« Bruxelles II ter mode d’emploi ? »
Présidence : Me Marina BLITZ, avocate au barreau de Bruxelles
Intervenants : Me Isabelle REIN-LESCASTEREYRES, avocate au barreau de Paris et Me Tim AMOS, KC, barrister à Londres
Rapporteur : Me Sophie BALBACHEWSKI, avocate au barreau de Bruxelles
Les sujets abordés, à l’aune de ce nouvel instrument européen, sont :
En matière matrimoniale, sujet politiquement sensible au sein des États membres, le Règlement Bruxelles II ter (ci-après « le Règlement refondu ») n’apporte que peu de changements, au grand dam des partisans de l’harmonisation.
Le Règlement refondu ne définit par exemple pas la notion de mariage, ce qui peut s’apparenter à une occasion manquée, celle-ci demeurant l’apanage du droit national.
Ce refus a pour conséquence que, dans les États membres où le mariage a été ouvert aux couples homosexuels, ces unions tombent dans le champ d’application matériel du Règlement refondu alors que dans les autres États membres, le divorce ne leur est pas possible quand le mariage n’est pas reconnu. Ce régime à géométrie variable empêche un droit d’accès uniforme au divorce.
Le Règlement refondu n'apporte par ailleurs aucune modification aux règles existantes de compétence internationale, qui demeurent inchangées à l'article 3, sous réserve d’une retouche post-Brexit.
L’on peut toutefois regretter un manque d’harmonie entre les différents instruments applicables en droit européen de la famille, qui doivent se lire de manière complémentaire.
En effet, certains de ces instruments font la distinction entre des critères « forts » et des critères « faibles » de compétences, comme le Règlement régimes matrimoniaux (article 5) tandis que d’autres, comme le Règlement refondu, maintiennent l’absence de hiérarchie.
Dans une volonté de clarification, les anciens articles 6 et 7 du Règlement Bruxelles II bis ont été synthétisés à l’article 6 nouveau, avec la retouche post-Brexit.
On peut toutefois regretter qu’une compétence résiduaire européenne n’ait pas été introduite pour unifier les solutions entre les différents états membres, ce qui rend la situation très inégale entre les pays.
Ainsi, à titre d’exemples, la France permet, grâce au privilège de la nationalité, de lutter contre des législations discriminatoires tandis que la Belgique prévoit, en son article 11 du code de droit international privé, un for de nécessité, toutefois difficile d’application, sauf si la procédure à l’étranger est impossible et présente un lien étroit avec la Belgique.
L’on aussi peut souligner que grâce au Brexit, l’Angleterre est devenue le pays mondial du divorce.
En effet, les critères de rattachement pour fonder la compétence des juridictions anglaises afin de statuer sur le divorce se réfèrent désormais exclusivement à la notion de domicile en droit anglais, à savoir celui de l’une des parties en Angleterre (au sens anglais du terme = le domicile affectif : présence territoriale d’un des époux avec l’intention d’y rester sans limites dans le temps ≠ du sens continental).
L’on regrette également que le Règlement refondu ne permette pas aux époux de faire choix d’une juridiction, par une clause d’élection de for, pourtant consacrée par d’autres instruments européens, tels que le Règlement aliments ou le Règlement régimes matrimoniaux.
Cette clause aurait pourtant permis de sécuriser la compétence du juge en matière de régime matrimonial, la décision en matière d’obligations alimentaires, la loi applicable au divorce et d’unifier les conséquences financières du divorce.
Cette absence d’élection de for favorise le forum shopping et la course à la juridiction.
Au titre de nouveauté, il faut se réjouir que le Règlement refondu reconnaisse à présent les divorces « sans juge » au sein de l'Union européenne, en insérant, à l’article 2, 2. 3), la définition de l’« accord » qui englobe notamment le divorce par consentement mutuel en France.
