« Madame la présidente, jusqu’à aujourd’hui, j’ai eu honte souvent. Je me demandais ce que j’avais fait pour être harcelée ainsi. Et je me disais souvent qu’il ne fallait pas faire une histoire de "toutes ces petites blagues" de M. Ray, comme il dit. Si vous saviez comme j’en ai souffert et comme je m’en voulais de n’être pas capable de passer au-dessus ! Qui le pourrait ? Si je n’y suis parvenue, je pense que ce sera pareil pour d’autres. Je vous le demande, madame le juge, faites-le taire, pour qu’il ne s’en prenne pas à de nouvelles personnes. Je m’exprime sûrement mal mais, du fond du cœur, je crois qu’il n’y a que cela qui pourra me rendre le sommeil ».
Il y a Sandrine cette femme de 40 ans, belle, médecin, prise pour cible par le parent d’un des condisciples de sa fille, qui était devenu son patient, qu’elle n’arrivait pas à repousser.
Il y a Jeanne, une fillette de 11 ans, bon élève, mais victime de son beau-père, condamnée à tenter d’oublier ces scènes récurrentes de déshabillage, de caresses, d’abord sur le haut du corps, puis sur les seins, puis progressivement, de plus en plus bas, jusqu’à son sexe. Mais qui, un jour, sera avocate. Elle en est sûre.
Il y a Karine, vedette de films pornos, mis en scène et tournés par son mari, qu’elle tourne avec plaisir, avec les partenaires qu’il choisit, parce qu’elle trouve valorisant d’ainsi être mise en évidence, désirée. Et qui trouve que cette petite Lily, à qui son mari avait confié d’autres rôles, qui était presque devenue sa rivale, n’était qu’une provocatrice qui aimait aussi être regardée (mais quelle femme n’aime être regardée, pense-t-elle ?), qui aurait voulu prendre sa place et qui ne s’est plainte que lorsqu’elle a compris qu’elle ne pourrait lui voler son mari.
Il y a Claire, la compagne de cellule, qui a été impliquée dans un trafic de drogue au sein de la prison et qui a craqué lorsque les gardiennes sont venues fouiller sa cellule, qui est donc devenue une « balance ».
Et puis, il y a Laura, qui s’est révoltée et qui a tué ce mari qui la persécutait, d’un coup de couteau à steaks dans la gorge, alors qu’il s’apprêtait, une nouvelle fois, à la violer sur l’évier de la cuisine, en lui assurant qu’elle hurlerait tellement fort que son fils l’entendrait. Laura qui comparaît aujourd’hui aux assises, poursuivie par la vindicte de la famille de cet odieux David, pour qui elle n’avait qu’à se soumettre ou à se plaindre à la police…
Et, surtout, il y a Diane, brillante avocate pénaliste, qui défie l’avocat général chargé de requérir contre Laura en lui assurant qu’elle « n’engage aucun duel, elle les gagne ».
C’est Diane le lien entre toutes ces femmes. Elle les défend. Elle essaie de leur rendre un peu de la confiance que les hommes leur ont enlevée. C’est un beau portrait d’avocat, à l’écoute de ses clientes, animée par la volonté de les aider à se reconstruire. Certes, il est un peu obscurci par l’intrigue naissante qui se noue entre elle et l’avocat général chargé de requérir contre Laura (et qui ne me paraît pas apporter grand-chose à l’histoire : une couche de sentimentalisme inutile à mon sens…).
J’ai souvent dit que l’avocat était là, présent, aux côtés d’un homme, pour l’aider à se tenir debout. De Diane, je dirais qu’elle est là, présente, aux côtés d’une femme, pour l’aider à se tenir debout.
Mais qu’est-ce que la justice ? Des mots dans un espace ? Des femmes et des hommes qui n’ont en commun que leur état civil et qu’on rassemble dans un lieu pour décider de la vie d’un de leurs pairs.
Diane ferma les yeux, et le vertige de la décision à venir la saisit. Et si elle perdait ? Le terme était-il d’ailleurs approprié ? Qu’avait-elle à perdre ? Son orgueil, sa réputation d’avocate ? Rien en comparaison de Laura, qui repartirait peut-être de cette salle pour être enfermée durant les vingt prochaines années…
Des mots. Une arme si dérisoire pour sauver la vie d’une femme ou d’un homme. Mais si indispensable.
Patrick Henry