R.G.P.D. : une première décision visant les avocats

La décision commentée dans ces lignes démontre que les avocats peuvent faire l’objet de plaintes de justiciable auprès de l’Autorité de protection des données en raison du contexte essentiellement conflictuel dans lequel ils évoluent quotidiennement. Ils sont en effet particulièrement exposés aux réactions négatives d’une partie adverse déçue, ce qui nécessite une vigilance accrue en matière de respect des obligations liées au Règlement sur la protection des données. 

Le 15 avril dernier l’Autorité de protection des données a rendu une première décision visant un avocat et un barreau suite à la plainte d’un particulier. Défendeur dans le cadre d’un litige locatif, celui-ci reprochait à l’avocat de la partie demanderesse d’avoir déposé à l’appui de sa requête, un extrait du registre national comportant plus de données à caractère personnel qu’il n’en fallait.

Si l’article 1034 quater du Code judiciaire précise en effet, qu’à peine de nullité, un certificat de domicile ou un extrait du registre national des personnes physiques doit être joint à la requête, le document fourni par le registre reprend d’autres renseignements comme la profession, l’état civil, l’identité des enfants ou les précédentes adresses de la personne visée.

Le plaignant estimait donc que l’article 5.1. c) du R.G.P.D. n’avait pas été respecté en ce qu’il précise que pour être traitées, les données à caractère personnel doivent être « adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées (minimisation des données) ».

La Chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données a estimé que cette question méritait d’être posée et qu’il incombait en principe à l’avocat de ne transmettre que des données strictement nécessaires à l’identification en justice du défendeur mais qu’en l’espèce ce dernier avait eu l’occasion d’exposer ses arguments au juge de paix.

Le jugement ayant été entretemps rendu, il n’appartenait pas à la Chambre de le réformer et la plainte fut classée sans suite « pour motif technique ».

Toutefois, la Chambre en a profité pour préciser certains principes, notamment en matière d’accès au registre national.

En vertu de l’article 5, 6° de la loi du 8 août 1983 organisant un registre national des personnes physiques, l’O.B.F.G. et l’O.V.B. sont en effet autorisés à consulter les informations visées à l’article 3 aliénas 1 à 3 du registre national « dans le seul but de communiquer aux avocats les informations dont ils ont besoin pour les tâches qu’ils accomplissent en tant « qu’auxiliaire » de justice. »

La délibération du Comité sectoriel du registre national du 8 mai 2012 précise que, si les avocats ont la faculté d’accéder à toutes les informations visées à l’article 3, 1°- 8° et 13° de la loi du 8 août 1983, l’accès à ces informations est subordonné à une obligation de motivation. Les données du registre national nécessaires aux avocats différent en effet en fonction des situations et des procédures auxquelles ils sont confrontés : « Ainsi, les actes préparatoires à une action en récupération de créance nécessitent uniquement de consulter l’adresse actuelle du débiteur pour lui adresser une mise en demeure alors que les actes préparatoires à une action en recherche de paternité ou de maternité nécessitent de consulter la date de naissance de l’enfant ainsi que l’état civil de la mère et leur nationalité afin de déterminer la loi applicable et de vérifier si les conditions de délais de l’intentement de l’action sont respectées. ».

En l’espèce, la Chambre contentieuse souligne qu’il n’entre pas dans ses priorités de se substituer à la juridiction saisie pour estimer la proportionnalité des données personnelles communiquées : « Ainsi par exemple, il n’appartient pas à la Chambre contentieuse de décider, sans examiner le litige dans son ensemble, dans quelle mesure il est pertinent ou non qu’un juge de paix soit informé de la situation familiale du défendeur afin de décider en connaissance de cause dans le cadre d’un litige locatif (ex. y a-t-il des enfants vivant sous le même toit) et/ou si l’extrait exhaustif du R.N. est la voie la plus adéquate pour transmettre au juge ce genre d’information. »

Cette analyse est intéressante dans la mesure où elle laisse entendre qu’un extrait du registre obtenu pour répondre à l’exigence de l’article 1034 quater du Code judiciaire – c’est-à-dire à titre de certificat de domicile -, pourrait éventuellement contenir d’autres renseignements utiles pour le juge de paix en fonction du fond du litige, même s’il n’a pas été délivré dans ce but à l’avocat qui le sollicitait.