Il consacre ainsi l'autonomie, mais encadrée, de la volonté des parties, en leur laissant le choix de ne pas soumettre leur désunion à une juridiction de l'ordre judiciaire pour lui préférer, selon les pays, des divorces administratifs, des divorces devant l'officier de l’État civil, des divorces notariés ou par actes sous seing privé, contresignés par les avocats.
Concernant les conditions pour la reconnaissance de plein droit de ces actes (articles 64 à 68), il faudra veiller à ce que (1) ces actes soient enregistrés par une autorité publique (le notaire est considéré comme une autorité publique) et (2) que les juridictions de l’État membre dans lequel cet accord est conclu aient bien été compétentes outre que cet accord a un effet juridique contraignant au sein de celui-ci.
Cependant, en matière d’autorité parentale, le certificat européen ne pourra être délivré que si l’enfant a eu la possibilité effective d’être entendu et qu’un contrôle au regard de l’intérêt de l’enfant a été effectué. On rejudiciarise donc en partie puisque ce contrôle se fait par le tribunal.
Le législateur européen opère ainsi une belle avancée, compte tenu des pays qui ont introduit le divorce extrajudiciaire en Europe.
En Belgique, toutefois, rappelons que le divorce extrajudiciaire n’existe pas encore. Une proposition émanant de la NV-A a été déposée, mais critiquée par le Conseil d’État tandis qu’une réflexion est en cours à l’OBFG, prévoyant la possibilité pour l’officier de l’état civil d’enregistrer l’accord des parties de divorcer.
Affaire à suivre donc.
2) La responsabilité parentale
C’est en matière d’autorité parentale que le Règlement refondu a le plus innové.
Il faut le lire comme un vade-mecum volumineux, mais sans grande nouveauté, qui place l’intérêt de l’enfant et la protection de ses droits au centre des préoccupations.
Tout d’abord, l’enfant se voit octroyer une définition à part entière (article 2), cohérente avec les dispositions de la convention de La Haye de 1996, là où, pour rappel, la notion de « mariage » n’est pas définie.
Il y a ici un réel consensus de la part des États membres.
Par ailleurs, le Règlement refondu reformule un certain nombre de droits de l’enfant selon les termes de l'article 24 § 1er de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 12 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant, dont notamment le droit pour l’enfant d’exprimer son opinion, qui est désormais consacré comme un droit à part entière (article 21).
Ce droit d'être entendu est la pierre angulaire de la libre circulation des décisions judiciaires, des actes authentiques et des actes sous seing privé, dès lors que la possibilité effective d’être entendu demeure un motif de non-reconnaissance (article 39, 2), de non-délivrance du certificat pour les décisions privilégiées (article 47,3, b) ou encore de refus de reconnaissance d'exécution des actes authentiques et des accords (article 68, 3), si cette possibilité n’est pas effective.
Les conditions et les modalités de l'audition de l'enfant demeurent toutefois régies par le droit national de chaque État membre, ce qui est source d’insécurité, compte tenu des trop grandes disparités entre les droits nationaux.
L’on peut dès lors regretter qu’aucun standard minimal n’ait été prévu.
Nous devons à l’évidence être attentifs lorsqu’un divorce par consentement mutuel présente un élément d’extranéité.
Il est en effet vivement conseillé aux praticiens d’indiquer dans leurs conventions DCM que l’enfant n’a pas le discernement suffisant pour être entendu ou qu’il a eu la possibilité d’être entendu, mais ne l’a pas souhaité.
Par ailleurs, les règles de compétence ne connaissent pas de modification fondamentale.
La compétence des juridictions demeure fondée sur le critère la résidence habituelle de l’enfant, lequel est apprécié au moment où la juridiction est saisie (article 7).
L’article 8 demeure également inchangé. Ainsi, la juridiction saisie, qui a déjà prononcé une décision concernant le droit de visite, garde sa compétence si l’enfant déménage légalement d’un État membre vers un autre et y acquiert une nouvelle résidence habituelle, et ce, pendant une durée de 3 mois après le déménagement.
