Atelier : La gestion des hauts conflits dans les modes alternatifs de résolution des conflits : différentes approches

Présidente : Me Sylvia BAJRAMI, avocat au barreau de Bruxelles

Intervenants :    

1) Mmes Catherine DENIS et Lidvine REGOUT, psychologues

2) Me Damien d’URSEL, avocat au barreau de Bruxelles

Rapporteur : Me Bernard PARMENTIER, avocat au barreau du Luxembourg


1) Le concept de haut conflit familial (Damien d’Ursel)

Ce concept est très présent dans notre champ psycho-juridique alors que peu commun dans d’autres. On en parle de plus en plus. Cette situation montre un malaise

La définition est aussi complexe qu’il y a de situations. On parle de communication devenue impossible, de volonté réciproque de nuisance, d’intérêts niés, perdurant (notion de temps importante), d’une co-construction par au moins deux personnes et leur réseau.

L’idée de volonté de destruction de l’autre n’est pas toujours le cas et pas nécessairement consciente.  Ce peut être un mouvement paranoïde de protection.

Deux hypothèses personnelles (pourquoi on en parle aujourd’hui de plus en plus)

  • Il conviendrait d’évacuer ce dogme qui pousse à maintenir coûte que coûte les contacts entre les deux parties
  • L’inquiétude est augmentée par les frustrations générées

2) La non-demande (Catherine Denis)

Pratiquant en SASPE (Services d’Accueil Spécialisés de la Petite Enfance, ex COE), mandatée par SAJ et SPJ, crée comme alternative un soutien à la parentalité

  • Les enfants sont en danger à cause du conflit
  • Modification d’approche : ne pas prétendre que ce sont donc de mauvais parents qui mettent les enfants en souffrance à cause de leur conflit (nouvelle approche). Ils viennent après un long parcours (médiation, plainte, procédure civile). Dès lors, l’arrivée en SASPE est leur dernière chance, mais dernière chance avant quoi ? Classement ou placement ?

Lidvine Regout : "Comment travailler avec des personnes non-demandeuses ?"

  • Développe (en duo avec Catherine Denis) une expertise pour utiliser cette non-demande comme un levier pour arriver à une demande, une collaboration
  • s’appuient sur ce mandat reçu pour les pousser à travailler. On oublie le « sacro-saint accord » de collaborer ; les difficultés de s’accorder sur un moment de r/v sont toujours de prétextes
  • Imposent un cadre

Damien d’Ursel rappelle la différence du travail de médiation au civil par rapport au travail « protectionnel » en SASPE : on observe une gradation car on arrive en bout de ligne.

En France les médiations sont alimentées par le protectionnel. En Belgique, la médiation est initiée par le réseau (avocats par exemple).

Mais de plus en plus on sent un degré de contrainte car on pousse à la médiation. Elle risque de ne pas être assumée (si vous voulez être de bons parents vous devez aller chez le médiateur). Or il faut accepter qu’ils ne veulent pas être là, pas être d’accord.

  • la médiation est de moins en moins un processus volontaire, elle devient contrainte par certains jugements. Il faut travailler cette ambivalence.

La grosse différence entre la médiation et d’autres formules, c’est l’absence de rapports. La confidentialité est essentielle, tant il est essentiel d’avoir une parole libre. Cette médiation est une prise en charge, entraîne un programme qui est présenté.

Le jugement reste aussi une menace : si on n’a pas au moins essayé, cela passe au Parquet. On essaie de s’appuyer sur cette contrainte : OK, vous ne voulez pas être là, mais on avance.

Il est important de se voir de manière rapprochée.  On planifie le processus, annonçant clairement que ça va être pénible.  Vous ne comprendrez pas.  Vous allez saboter. Mais c’est moi le King, je sais faire, je suis expert parental, juriste.  Ca rassure, ça fait partie de ce truc qui va les mobiliser. Je suis hyper chaleureux, engagé (pas avec un but précis), empathique. Donnez-moi deux mois. J’ai une équipe derrière moi. Faites confiance.

