pas procédé à une évaluation adéquate de l'existence d'un risque de mauvais traitements. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 3 de la Convention.
Droits fondamentaux – arrêté d’expulsion – non violation
Un arrêté d’expulsion du territoire ne constitue pas une mesure contraire à l’article 8 de la Convention dès lors que les juridictions nationales indépendantes et impartiales ont assuré un contrôle de proportionnalité de la mesure (16 décembre)
Décision Alami c. France, requête n°43084/19
La Cour EDH rappelle que les Etats parties à la Convention disposent d’une large marge d’appréciation en matière de droit au respect de la vie privée et familiale. Elle constate qu’en l’espèce, les juridictions nationales ont ordonné la mesure litigieuse en opérant un contrôle de proportionnalité de l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant. Elles ont procédé à une mise en balance des intérêts du requérant et de l’intérêt général, en tenant compte de la gravité des infractions pénales pour lesquelles ce dernier a été condamné à plusieurs reprises. En outre, si les juridictions nationales ont soigneusement examiné les liens du requérant avec ses enfants résidant en France, celui-ci n’a pas été en mesure de prouver une dépendance à leur égard, ou l’absence de liens sociaux et culturels dans son pays d’origine où il a vécu jusqu’à l’âge de 24 ans. Dès lors, l’exigence de proportionnalité a été respectée, et la Cour EDH n’a pas à substituer son appréciation à celle des autorités nationales compétentes. Partant, la Cour EDH rejette la requête.
Droits fondamentaux – détention d’un requérant souffrant de troubles psychiatriques malgré les décisions contraires des tribunaux – violation
Le maintien en détention ordinaire d’un requérant souffrant de troubles psychiatriques, malgré les décisions des tribunaux nationaux ordonnant son transfert dans un établissement adapté à son état de santé mentale, emporte violation de l’article 3 de la Convention (24 janvier)
Arrêt Sy c. Italie, requête n°11791/20
La Cour EDH relève, dans un 1er temps que le requérant n’a bénéficié d’aucune stratégie thérapeutique globale de prise en charge de sa pathologie visant à porter remède à ses problèmes de santé ou à prévenir leur aggravation, et ce, dans un contexte caractérisé par de mauvaises conditions de détention. Malgré l’incompatibilité avec son état de santé mentale, il est resté près de 2 ans en milieu pénitentiaire ordinaire. Dans un 2nd temps, la Cour EDH considère que l’absence de places dans une résidence adéquate ne peut valablement justifier le maintien du requérant en milieu pénitentiaire. Elle rappelle l’obligation de tout Etat partie à la Convention d’organiser son système pénitentiaire de manière à garantir le respect de la dignité des détenus, indépendamment de toute difficulté financière ou logistique. Partant, la détention du requérant est contraire à l’article 3 de la Convention prohibant la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants.
Droits fondamentaux – manque de mesures protectrices dans le cadre de violences conjugales - violation
Le manque de mesures protectrices mises en place par les autorités nationales à l’égard d’une femme ayant déposé plusieurs plaintes contre son époux violent et obsessionnel les 9 mois précédant son assassinat a entraîné une violation de son droit à la vie (22 mars)
Arrêt Y e.a. c. Bulgarie, requête n°9077/18
La Cour EDH observe que les 9 mois précédant l’assassinat de la victime par son mari, cette dernière a alerté à plusieurs reprises les autorités nationales par le biais de 4 plaintes écrites et de 2 appels aux forces de l’ordre, dont l’un la veille du crime conjugal. Dans un 1er temps, elle considère que les autorités n’ont réagi immédiatement qu’à une seule reprise, lorsque la mère de la victime a contacté les autorités à propos d’un différend entre les époux. En outre, elle estime que l’évaluation des risques par les autorités a été lacunaire tout au long de l’enquête, ne prenant pas même au sérieux la possession d’une arme de poing par le condamné et son attitude obsessionnelle et violente envers la victime. Dans un 2nd temps, la Cour EDH considère que les autorités disposaient d’outils suffisants pour adopter des mesures préventives, telles que la saisie de l’arme, l’arrestation du condamné ou le placement de la victime sous protection policière. Selon elle, la question de savoir si au moment des faits, l’absence d’une réglementation incriminant le harcèlement criminel dans le droit national a contribué à l’absence de mesures de la part des autorités importe peu. Partant, elle conclut à la violation de l’article 2 de la Convention.
