Aide Juridique de deuxième ligne et blanchiment

Le Fil blanc : la Spin-off

Pour rappel, la Spin-off du Fil blanc s’attèle chaque mois (une Tribune sur deux ou presque) à examiner une branche spécifique du droit à la loupe, afin de déterminer où sa pratique pourrait donner lieu à un assujettissement et quels y seraient les indices d’un éventuel blanchiment. 

Votre Fil blanc classique ne raccroche pas sa blouse (blanche) pour autant, mais passe par conséquent à une périodicité mensuelle (l’autre Tribune sur deux).

Le thème de ce mois, n’est cependant pas tout à fait une branche du droit mais constitue un pan important de l’activité de nombreux avocats : l’aide juridique de deuxième ligne. 

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Aide Juridique de deuxième ligne et blanchiment

L’idée ici n’est pas de rappeler dans quelles situations et à quelles conditions la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l'utilisation des espèces (ci-après : Loi anti-blanchiment) trouve à s’appliquer, ce qu’ont déjà parfaitement expliqué et développé les rédacteurs des précédents Fils blancs et les auteurs des documents disponibles sur l’extranet d’AVOCATS.BE, qui contient les manuels, fiches et outils plus qu’utiles à chacun.

L’idée ici est de répondre par l’affirmative à la question de l’application de la loi lorsqu’on intervient en aide juridique : qu’il intervienne en pratique libérale ou en aide juridique, l’avocat sera soumis exactement aux mêmes obligations. 

Les dossiers d’aide juridique sont-ils susceptibles d’entrer dans le champ d’application de la loi anti-blanchiment1

Oui, par exemple ceux dans lesquels l’avocat intervient :

  • En droit familial et assiste son client dans le cadre des opérations de liquidation de régime matrimonial ;
  • En droit pénal et assiste son client prévenu qui, désireux d’indemniser la partie ci-vile, fait verser l’indemnisation sur son compte de tiers bien avant la plaidoirie

De telles situations, comme les transactions sur des sommes alimentaires, sont monnaie courante en aide juridique et l’avocat désigné fera preuve de toute la prudence et de la précaution qui s’imposent identiquement à lui.

Le BAJ a-t-il lui-même des obligations issues directement de la loi ? 

En aucun cas : il n’a pas la personnalité juridique et n’est qu’une émanation de l’Ordre. Il n’est pas « avocat » au sens de l’article 5, 28° de la loi anti-blanchiment et n’y est donc pas assujetti. Il n’est pas plus « autorité de contrôle » au sens de l’article 85, § 1er, 11°, lequel désigne spécifiquement le Bâtonnier à cette fonction.

Le BAJ n’est dès lors aucunement amené à déterminer si les opérations ou les prestations envisagées sont susceptibles de faire entrer le dossier dans le champ d’application de la loi anti-blanchiment. Cette responsabilité incombe à l’avocat désigné et à lui seul.

A fortiori, le BAJ ne pourra être considéré comme tiers introducteur au sens des articles 42 et suivants de la loi anti-blanchiment : seule une entité elle-même assujettie pourrait correspondre à cette notion.

Le BAJ peut-il toutefois aider l’avocat à remplir ses obligations AML ? 

Pour rappel, lorsqu’il est assujetti à la loi anti-blanchiment, l’avocat est sommé d’identifier son client (et ses mandataires et bénéficiaires effectifs) et de vérifier son identité (art. 21 et suivants) et d’identifier les caractéristiques du client et l’objet et la nature de la relation d’affaire ou de l’opération occasionnelle (art. 34 et suivants).

Le BAJ, de son côté, procède à des vérifications relatives à l’identité du justiciable demandeur de l’aide juridique et aux prestations de l’avocat :

1. Identité du client

a. Désignation à la demande de l’avocat

Si l’avocat demande lui-même sa désignation, il doit fournir à son BAJ toutes les informations utiles à sa désignation, en ce compris l’identité de son client, potentiellement bénéficiaire.

