Quelle justice voulons-nous ?

En période électorale, les partis établissent un programme et, lors des dernières élections, la justice n’a pas été totalement oubliée. A tout le moins, tous les partis ont promis de la refinancer. Sans doute est-ce un début indispensable mais la question essentielle du rôle de la justice dans un Etat démocratique a, elle, été un peu passée sous silence.

Les constats, nous les connaissons tous : accès difficile au juge pour un grand nombre de justiciables, lenteur dans le processus décisionnel, privatisation de certains règlements des litiges, classement sans suite de nombreux dossiers répressifs, désinvestissement financier dans le système judiciaire, manque d’effectifs que ce soit pour les magistrats ou les personnels des greffes et parquets, informatisation chaotique des services, hémorragie de textes législatifs, même fondamentaux, délabrement des lieux de justice, …

Alors, refinancer paraît une évidence et nous attendons tous avec impatience les effets du refinancement promis. Toujours pas de cadres remplis, toujours pas de système informatique cohérent, toujours un arriéré judiciaire important. La situation dramatique de la Cour d’Appel de Bruxelles est emblématique mais malheureusement elle n’est pas isolée. Les choses mettent décidément beaucoup de temps à se mettre en place.

Mais s’est-on posé la question de savoir quelle justice nous attendions pour notre pays ? Ces dernières années, voire décennies, tout a été analysé sous l’angle de l’efficacité, qu’elle soit budgétaire ou simplement quantitative lorsqu’on parle de charge de travail. Tout est maintenant analysé en statistiques : les dossiers qui entrent, les décisions qui sortent ! Et le tout est agrémenté d’une volonté politique à peine cachée de soumettre de moins en moins de litiges à nos juges.

Après la loi d’inversion du contentieux du B2B, dont on attend toujours avec impatience une évaluation objective, on parle de plus en plus de l’inversion du contentieux du B2C. Est-on certain, en dehors de tout réflexe corporatiste, de vouloir une justice qui permette à un créancier de se délivrer un titre exécutoire et qui oblige le débiteur à introduire lui-même la procédure s’il conteste celui-ci ? Evidemment, au nom de l’efficacité, on peut envisager bien des choses.

Mais surtout, souhaite-t-on un filtrage des dossiers traités par un juge en fonction de l’enjeu ? Car c’est bien vers là que, en fait et peut-être même en droit, nous allons. Parce que la dette porte sur moins de 1.000 € ou parce qu’il ne s’agit que d’un problème de hauteur de haie, certains souhaitent soustraire ces dossiers de la sphère judiciaire.

Comme le souligne le journaliste Jean-Michel Dumay, « l’institution se retrouve donc prise entre deux feux : la recherche de l’efficacité budgétaire et le souci de rendre la justice à un coût compatible avec les exigences de procès équitable posées par la Cour européenne des droits de l’homme »[1].

Le rôle de la justice reste d’organiser la paix sociale. Elle doit permettre de mettre fin à des conflits de manière pacifique, elle doit sanctionner les actes et comportements illicites. Elle doit également protéger les personnes les plus fragiles. L’efficacité budgétaire ne peut s’entendre que comme souci de gérer au mieux les moyens attribués à la justice pour son fonctionnement mais pas comme une limitation de ces moyens.

A l’instar de la santé et de l’éducation, il ne peut y avoir de restriction de moyens en matière de justice. Ou alors, elle ne pourra plus jouer son rôle de pacification sociale. C’est sans doute en ce sens, qu’il faudra comprendre que la justice n’a pas de prix.

Sans doute, devrons-nous nous battre pour rappeler ces principes fondamentaux. La justice doit permettre à chaque citoyen d’être entendu et de voir trancher son litige par un juge indépendant et compétent dans le respect des principes de la convention européenne des droits de l’homme.

Rien de nouveau sans doute mais ne restons pas attentistes : cela nécessite également que l’on trouve de nouvelles solutions pour qu’une personne qui se trouve face à l’impossibilité de rembourser une petite dette ne voit pas celle-ci augmenter de manière vertigineuse par les frais de justice. La procédure de règlement collectif doit être facilitée, la procédure sommaire d’injonction de payer doit être simplifiée tout en permettant le contradictoire, les modes alternatifs de règlement des conflits doivent être favorisés et simplifiés pour les « petits » litiges, …

Nous devons être les acteurs de ces changements.

Votre très dévoué,

 

Xavier Van Gils
Président

[1] Jean-Michel Dumay, Une justice au bord de l’implosion, Le Monde diplomatique, Mai 2021, p. 23

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Xavier
Van Gils
Ancien Président

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