Droits fondamentaux – acte de naissance – refus de délivrance suite à une conversion sexuelle – non-violation
Le refus des autorités de fournir un nouvel acte de naissance qui ne fait pas référence au sexe assigné à la naissance à la suite d’une conversion sexuelle n’emporte pas violation de la Convention (17 février)
Arrêt Y c. Pologne, requête n°74131/14
La Cour EDH rappelle que la marge d’appréciation laissée à un Etat dans la mise en œuvre du droit au respect de la vie privée est restreinte lorsqu’une facette importante de l’existence ou de l’identité d’un individu est en jeu. En l’espèce, elle relève que le requérant ne conteste pas l’absence de cadre réglementaire pour la reconnaissance légale du genre en Pologne, mais la violation alléguée du droit à la vie privée, les informations relatives à son changement de sexe figurant dans son acte de naissance complet. La Cour EDH constate que le requérant a pu modifier son nom et son sexe dans les documents officiels, l’annotation correspondante a été portée au registre de l'état civil et de nouveaux documents d'identité lui ont été délivrés. En outre, les actes de naissance complets ne sont pas accessibles au public et il n'apparaît pas que dans sa vie quotidienne le requérant soit amené à révéler ces détails intimes de sa vie privée. Les refus qui lui ont été opposés par les autorités polonaises n’ont donc pas entraîné des répercussions négatives à son égard. Par ailleurs, la référence au sexe assigné à la naissance peut être nécessaire pour prouver certains faits antérieurs au changement de sexe. Partant, considérant que les autorités polonaises ont mis en balance les intérêts et agi dans les limites de leur pouvoir d’appréciation, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 8 de la Convention.
Droits fondamentaux – entrave à la liberté d’expression - condamnation pour injure raciale – non-violation
La condamnation pour injure raciale et pour contestation de crime contre l’humanité d’une personnalité française connue ne constitue pas une entrave à sa liberté d’expression (25 février)
Arrêt Alain Bonnet c. France, requête n°35364/19
La Cour EDH observe dans un 1er temps que la condamnation du requérant pour injure publique à caractère racial et pour contestation de crime contre l’humanité constitue une ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression. Si elle établit que cette immixtion est prévue par la loi et poursuit un but légitime, la Cour EDH relève que le dessin représentant le visage de Charlie Chaplin devant une étoile de David et qui pose une question relative à la réalité de la Shoah ne contribue pas à un débat d’intérêt général. Dans un 2nd temps, la Cour EDH observe que le support utilisé est un site Internet et que même si le contenu a été supprimé, le message nocif reste accessible en ligne. Quant au contexte dans lequel les propos incriminés ont été diffusés, l’Holocauste fait partie de la catégorie des faits historiques clairement établis et la publication est intervenue seulement quelques jours après les attentats suicides à la bombe de Bruxelles. L’ingérence dans le droit à la liberté d’expression du requérant était donc nécessaire dans une société démocratique. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 10 de la Convention.
Droits fondamentaux – réduction des honoraires d’avocats commis d’office – violation
La réduction des honoraires d’avocats commis d’office au motif que la mission d’assistance juridique a bénéficié à toutes les parties civiles est contraire à l’article 1 du Protocole n°1 de la Convention relatif au droit au respect des biens (25 janvier)
Arrêt Dănoiu e.a. c. Roumanie, requête n°54780/15
La Cour EDH rappelle tout d’abord qu’une ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens ne peut être autorisée que si elle est justifiée par une base légale précise, accessible et prévisible, entourée de garanties suffisantes contre l’arbitraire. En l’espèce, elle constate tout d’abord que les avocats ont représenté pendant plus de 6 ans, 8 607 parties civiles lors de 46 audiences. En outre, les autorités nationales n’ont ni contesté, ni annulé le paiement des honoraires. Ainsi, la décision des juridictions nationales de réduire les honoraires au motif que la mission d’assistance juridique a profité à toutes les parties civiles n’apparaît pas justifiée. Ensuite, la Cour EDH indique que la décision des juridictions nationales n’était pas en conformité avec la législation et la jurisprudence nationale de sorte que celle-ci était imprévisible. Enfin, elle constate que les requérants étaient dans l’impossibilité de contester ces mesures, les privant ainsi des garanties procédurales contre une décision arbitraire. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 1 du Protocole n°1 de la Convention.