Le Règlement refondu ne prévoit cependant pas de solution concernant un éventuel changement de tribunal compétent en cas de transfert de la résidence habituelle de l’enfant en cours de procédure d’un État membre vers un État non membre de l’UE, mais membre de la Convention de La Haye.
Une zone d’ombre subsistait, avec des différences d’interprétation, notamment en France et en Belgique, jusqu’au prononcé d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne qui précise « qu’une juridiction d’un État membre, saisie d’un litige en matière de responsabilité parentale, ne conserve pas la compétence pour statuer sur ce litige au titre de cet article 8, paragraphe 1, lorsque la résidence habituelle de l’enfant en cause a été transférée légalement, en cours d’instance, sur le territoire d’un État tiers qui est partie à la convention (…) conclue à La Haye le 19 octobre 1996 » (CJUE, 14 juillet 2022, C-572/21).
Autre nouveauté, l'article 10 du Règlement refondu insère la possibilité de choisir la juridiction compétente.
L'objectif est de favoriser et sécuriser les accords parentaux, en permettant une vraie clause d'élection de for, avec des conditions de rattachement (il faut, en résumé, un lien étroit entre le for, l’enfant et l’intérêt supérieur de l’enfant) et de forme.
Cette compétence ne sera toutefois exclusive que si elle est choisie en cours de procédure et pas par anticipation.
Cette compétence exclusive implique le dessaisissement de tout autre juge saisi, même s’il était chronologiquement premier saisi.
La nouveauté suivante concerne les questions incidentes (article 16). Si une juridiction est saisie d’une question incidente concernant la responsabilité parentale, mais dont elle n’est pas compétente en vertu du Règlement refondu, elle pourra toutefois trancher cette question, mais sa décision ne produira d’effets que dans la procédure dans le cadre de laquelle la décision a été prise (exemple : litige en matière successorale ou alimentaire).
La grande nouveauté est toutefois la suppression générale de l’exequatur en matière d’autorité parentale, alignant ainsi la situation des décisions ordinaires sur celle des décisions privilégiées (décisions de retour nonobstant et droit de visite).
La distinction entre décision ordinaire et décision privilégiée demeure, mais uniquement s’agissant des conditions de refus de reconnaissance.
Pour les décisions privilégiées, l’État requis ne peut refuser l’exécution qu’en cas de décisions inconciliables, alors que les motifs classiques de non-reconnaissance sont maintenus pour les décisions ordinaires.
Dans les motifs de refus, il faut cependant à présent vérifier que l’enfant a eu la possibilité d’être entendu, sauf en cas d’urgence ou s’il s’agit d’une procédure portant sur les biens de l’enfant.
Le principal changement, outre une clarification des délais (articles 23, 24 et 28) et une précision quant à la preuve des mesures adéquates qui ont été prises en cas de danger grave (article 27,3), concerne la procédure dite « de la deuxième chance » ou « nonobstant ».
Cette procédure ne pourra désormais exister que dans le cadre d’une procédure au fond afin d’éviter qu’elle fasse concurrence, voire qu’elle paralyse cette dernière.
Elle n’a donc plus d’existence propre et dépend de la procédure qu’il faut donc engager dans l’État de la résidence habituelle de l’enfant.
La bonne pratique consiste ainsi à saisir le juge sur le fond immédiatement puisqu’il sera également le juge de la procédure de la deuxième chance.
Cette procédure de la deuxième chance est limitée au cas où le refus de retour de l’enfant est fondé, soit sur un risque de danger grave en cas de retour de l’enfant, soit sur une opposition de l’enfant à son retour.
Le Règlement refondu prévoit également la possibilité pour le juge de l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle avant le déplacement de prendre des mesures provisoires et conservatoires, qui peuvent être reconnues dans d’autres États membres (articles 27 et 30).
La médiation et tous autres modes alternatifs de règlement des litiges sont enfin vivement encouragés (article 25).
Sophie BALBACHEWSKI,
Avocate au barreau de Bruxelles