Le BAJ validera la demande si le bénéficiaire répond aux conditions d’octroi et si la demande n’est pas manifestement mal fondée, sans pour autant vérifier autrement que sommairement les coordonnées du bénéficiaire.

b. Désignation par le BAJ

Le BAJ qui procède à une désignation à la demande d’un justiciable, s’il vérifie l’identité sommaire mais nécessaire de celui-ci (à savoir ses nom, prénom et date de naissance), le fait essentiellement dans le but de vérifier son éligibilité à l’aide juridique.

Il peut, mais pas nécessairement, avoir eu accès à des moyens d’identification officiels comme la carte d’identité ou le numéro de registre national.

2. Prestations de l’avocat

Qu’il s’agisse d’une demande de l’avocat ou d’une désignation par le BAJ, l’intervention pour laquelle l’avocat est désigné n’est que « sommairement » vérifiée par le BAJ qui s’assure de son fondement apparent et qui veille à la raccrocher à l’une des matières de l’aide juridique de deuxième ligne.

Lorsqu’il désigne, le BAJ ne peut connaître la prestation qui sera réellement posée par l’avocat, ni jusqu’où ira son intervention.

Lorsqu’il contrôle le rapport de clôture, « L’Ordre des avocats2 contrôle l'effectivité et la qualité des prestations effectuées par les avocats au titre de l'aide juridique de deuxième ligne, ainsi que la régularité des démarches effectuées en vertu des articles 508/9, 508/14, alinéas 1er et 3 et 508/19, § 2. »3 c’est-à-dire qu’il vérifie si les prestations dont l’indemnisation est demandée par l’avocat ont bien été réalisées, répondent à l’exigence de qualité, et correspondent bien aux codes et points de la nomenclature demandés.

Les vérifications effectuées par le BAJ ne suffisent ainsi nullement à remplir les obligations de l’avocat, ni en termes d’identification du client et de vérification de son identité, ni en termes d’identification des caractéristiques du client et de l’objet et la nature de la relation d’affaire. Le fait que l’avocat soit désigné par le BAJ ou à sa demande n’exclut ni ne réduit en rien ses devoirs de prudence, d’information, et de communication.

Précisons que l’avocat désigné à sa propre demande aura tout intérêt à procéder aux formalités issues de la loi anti-blanchiment en même temps qu’il récolte les informations et documents nécessaires à sa désignation par son BAJ.

Muriel Clavie 
Avocate au barreau du Brabant wallon et responsable de l’aide juridique pour AVOCATS.BE

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1 Laquelle, pour rappel, ne s’applique aux avocats que :
« a) lorsqu'ils assistent leur client dans la préparation ou la réalisation d'opérations concernant :
  i) l'achat ou la vente de biens immeubles ou d'entreprises commerciales;
  ii) la gestion de fonds, de titres ou d'autres actifs appartenant au client;
  iii) l'ouverture ou la gestion de comptes bancaires ou de portefeuilles;
  iv) l'organisation des apports nécessaires à la constitution, à la gestion ou à la direction de sociétés;
  v) la constitution, la gestion ou la direction de sociétés, de fiducies ou de trusts, de sociétés, de fonda-tions ou de structures similaires;
b) ou lorsqu'ils agissent au nom de leur client et pour le compte de celui-ci dans toute opération financière ou immobilière »
(art. 5, 28° de la loi anti-blanchiment).

2 En l’occurrence le BAJ qui agit au nom de l’Ordre par délégation.

3 Articles 508/8 du code judiciaire et 508/19

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Vous pouvez toujours adresser vos questions à blanchiment@avocats.be. Nous ferons le maximum pour y apporter une réponse claire dans les meilleurs délais.
Rappelons que tous les documents proposés par la Commission anti-blanchiment pour vous faciliter la lutte anti-blanchiment se trouvent sur l’extranet d’AVOCATS.BE.

 

Crédit photo : photo de Tingey Injury Law Firm sur Unsplash

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