Atelier : La liquidation-partage judiciaire et les biens situés à l’étranger – comment tenter de sortir de l’ornière ?

Président : Jean-Marc THIERY

Intervenants : Silvia PFEIFF et Laurent STERCKX

Rapporteur : Mathilde HACON


A. Les règles de droit international privé applicables à la liquidation-partage d’une succession

Lorsqu’une succession comporte un élément d’extranéité, il est primordial de déterminer avant toute autre chose le juge internationalement compétent et la loi applicable à la succession (et/ou au régime matrimonial). Lorsqu’un tel litige fait intervenir des mineurs ou des incapables majeurs, leur représentant légal s’enquerra également de l’étendue de son pouvoir de représentation et des autorisations judiciaires éventuellement nécessaires à son exercice.

A cet effet, le règlement européen n°(UE) 650/2012 du 4 juillet 2012 dit « règlement succession », le règlement européen n°(UE) 2016/1103 du 24 juin 2016 dit « règlement régimes matrimoniaux », la convention de La Haye du 19 octobre 1996 sur la responsabilité parentale, le règlement européen n°(UE) 2019/1111 du 25 juin 2019 dit « Bruxelles IIter », la convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes et le site « www.successions-europe.eu » seront consultés.

B. Le partage distinct de l’article 1208, §.4 du Code judiciaire

L’article 1208, §.4 du Code judiciaire est une règle de procédure interne de droit belge qui permet, par une décision judiciaire spécialement motivée, de postposer le partage de certains biens meubles et immeubles situés à l’étranger.

Cette disposition n’a pas pour effet d’évincer ces biens étrangers de la compétence des juridictions belges mais seulement d’accélérer le partage matériel des biens en Belgique en différant certains délais et en établissant deux masses de partage. Ces biens ne sont pas pour autant exclus de la masse de liquidation, au risque de violer les règles de fond du droit civil, et du droit des successions notamment.

Il est conseillé de demander l’application d’un partage distinct au plus tard dans l’acte introductif d’instance. En effet, une fois le procès-verbal d’ouverture des opérations clôturé, seul le notaire-liquidateur pourra encore demander au tribunal de la famille l’application d’un partage distinct par le biais d’un procès-verbal intermédiaire.

Puisque les biens étrangers devront être inclus dans la masse de liquidation et que leur valorisation est souvent bloquante, l’opportunité réelle du partage distinct est limitée aux situations où il n’est pas nécessaire de reconstituer une masse de calcul du disponible ou que la valorisation des biens situés à l’étranger n’est pas contentieuse.

C. La vente publique et l’inventaire des biens situés à l’étranger

Le notaire belge ne pouvant instrumenter que dans l’arrondissement judiciaire de sa résidence, qu’en est-il de la vente publique et l’inventaire des biens situés à l’étranger ?

Une première solution consiste à demander au juge belge qu’il désigne directement un notaire étranger et de solliciter l’exequatur du jugement dans le pays concerné. Se pose toutefois la question de la réception de ces jugements auprès du juge de l’exequatur étranger susceptible d’y voir une atteinte à sa souveraineté étatique.

Une deuxième solution vise à obtenir du juge belge la désignation d’un notaire belge en l’autorisant à se faire assister du notaire étranger de son choix. Cette solution est pragmatique et efficace, en dépit du fait que théoriquement, elle se heurte à l’interdiction faite au juge de déléguer sa juridiction (article 11 du Code judiciaire).

Enfin, une troisième solution suggère au juge belge d’ordonner la vente publique du bien étranger et d’ordonner le versement du produit de la vente sur le compte du notaire-liquidateur belge. La désignation du notaire chargé de la vente publique se ferait ensuite par le juge de l’exequatur qui organisera lui-même la vente publique selon ses règles de droit interne. Il pourra même, à la demande des parties, prendre des mesures provisoires et conservatoires par rapport au bien immeuble en application de l’article 54 du « règlement succession ». Pour connaitre le juge de l’exequatur compétent, il est conseillé de consulter le site « www.e-justice.europa.eu ». Le praticien n’oubliera pas de rappeler au juge belge de la succession, peu habitué à ces procédures d’exequatur, de remplir le formulaire du règlement d’Exécution n°(UE) 1329/2014 et d’y joindre un certificat successoral européen.

D. L’expertise des biens situés à l’étranger

Même si l’expert belge est parfaitement habilité à se rendre sur place lui-même pour expertiser un bien situé à l’étranger, il est conseillé, afin notamment d’éviter des coûts trop importants pour le justiciable, de demander au juge belge de l’autoriser, moyennant la rédaction du rapport d’expertise par l’expert belge lui-même, à se faire assister d’un sapiteur étranger.

Il est également possible, à l’introduction de la procédure en liquidation-partage, de demander au juge familial de confier la mission d’estimer les biens immeubles étrangers au notaire, en lui permettant de se faire assister d’un sapiteur étranger. Il apparaît en effet que les opérations de liquidation d’une indivision impliquent nécessairement la fixation de la valeur des biens concernés par cette indivision. Cette mission d’évaluation, ou d’estimation, est dès lors nécessairement une composante de la mission conférée par la loi, et confiée par le tribunal, au notaire, en sa qualité, non pas d’expert, mais de notaire-liquidateur.

Le règlement n° (UE) 2020/1783 relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l'obtention des preuves en matière civile ou commerciale (obtention des preuves) (refonte), régulièrement utilisé par les praticiens civilistes mais oublié des familialistes, est de même un outil très utile pour obtenir une expertise à l’étranger. Le juge belge peut demander lui-même directement au juge étranger, par le biais d’un formulaire ad hoc, qu’il désigne un expert et qu’il veille sur place à l’exécution contrainte de la mesure. Alternativement, le juge belge peut procéder directement à l’acte d’instruction requis dans le pays étranger, sans possibilité toutefois d’adopter des mesures coercitives.

Enfin, l’article 19 du « règlement succession », trop peu exploité lui-aussi, permet d’obtenir du juge du lieu de la situation de l’immeuble, sans devoir démontrer une quelconque urgence et sans nécessité que le juge belge soit déjà saisi d’une demande de liquidation-partage, de prendre toute mesure provisoire ou conservatoire utile (inventaire, expertise, attribution provisoire, mise sous scellés, gestionnaire, …).

E. Le cas particulier des biens situés en dehors de l’Union européenne 

Pour les biens situés dans des Etats tiers, la situation est plus complexe encore, d’autant plus que certains pays appliquent une compétence exclusive sur les immeubles localisés sur leur territoire et refuseront de déclarer exécutoire une décision étrangère. Quelles sont les pistes envisageables ?

S’il existe une convention bilatérale entre la Belgique et l’Etat tiers en question, comme c’est le cas pour la Suisse, celle-ci s’appliquera. En l’absence de convention bilatérale, les règlements européens prévoient qu’à la demande d’une des parties, les biens situés sur les Etats tiers peuvent être exclus des opérations non seulement de partage mais également de liquidation (article 12 du règlement succession et article 13 du règlement régimes matrimoniaux). L’exclusion des certains biens de la liquidation-partage d’un régime matrimonial ne sera toutefois possible que dans le cadre d’un litige successoral. 

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