Viennent des questions et observations des participants de la salle :

  • Question des participants : "Mais alors, l’expert, le juriste a le même rôle que le Juge ?"
    Non parce qu’il a une place plus ouverte, il ne fait pas que ça. Cette place d’expert fait sens. Le cadre n’est pas le même, même si en CRA le rôle du Juge est différent.
     
  • Question des participants : "Est-ce que cela ne démobilise pas les gens ?"

Damien d’Ursel : "C’est une manière de faire alliance ; par exemple en milieu bourgeois, si je parle d’optimisation fiscale, ils boivent du lait. Quand la demande vient par justice et avocats, ceux-ci assistent au 1er entretien, mais plus après. Il faut toutefois positiver hyper fort le rôle des conseils On devient partenaires ce qui est indispensable." 

Catherine Denis : "Pour nous à propos de la place des avocats, ils ne participent pas, alors même qu’ils sont présents au SAJ/SPJ et présents au tribunal, ils ne participent pas corps présent à notre travail. Toutefois on observe une évolution positive des avocats"

Lidvine Regout : "Il est vrai qu’il reste des gens qui changent d’avocat pour en trouver un plus agressif, mais cela n’apporte rien de constructif."

Catherine Denis : "Quant au « modèle de Cochem », présenté par une intervenante qui rappelle le colloque de Dinant à ce propos ce 16 septembre, on recherche effectivement un module plus coopératif mais il faut un moteur, un juge sensible à la question. Cela permet de créer un réseau de confiance."

Damien d’Ursel : "Hypothèse :  il y a des réseaux, en général plus chez les familialistes ; mais s’il y a des  sous, apparaissent des avocats sur un autre plan (patrimonial). Cela complique les choses."

3) Comment travailler avec le passé qui fait mal ?

Du côté des psychologues, on peut en parler durant 3 séances et puis on poursuit sur autre chose.
Pour Damien d’Ursel, en médiation : on ne peut pas faire cela, il fau t passer en permanence entre le concret et le relationnel en y glissant le passé.

Par ailleurs, il faut garder le travail sur le métier sans désemparer ; si on laisse passer du temps tout foire car les médiés voient vite que rien ne change, estiment que l’autre n’évolue pas.
On ne peut pas laisser le concret de côté. 
Travailler sur le fond relationnel uniquement mène à un enlisement. Et laisser les parties parler inlassablement du passé va être contre-productif, mener à des invectives.
« ça a toujours été comme ça » est inaudible pour l’autre, et est du reste faux.
Travailler sur le passé rapproché, sur les mini accords, et effectuer un débriefing de tous les incidents en début de séance.

Pour Lidvine Regout et Catherine Denis, pendant tout un temps les intervenants étaient réticents à recevoir les personnes ensemble. Or cela a plus de sens de les recevoir mais pas chacun dans son coin, même si ça explose. Mais c’est très inconfortable parce que ce n’est pas l’attente des gens.

On arrive à se poser souvent la question, mais comment ont-ils pu vivre ensemble ? Mais qui croire ?

Ajoutons à cela le danger des « alliances » prétendues.

Les recevoir séparément ne sert à rien, mène à un dialogue de sourds

Répondre à la question "mais comment ont-ils pu vivre ensemble ?" reste prégnant. Il est dès lors pertinent de réunir les parents même s’ils ne veulent plus se voir. Peut-on les y obliger ?  Oui. On ne peut résoudre le problème d’aujourd’hui sans aborder cette question de base. 
Il faut un traitement de choc. On vous propose de vous mener quelque part
Il y a une volonté de tourner la page → on doit les y conduire. 
L’histoire passée s’arrête dans le présent

Nous demandons un effort limité dans le temps (3 rencontres)

