CEDH : Amis plaideurs : Deux arrêts récents importants relatifs à notre profession d’avocat

La CEDH a rendu ce mois de mai deux arrêts intéressants relatifs à la profession d’avocat.

Rapide analyse de ces décisions, reprises dans l’excellente note d’actualités européennes rédigée par Anne Jonlet.

  • C.E.D.H – Action en diffamation et exercice effectif de la profession d’avocat – 5 mai 2022

Comme nous le rappelle donc Anne Jonlet dans sa note : « Par un arrêt du 5 mai 2022, rendu dans l’affaire Mesić c. Croatie, la Cour européenne des Droits de l’Homme a jugé que l’action civile en diffamation introduite par un avocat croate contre un ancien président croate constitue une ingérence nécessaire et proportionnée dans l’exercice du droit à la liberté d’expression (article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme), dès lors que les propos tenus par l’ancien président croate ont non seulement terni la réputation professionnelle de cet avocat, mais étaient également susceptibles d’avoir un effet dissuasif sur l’exercice de ses fonctions professionnelles ».

L’affaire originaire concernait une plainte déposée par un avocat français, d’origine croate et exerçant à Angers, pour tentative de meurtre contre son client. Et ce contre un « boss » présumé de la mafia croate et un Président supposé le « soutenir ». L’affaire avait eu un écho important dans la presse croate.

L’ex-Président croate visé avait énoncé que l’avocat avait besoin de soins psychiatriques pour l’avoir dénoncé dans une plainte au pénal. Pour être précis, il déclara : « “Why this advocate who lodged the criminal complaint says that I am [H.P.’s] political patron is probably known only to him, but I would suggest to him that he visit Vrapče [a psychiatric hospital] when he comes to Zagreb because people [such as him] can receive effective treatment there. It is a great opportunity; it won’t cost him a lot and our physicians are known for their efficiency.”
Cette déclaration fut reprise sur le site du Président de Croatie et dans d’autres nombreux sites et médias.

L’avocat concerné déposa donc une plainte civile pour diffamation (le Président disposant d’une immunité pénale). L’avocat obtint gain de cause, malgré les divers recours introduits.
L’ex-Président introduit ensuite un recours devant la CEDH estimant que sa liberté d’expression avait été bafouée. 
La Cour estime que, dans le cas d’espèce, l’atteinte à la liberté d’expression était prescrite légalement et poursuivait un but nécessaire. 
La Cour va ensuite vérifier si cette atteinte était nécessaire dans un état démocratique et mettre en balance le droit de l’avocat à la protection de sa réputation (article 8 de la CEDH) et le droit du Président à sa liberté d’expression.

La Cour estime que de tels propos tenus par une haute personnalité sont injurieuses et portent une atteinte grave à la réputation mais aussi ont une grave influence sur l’exercice de la profession de l’avocat. Il n’y a donc pas violation de l’article 10 de la CEDH selon la Cour.
La Cour estime néanmoins qu’il y a eu en l’espèce dépassement du délai raisonnable (article 6.1 CEDH).

  • C.E.D.H. – Amende pour outrage et atteinte à la liberté d’expression de l’avocat – 17 mai 2022

Dans un arrêt Simić c. Bosnie-Herzegovine du 17 mai 2022, la Cour européennes des Droits de l’Homme a estimé que l’amende pour outrage à magistrat, infligée à un avocat qui avait raconté une plaisanterie dans le prétoire afin d’illustrer sa critique de la procédure, était contraire à l’article 10 de la Convention. 

En ce qui concerne la « blague » peu appréciée, la CEDH précise : « In his appeal on the points of law, the applicant told a joke about a professor who expected his students to provide the names, and not only the number, of the victims of the bombing of Hiroshima, and stated that the second-instance court had treated him like the professor treated his students in that joke ».

A nouveau, la Cour constate d’abord que l’atteinte à la liberté d’expression était prescrite par la loi et poursuivait un but légitime de maintien de l’autorité judiciaire. Restait à examiner si l’atteinte était « nécessaire dans une société démocratique ». Et proportionnelle au but poursuivi.

La Cour précise que la « blague » fut prononcée dans le cadre d’une procédure judiciaire, où les droits d’un client doivent donc être défendus vigoureusement. 
De plus, elle fut énoncée dans le cadre d’un appel, au sein d’un prétoire, et non dans les médias, ne touchant pas le « general public ». 
Mais surtout, la remarque ne visait pas à insulter un magistrat personnellement mais était destinée à attirer l’attention de la Cour sur la manière dont la charge de la preuve fut utilisée dans la procédure d’appel. La marge de manœuvre argumentative d’un avocat lors d’une audience est donc plus large, et justifiée par la défense du client.
Bien que caustique, voire sarcastique, l’utilisation de la remarque litigieuse est compatible avec l’article 10 de la CEDH (notez dans l’arrêt la jurisprudence citée par la CEDH).

La CEDH rappelle certes que la profession d’avocat implique le respect d’une certaine dignité mais précise que l’avocat doit pouvoir offrir une représentation effective pour que le public puisse avoir confiance en l’administration de la justice : « The Court agrees with the Government and the Constitutional Court of Bosnia and Herzegovina that lawyers, as independent professionals, play a key role in ensuring that the courts enjoy public confidence. That special role of lawyers in the administration of justice entails a number of duties; notably, their professional conduct must be discreet, honest and dignified (see Morice, cited above, § 133). However, for members of the public to have confidence in the administration of justice they must have confidence in the ability of the legal profession to provide effective representation ».
Les raisons utilisées par les tribunaux locaux pour porter atteinte au droit d’expression de l’avocat ne sont donc pas relevantes et suffisantes et cette atteinte n’était donc pas nécessaire dans une société démocratique. Violation de l’article 10 !

Allez plaider en paix mes chers Confrères, toujours avec conviction, mais restez dignes et polis certes… dans les limites du possible et de l’acceptable !

Jean-Joris Schmidt, 
Administrateur

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Jean-Joris
Schmidt
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Informations pratiques

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Vous trouverez sur le site internet de la Délégation des Barreaux de France les résumés en français des principaux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme qui concernent la profession d’avocat.

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