Selon la Chambre, il appartient au bâtonnier d’informer le plaignant des usages en la matière et de la « granularité » des informations nécessaires dans le cadre d’un litige locatif. S’il ne le peut, la responsabilité de son barreau pourrait être engagée : « En fonction de la réponse qui sera apportée au plaignant de ce côté, la Chambre contentieuse signale que la responsabilité du barreau local et/ou du Registre national pourrait être mise en cause s’il s’avérait que des données personnelles non pertinentes sont transmises de manière non appropriée par le Registre national à l’Ordre des barreaux francophones et germanophone et l’Ordre van Vlaamse Balies en dehors des tâches qu’ils remplissent en tant qu’auxiliaire de justice. »

Il reviendrait donc au bâtonnier de justifier par les usages en la matière, les informations à caractère personnel communiquées par le registre et utilisées par un avocat de son barreau, la Chambre s’écartant de la position du Comité sectoriel qui n’autorise que l’utilisation de données à caractère personnel nécessaires et pertinentes, et non simplement utiles ou conformes aux usages.

Si l’utilisation de ces informations supplémentaires ne peut être justifiée par le bâtonnier, la responsabilité du barreau local serait alors engagée dans la mesure où le traitement serait « un incident récurrent ayant un impact sur la vie privée des citoyens belges. ».

D’une part pourtant, les informations attendues du bâtonnier ne correspondent guère aux compétences de sa fonction et pourraient même être à l’origine d’une dangereuse incertitude puisqu’elles ne sont ni opposables aux juridictions saisies, ni à l’Autorité de contrôle.

D’autre part, la mise en cause subsidiaire de la responsabilité du barreau local est difficile à comprendre puisque celui-ci ne joue aucun rôle dans la transmission des données du R.N. à l’avocat.

L’article 5 de la loi du 8 août 1983 rappelé plus haut n’autorise en effet que l’O.B.F.G. et l’O.V.B. à accéder aux informations du registre national des personnes physiques, le ministre de l’intérieur ayant même précisé, par sa décision 056/2019 du 16 décembre 2019, que les avocats ne pouvaient plus accéder aux registres de la population tenus par les communes.

Seuls l’O.B.F.G. et l’O.V.B. ont donc l’autorisation d’accéder au registre national en tant que tiers de confiance à l’exclusion des Ordres locaux.

Quel est l’enseignement concret à retirer de cette décision ?

Les avocats ne peuvent en principe communiquer plus de données à caractère personnel sur la partie adverse que le requiert la loi ou les usages que le bâtonnier peut justifier en la matière.

Pourtant l’avocat souhaitant accéder au registre national, ne peut que remplir un formulaire ad hoc et l’adresser au registre via le portail dédié sur le site d’AVOCATS.BE. Le registre communique alors une réponse type contenant une série de renseignements à caractère personnel à propos de la personne visée.

L’avocat peut-il de sa propre initiative, biffer les renseignements qui ne lui semblent pas nécessaires sans porter atteinte à l’intégrité d’un document officiel communiqué par le registre national en application de la loi du 8 août 1983 ? Selon nous, la réponse est négative. L’avocat ayant obtenu le document du registre national ne peut en effet que le transmettre dans son intégralité au greffe conformément à l’article 1034 quater du Code judiciaire et ne peut en altérer le contenu sans le dénaturer.

Si l’avocat ne peut biffer les données superflues, AVOCATS.BE peut-il le faire à sa place ? Une réponse négative s’impose ici également. D’une part en effet, l’O.B.F.G. n’est pas habilité à modifier l’extrait du registre national. D’autre part, il n’est pas équipé pour analyser les très nombreuses demandes qui lui sont adressées en examinant au besoin les éléments de la procédure alors que l’Autorité elle-même estime que cela ne fait pas partie de ses priorités.

La seule réponse qui peut donc être apportée à cette problématique est celle d’une plus grande sélection effectuée par le registre national dans les données à caractère personnel qu’il communique aux Ordres communautaires mais à ce stade, ni les avocats, ni les Ordres locaux, ni les Ordres communautaires n’ont les moyens d’agir sur celles-ci.

Pour télécharger les outils nécessaires au respect des obligations en matière de R.G.P.D., rendez-vous sur l’extranet d’AVOCATS.BE. Sous l’onglet R.G.P.D., vous pouvez télécharger la charte « vie privée » à placer sur le site de votre cabinet ou à distribuer à vos clients après l’avoir adaptée à votre profil. Le registre à tenir par les avocats et les contrats de sous-traitance seront disponibles sous peu.

 

 

Stéphane Boonen,
Administrateur

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