Droits fondamentaux – publication relative au non-paiement de l’impôt par des personnes fortunées – non violation
La publication d’un article de presse relatif au non-paiement de l’impôt public par des personnes fortunées n’est pas contraire au droit au respect de la vie privée dès lors que le contenu est étayé par des faits et n’a pas été écrit de mauvaise foi (30 novembre)
Arrêt Tiriac c. Roumanie, requête n°51107/16
La Cour EDH rappelle que si la presse se doit de respecter la réputation et les droits d’autrui, elle a toutefois un devoir d’information sur toute question d’intérêt public afin d’assurer son rôle de chien de garde de la démocratie. En l’espèce, elle constate que l’article de presse prétendument diffamatoire a porté sur une question d’intérêt public puisqu’il concernait les effets de pratiques commerciales de certaines personnes fortunées, dont celles du requérant, sur le système de perception des impôts publics. En outre, la Cour EDH considère que l’article en question n’était pas offensant et contenait des déclarations étayées par des faits. Elle ajoute que le journaliste n’a pas agi avec mauvaise foi et que son article ne visait pas la vie privée du requérant mais ses activités professionnelles. Pour rejeter le recours du requérant, les juridictions nationales ont mis en balance le droit à la liberté d’expression des journalistes et le droit à la vie privée conformément aux critères de la jurisprudence de la Cour EDH. Partant, cette dernière conclut à la non-violation de l’artcile 8.
Droits fondamentaux – motivation inadéquate déjà censurée par la Cour de cassation - non violation
La motivation d’une décision en matière civile qui condamne le requérant au versement de dommages et intérêts en des termes susceptibles de le présenter comme coupable d’une infraction dont il a été relaxé ne constitue pas une violation de l’article 6 §2 de la Convention lorsque cette motivation a été censurée en cassation (24 mars)
Arrêt Benghezal c. France, requête n°48045/15
Dans un 1er temps, la Cour EDH relève que la Cour de cassation a jugé que les termes inappropriés utilisés par la cour d’appel avaient été utilisés à tort. Bien que la Cour conclut au rejet de son pourvoi, les motifs retenus censurent sans ambiguïté les termes de l’arrêt qui caractérisaient une atteinte au droit à la présomption d’innocence. Partant, elle considère qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 6 §2 de la Convention. Dans un 2nd temps, la Cour EDH considère que la condamnation à payer les frais engagés par la partie civile pour sa défense étaient relativement élevés. Or, d’une part, cette procédure a permis au requérant d’obtenir qu’il soit remédié à l’atteinte dont il était victime et, d’autre part, la Cour de cassation avait la possibilité de diminuer ces frais pour des considérations d’équité de sorte que cette restriction au droit d’accès à un tribunal était disproportionnée au but légitime poursuivi. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 6 §1 de la Convention.
Droit pénal – infractions distinctes de proxénétisme et de blanchiment – non violation
La condamnation d’un individu à des sanctions pénales et fiscales pour des infractions distinctes de proxénétisme et de blanchiment d’argent n’est pas contraire à la Convention (16 décembre)
Décision Alves de Oliveira c. France, requête n°23612/20
S’agissant de l’article 1 du Protocole n°1 à la Convention, la Cour EDH relève que l’ingérence des autorités dans le droit au respect des biens du requérant était prévue par la loi et poursuivait un but d’intérêt public, à savoir, la lutte contre le proxénétisme et la lutte contre le blanchiment de capitaux provenant de ce délit. Au regard de l’appréciation menée par les juges nationaux, du montant de la confiscation des biens immobiliers et des possibilités de recours dont a bénéficié le requérant, elle estime que l’ingérence n’était pas disproportionnée. S’agissant de l’article 4 du Protocole n°7 à la Convention, la Cour EDH considère que les sanctions pénales prononcées simultanément par une seule et même juridiction, ne concernaient ni des faits identiques ni des faits qui pourraient être considérés comme étant substance les mêmes. Elle ajoute que la procédure administrative tendant à la fixation de l’assiette de l’impôt, assortie de majorations et de pénalités, d’une part, et la poursuite pénale pour proxénétisme et blanchiment de l’argent provenant de ce délit, d’autre part, n’ont pas trait à la même infraction, de sorte qu’aucune question ne saurait se poser sous l’angle du droit à ne pas être jugé ou puni 2 fois. Partant, la Cour EDH rejette la requête.
