Le 24 janvier 2020 fut célébrée comme la journée des avocats en danger au Pakistan.
Cet élan de solidarité au sein de la profession s’organise depuis une décennie en désignant chaque année le pays dans lequel la situation des avocats justifie une attention particulière.
2020 est l’année du Pakistan et le 24 janvier fut la journée durant laquelle, de Manille à Vancouver, en passant par Bruxelles, les avocats ont exprimé, en toge, devant les Ambassades, leur soutien aux confrères pakistanais.
La menace est, pour ces avocats, multiforme et permanente.
Elle se concrétise, depuis des décennies, par de mesures de harcèlement, y compris judiciaire, des menaces graves, des pratiques d’intimidation diverses, des attaques à leur intégrité physique et morale et des meurtres pour des motifs strictement liés à l’exercice de la profession[1].
Les auteurs de ces persécutions se trouvent autant parmi les terroristes et extrémistes religieux que parmi les forces de police et certaines milices pro-gouvernementales.
Il n’est pas rare que le simple fait d’accepter une défense expose l’avocat au danger. Les affaires fondées sur des poursuites pour blasphème en sont l’exemple le plus grave mais nombreuses sont les situations où l’avocat, assimilé à son client, est visé au même titre que celui dont la culture, la religion ou le sexe dérange et en fait une cible.
Toutefois les avocats au Pakistan résistent, ils s’indignent, manifestent, protestent publiquement et organisent des grèves, y compris lorsque les juges sont attaqués comme ils l’ont encore fait tout récemment pour protester fermement contre les accusations des militaires et du gouvernement critiquant certaines décisions de juges dont l’indépendance dérange.
Ils peuvent compter sur un barreau national[2] fort, très fermement et ouvertement engagé dans la défense de ses membres et d’un pouvoir judiciaire indépendant.
Organiser la journée de l’avocat en danger et être présent le 24 janvier devant l’Ambassade du Pakistan était une façon forte d’exprimer à distance notre solidarité.
A titre individuel ou comme représentant de barreaux, associations de barreaux et ONG, une trentaine de personnes se sont rassemblées derrière les photos de quelques uns des avocats assassinés, attaqués ou menacés au Pakistan.
Une délégation composée notamment des Bâtonniers Yves Oschinsky et Patrick Henri a pu remettre à l’Ambassadeur une pétition ayant notamment pour objet d’interpeller le Pakistan sur ses obligations en vertu de l’ensemble des textes protecteurs des droits de l’Homme qui engagent ce pays et dont le respect est essentiel à la protection de la profession d’avocat et de son rôle déterminant dans la défense de l’Etat de droit.
Nos confrères pakistanais peuvent se targuer d’avoir mobilisé les avocats dans une quarantaine de villes. Nantes, Athènes, Florence, Francfort, Sydney et Washington ont rejoint les rangs des « habituées » de la manifestation comme Bruxelles, Bordeaux, Madrid, Paris Manille, Toronto, Wellington et beaucoup d’autres encore.
Au Pakistan, la journée a été célébrée à Lahore, Rawalpindi, Rawalakot.
En Turquie - objet de la Journée de l’avocat en danger 2019- , les avocats ont manifesté dans huit villes, dont Ankara où ont eu lieu des arrestations.
Alors que nous allons célébrer les 30 ans des Principes de base des Nations Unies relatifs au rôle du barreau[3] (« Principes de la Havane »), il n’est pas inutile de rappeler qu’il appartient aux autorités de s’assurer que les avocats puissent s'acquitter de toutes leurs fonctions professionnelles sans entrave, intimidation, harcèlement ni ingérence indue; qu’ils puissent voyager et consulter leurs clients librement, dans le pays comme à l'étranger; et qu’ils ne fassent pas l'objet, ni ne soient menacés de poursuites ou de sanctions économiques ou autres pour toutes mesures prises conformément à leurs obligations et normes professionnelles reconnues et à leur déontologie (Principe de la Havane n° 16).
Alors qu’au Pakistan les avocats sont visés en raison de l’appartenance culturelle de leurs clients ou de leurs croyance religieuse, il est tout aussi utile de rappeler une règle fondamentale du statut de l’avocat : il ne doit jamais être assimilé à son client ou à la cause de son client du fait de l'exercice de ses fonctions.
Telle est l’interdiction rappelée par les principes de la Havane (Principe 18) et dont la pertinence dépasse évidemment largement le cas du Pakistan puisque nombreux sont les états – et au premier rang la Turquie-, qui aujourd’hui, notamment sous l’alibi de la lutte anti-terroriste, bafouent et violent non seulement les garanties liées à l’exercice de la profession mais aussi les droits et libertés fondamentales de l’avocat.
Il nous appartient à tous de porter les Principes de la Havane, partout et au quotidien.
Julie Goffin,
Avocate au barreau de Bruxelles
[1] Voir l’article de Patrick Henri dans la Tribune n°162
https://latribune.avocats.be/24-janvier-2020-journee-de-lavocat-en-danger/
[2] http://pakistanbarcouncil.org
[3] https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/RoleOfLawyers.aspx