  1. Génogramme : les enfants ont 2 lignées. Partir des vécus d’origine. Voir pourquoi ils se sont choisis, ce qu’ils voulaient faire de cette histoire.
  2. Quand les problèmes ont-ils commencé ? Souvent ils tombent des nues, n’ayant pas la même perception. → sorte de rituel autour de la fin du ménage
    Les gens n’ont plus de lieu pour déposer et comprendre ce qui leur est arrivé
  3. A un moment, il faut empêcher un dialogue direct.
  • Question des participants : "Quid de la coparentalité bisounours ? Attention à la différence entre couple parental et couple conjugal"

Damien d’Ursel : "De mon côté je commence par parler des problèmes. Tableau de règlement des comptes, pour historiser les reproches, et ensuite on embraie. On revient après à la question des origines".
Catherine Denis et Lidvine Regout : "L’animosité est à la hauteur de la déception, de l’échec."

Damien d’Ursel : "Faire alliance avec « l’auteur » :  Madame quand vous voyez un comportement pervers dites le moi tout de suite.  Et que voulez-vous faire avec cela ? Mais si c’est un vrai pervers/manipulateur, il ne changera pas"

Catherine Denis : "L’important c’est que le patient voie qu’on l’a compris. Voir la narration de chacun permet de comprendre, de déceler là où le bât blesse, et parfois par exemple le « pervers » va pouvoir dévoiler ce qu’il est." 

4) Problématique de la rupture de lien

Un des parents souligne une plainte de l’enfant qui souffre de ceci ou ça.  Mais petit à petit l’enfant va prendre son camp => le lien se perd. On reproche à l’autre parent d’être inadéquat, et puis de bourrer le crâne de l’enfant prétendant que « ce sont des paroles d’adulte ! ».

Se crée alors une position de parent préféré et de parent critiqué, avec une relation problématique : chaude – froide.

Il faut être très attentif aux réactions qui risquent de renforcer le lien avec le parent préféré.

D’où l’importance du travail avec le parent critiqué qui doit pouvoir rassurer l’enfant.

On observe aussi le phénomène de la négation du problème par le parent critiqué.

Avec l’enfant, il faut résister à la solution qui consiste à écarter l’un des parents. 
=> travailler d’autres solutions, à l’écoute des deux parents

Avec le parent préféré : ce n’est pas lui notre sujet mais l’expert de l’enfant qui va pouvoir être guidé → le parent préféré devient co-thérapeute : associé au travail tout en écoutant l’enfant, en lui disant que le problème n’est pas chez lui.

Le parent critiqué a quelque chose à apprendre, à entendre de son enfant.

Dire à l’enfant qu’il est manipulé par sa maman est inaudible, a fortiori pour un ado.

Damien d’Ursel : "Historiser, travailler l’histoire, avec chaque parent. Le parent préféré : le prendre au sérieux dans ses crainte. Lever ses inquiétudes. Travailler aussi le deuil du couple, du départ de l’enfant"

Lidvine Regout : "Le travail avec le parent préféré est essentiel car c’est lui qui a besoin de reconnaissance. Mettre l’action sur ce qu’il a vécu dans le couple."

Damien d’Ursel : "Prendre le contre-pied des juges qui pointent la responsabilité."

Catherine Denis : "A la racine du problème chez l’enfant, il y a toujours un manque de confiance, une question d’abandon."

Damien d’Ursel : "On voit souvent des parents surinvestis dans leur parentalité qu’ils croient idéale. On exige beaucoup de l’autre qu’il soit comme soi."

  • Question des participants : "Question d’auto-aliénation de l’enfant qui prend de lui-même position pour ou contre un parent. 
    Il existe à Mons une expérience pour s’ouvrir à ce que l’autre a vécu, avec le tribunal, Bruno Humbeek, les parents et les enfants."

Damien d’Ursel : "Ce travail de la perte du lien est un rôle pédagogique. Les rôles parentaux ne sont pas les mêmes. Quoique certains en disent, il y a d’importantes différences. La difficulté n’est pas la même pour l’homme et la femme. Etre reconnu comme un bon père est important par rapport à l’extérieur, avant d’entrer dans l’affectif."