Droit pénal – audition sous la contrainte – violation
L’audition d’une personne conduite sous la contrainte devant un officier de police judiciaire sans qu’elle soit placée en garde à vue afin de bénéficier des garanties particulières liées à ce régime est contraire à l’article 5 de la Convention (9 décembre)
Arrêt Jarrand c. France, requête n°56138/16
La Cour EDH constate que si l’intrusion des forces de l’ordre dans le domicile du requérant constitue une ingérence dans le droit à la vie privée et familiale de ce dernier, l’ingérence litigieuse était nécessaire, prévue par la loi, et poursuivait le but légitime de prévention des infractions pénales. Partant, elle conclut à la non-violation de l’article 8 de la Convention. Toutefois, elle considère que les modalités de l’audition libre du requérant qui a suivi son arrestation constituent une privation de liberté, celui-ci ayant été conduit au commissariat sous la contrainte. Si l’arrestation ne pose pas en elle-même de difficulté, la Cour EDH constate que le requérant a été privé de liberté sans bénéficier du régime de la garde à vue et des droits qui y sont associés, en violation du droit national qui prévoit que toute personne conduite devant un officier de police judiciaire sous la contrainte doit être entendue selon le régime de la garde à vue. L’audition du requérant ne s’est donc pas déroulée conformément aux voies légales. En outre, les juridictions nationales n’ont pas examiné la conformité de la détention à l’article 5 §1, privant ainsi le requérant de son droit à l’indemnisation du préjudice allégué. Partant, la Cour EDH conclut à la violation des articles 5 §1 et 5 §5 de la Convention.
Droit pénal – usage de la force lors d’une interpellation d’un individu en état de démence - non violation
L’usage de la force par les gendarmes lors de l’interpellation d’un individu dans un état de démence n’a pas entraîné de violation de l’article 3 de la Convention relatif à l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants (16 décembre)
Décision Tenenbaum c. France, requête n°68260/17
S’agissant du volet procédural, la Cour EDH constate que la procédure d’enquête concernant les faits allégués par le requérant a été menée par une autorité judiciaire indépendante, dénuée de lien hiérarchique ou structurel avec la police. Bien que le requérant n’ait pas été entendu sur les faits qu’il dénonçait, elle estime que l’enquête, prise dans son ensemble, a été menée de manière effective. S’agissant du volet matériel, la Cour EDH note que les gendarmes sont intervenus après une violente altercation au cours de laquelle le requérant avait reçu plusieurs coups. Le requérant qui souffrait alors de troubles psychiques et neurologiques ayant résisté avec force aux gendarmes lorsqu’ils ont tenté de le menotter, la chambre de l’instruction a valablement constaté que l’état de démence dans lequel il se trouvait au moment de son arrestation l’avait rendu difficilement contrôlable. Partant, la Cour EDH rejette la requête.
Droit pénal – non-assistance d’un avocat au cours d’interrogatoires de police - violation
La condamnation d’un individu sur la base de déclarations incriminantes faites au cours d’interrogatoires de police lors desquels il n’a pas eu droit à un avocat est contraire à l’article 6 de la Convention (18 janvier)
Arrêt Atristain Gorosabel c. Espagne, requête n°15508/15
La Cour EDH relève qu’en l’espèce les autorités n’ont pas apprécié et justifié individuellement la nécessité de restreindre l’accès du requérant à un défenseur de son choix et que l’ordonnance de placement en détention au secret était trop générale. Or, une détention au secret ne peut être décidée par un juge d’instruction que dans des circonstances exceptionnelles et conformément à la loi. En outre, la Cour EDH rappelle que l’article 6 de la Convention s’applique également aux phases qui précèdent la procédure de jugement. Elle précise qu’une accusation en matière pénale implique que l’accès à un avocat soit consenti. Or, la Cour EDH constate que le requérant a été condamné sur la base de déclarations faites au commissariat pendant lesquelles son avocat commis d’office n’avait pas pu le contacter.
Droit pénal – témoins n’ayant pas été entendus à l’audience – violation
La condamnation d’un trafiquant de migrants fondée sur des déclarations de témoins qui n’ont pas pu être entendus au procès est contraire au droit à un procès équitable et emporte violation de la Convention (10 février)
Arrêt Al Alo c. Slovaquie, requête n°32084/19
La Cour EDH rappelle que la non-comparution d’un témoin à une audience ne peut se justifier que par un motif sérieux. Or, en l’espèce, aucune bonne raison ne justifiait d’admettre les dépositions préliminaires des témoins migrants au lieu de leur comparution et de leur interrogatoire en personne. La Cour EDH observe également que les dépositions des témoins migrants, jugées essentielles par les juridictions en appel, ont revêtu un poids significatif susceptible d’avoir causé des difficultés à la défense. Enfin, elle relève que les juridictions nationales ont considéré que le droit à un procès pénal contradictoire avait été respecté au seul motif que le requérant avait été informé de l’interrogatoire préliminaire des migrants, et ce, alors même s’il avait décidé de ne pas y assister. Bien que le choix du requérant puisse constituer une renonciation à ses droits, celle-ci n’a pas été entourée des garanties minimales requises rendant la procédure inéquitable. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 6 §1 et § 3, sous d), de la Convention.