Catherine Denis : "Alors que la mère est plus centrée sur l’affectif. Parfois les enfants ont monté un cinéma dont il ressort qu’ils se sentent rejetés (Papa préfère sa nouvelle compagne à moi). C’est difficile à travailler."

Lidvine Regout : "Faire du coaching avec le parent critiqué est plus facile parce qu’il a quelque chose à gagner, alors que l’autre pas."

  • Question des participants : "Les parents veulent qu’on reconnaisse qu’ils n’ont pas fauté. 
    Mais la réponse des magistrats : soyez de bons parents, ne convient pas."

Catherine Denis : "L’augmentation ou la diminution des contacts pose un problème car c’est une question de qualité → ce n’est donc pas la solution. Il faut un travail de fond"

5) Le mythe du bon divorce

Damien d’Ursel : "La définition du haut conflit n’est pas importante. Le but est de chercher du conflit. C’est l’idéologie, la culture, la croyance qui pose problème. Et le dogme de l’égalité de l’hébergement, de la communication, du beau couple parental. Mais il existe un brouillard post-conjugal et on ne veut/peut pas en parler. D’où la parentalité minimaliste. Il n’est absolument pas nécessaire que les parents communiquent. Il faut arrêter de se saboter au niveau des enfants. Dans certains milieux « tradi » (Islam par exemple) on ne peut plus avoir aucun contact et ça passe mieux. Il n’est pas besoin nécessairement de valeurs éducatives convergentes → normaliser". 

Il cite Lidvine Regout et Catherine Denis : "si on arrêtait de rechercher la sérénité (déjà en projet), mais agir pour qu’il y ait du mouvement avec l’espoir que vienne le moment pour eux."

Parfois aussi on reste dans le haut conflit pour des raisons de santé mentale.

Il faut alors des directives dans la forme et en même temps lâcher prise sur ce vers quoi on va

Lidvine Regout : "Au niveau culturel, l’hébergement alternatif est vécu comme un mal par la mère, et l’inverse un mal pour le père au regard de la société. Une séparation n’est pas une mort. Le terme deuil est mal choisi.  On reste parents."

Catherine Denis : "Il est essentiel de séparer le parental du conjugal. Si on fut un mauvais conjoint ne signifie pas qu’on est mauvais parent. Couple parental // couple conjugal : c’est un autre rôle mais ce sont les mêmes personnes
Mais que vont vivre les enfants avec des carences qui subsistent (ou des nouvelles). Par exemple s’il y avait violence, la mère intervenait parfois.  Pourquoi ne plus intervenir, ne plus le souligner après séparation ?"

Lidvine Regout : "Il faut tordre le cou à l’image du bon divorce, de la bonne séparation. Il y a une grande diversité, comme par exemple la réalité du père qui va garder les enfants chez la mère, ou la réalité d’une absence totale de communication"

  • Question des participants : "Le gros problème en cas d’absence de communication, c’est que ce seront les enfants qui seront porteurs des messages. Et il y a une différence selon le type d’hébergement."

Damien d’Ursel : "La communication, c’est une question de stratégie. Surtout, sortir du dogme. Les parents doivent être autorisés à choisir les ponts de communication, à créer des temps, des phases de communication. Voir aussi ce qui est culturel."

  • Question des participants : "Quid des familles nombreuses ? Dans l’ensemble ces enfants s’en sortent mieux."

Catherine Denis : "Plutôt que dire « Mettez vos problèmes conjugaux de côté pour vous occuper des problèmes des enfants » il est impératif de traiter de la question d’ensemble."

  • Question des participants : "Quid des enfants qui ont pris le pouvoir : ce sont les enfants qui décident."

Damien d’Ursel : "C’est délicat. Il faut voir où placer la limite. L’enjeu est hypercomplexe."

Bernard PARMENTIER
Avocat au barreau du Luxembourg

A propos de l'auteur

Bernard
Parmentier
avocat au barreau du Luxembourg

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