Dans le but de favoriser le réflexe européen, la TRIBUNE EUROPEENNE s’adresse à tous les avocats. Le droit européen est en effet directement applicable en droit interne et intéresse donc tous les praticiens puisque tous les avocats peuvent solliciter l’application de cette matière par le tribunal auquel ils s’adressent.
Cette rubrique fait donc un rapide tour d’horizon de quelques décisions de la Cour de Justice et de la Cour européenne des droits de l’Homme reprises par nos amis français dans L’EUROPE EN BREF (Délégation des barreaux de France).
Il faut ici remercier le Président de la Délégation des Barreaux de France, Me Laurent Pettiti, et son équipe pour cette précieuse collaboration.
Stéphane Boonen,
Administrateur
Relevé dans
L’Europe en bref n°1069 du 14 mars au 20 mars 2025
L’Europe en bref n°1070 du 21 mars au 03 avril 2025
L’Europe en bref n°1071 du 04 au 10 avril 2025
L’Europe en bref n°1072 du 11 au 17 avril 2025
L’Europe en bref n°1073 du 18 au 25 avril 2025
L’Europe en bref n°1074 du 26 avril au 15 mai 2025
L’Europe en bref n°1075 du 16 au 22 mai 2025
AVOCAT
L’amende imposée à un avocat ayant tenu des propos dévalorisants à l’égard d’un juge n’emporte pas la violation de sa liberté d’expression (8 avril)
Arrêt Backović c. Serbie (n°2), requête n°47600/17
Le requérant est un avocat serbe contre lequel une amende pour outrage au tribunal a été imposée. En l’espèce, au cours d’une procédure d’appel, il avait ironiquement qualifié les juges de première instance de « génies du droit » de « géants du droit » et le jugement d’« absurdité suprême ». Il invoque une violation de l’article 10 de la Convention. La Cour EDH considère que les déclarations dévalorisantes et impertinentes du requérant ont déprécié le tribunal ainsi que l’expérience, l’expertise et les capacités professionnelles de la juge siégeant en l’espèce, accusée d’être ignorante et incompétente. Bien que la décision le condamnant à payer une amende ait été prise par la juge visée par les déclarations du requérant, ce dernier a bénéficié d’un recours juridictionnel effectif contre ladite décision. Par ailleurs, la Cour EDH note que le montant de l’amende était de 425€, soit le plus bas du barème applicable. Enfin, l’amende n’a eu aucune conséquence sur le droit du requérant d’exercer sa profession d’avocat. Partant, l’ingérence poursuivant le but légitime de préservation de l’autorité du pouvoir judiciaire était nécessaire dans une société démocratique, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 10 de la Convention. (EL)
CONSOMMATION
Une clause contractuelle obligeant un jeune sportif à reverser une partie de ses revenus s’il devient un athlète professionnel peut être considérée comme abusive (20 mars)
Arrêt Arce, aff. C-365/23
Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour suprême (Lettonie), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE. En l’espèce, un jeune sportif s’est engagé, dans l’hypothèse où il deviendrait professionnel, à verser à une entreprise d’aide et de développement de carrière, une rémunération égale à 10% de ses revenus. Afin de déterminer le caractère abusif d’une clause litigieuse, la Cour rappelle qu’il convient pour les juridictions d’apprécier si elle est rédigée de façon claire et compréhensible. A ce titre, l’exigence de transparence doit être respectée. En effet, le consommateur doit disposer de l’ensemble des informations nécessaires à l’évaluation des conséquences économiques de son engagement. De plus, la Cour estime que ladite clause ne crée pas en soi un déséquilibre significatif entre le consommateur et le professionnel. Ainsi, son caractère abusif doit s’apprécier au regard d’éléments tels que les pratiques de marché loyales et équitables dans le domaine sportif concerné et l’ensemble des clauses du contrat. Enfin, la circonstance que le consommateur était mineur lors de la conclusion du contrat doit être prise en compte par les juridictions dans leur appréciation. (EL)
CONSOMMATION
Un parent qui résilie unilatéralement un contrat d’enseignement relatif à la scolarisation de ses enfants ne peut se prévaloir de la dispense, prévue par le droit de la consommation, relative à la « fourniture non demandée » d’un service pour ne pas payer les frais de scolarité dus (30 avril)
Arrêt St. Kliment Ohridski, C-429/24
Saisie d’un renvoi préjudiciel par le tribunal d’arrondissement de Sofia (Bulgarie), la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’interprétation des notions de « consommateur », de « contrat de service », ainsi que la situation particulière de fourniture non demandée de services, définies respectivement dans la directive 93/13 et la directive 2011/83. En l’espèce, une mère avait résilié unilatéralement 2 contrats d’enseignement conclus avec un établissement privé aux fins de scolarisation de ses enfants. Cette dernière s’est opposée au paiement d’une pénalité contractuelle prévue pour la résiliation unilatérale des contrats et qui correspondait au montant de sa dernière échéance impayée. L’article 27 de la directive 2011/83 prévoit, dans le cadre d’un contrat conclu avec un consommateur, la dispense de l’obligation de payer une prestation non demandée de services. Après avoir déterminé qu’un parent ayant conclu un contrat d’enseignement avec un établissement enregistré en tant que société commerciale relevait bien de la notion de « consommateur » et que le contrat en question relevait bien de la notion de « contrat de service », la Cour considère qu’il ne saurait être question en l’espèce d’un service fourni sans que le parent ne l’ait demandé (AJ)
DROITS FONDAMENTAUX
La décision de déchéance de l’autorité parentale intervenue sans une enquête suffisamment complète justifiant de l’impossibilité d’une réunification familiale viole la Convention (15 avril)
Arrêt Van Slooten c. Pays-Bas, requête n°45644/18
La requérante est une mère déchue de son autorité parentale par les services de protection de l’enfance afin de préserver la stabilité et la continuité de l’éducation de sa fille placée en famille d’accueil. Elle allègue une violation de l’article 8 de la Convention, considérant que cette déchéance a été ordonnée sans qu’il y ait eu une enquête suffisante sur ses aptitudes parentales et au seul motif que sa fille se portait bien dans sa famille d’accueil. La Cour EDH rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant implique que ses liens avec sa famille soient maintenus, sauf dans les cas où cette dernière s’est montrée particulièrement inapte. La réunification familiale doit avoir lieu dès que celle-ci est raisonnablement possible. En l’espèce, la Cour EDH observe que la déchéance était principalement fondée sur l’absence de coopération de la mère avec les services sociaux à l’occasion de l’enquête, laquelle n’a duré que 4 mois, après lesquels ces services ont estimé qu’il n’existait plus d’avenir pour l’enfant avec sa mère. La Cour EDH relève par ailleurs que ceux-ci n’ont jamais pris en compte la vulnérabilité de la requérante ayant perdu confiance dans les services sociaux. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 8 de la Convention. (PC)
DROITS FONDAMENTAUX
Le principe de légalité ne s’oppose pas à une incrimination établie en des termes larges dès lors que la jurisprudence permet une interprétation constante et prévisible de celle-ci (15 avril)
Arrêt Bădescu e.a. c. Roumanie, requêtes n°22198/18, 48856/18 et 57849/19
Les requérantes sont trois juges condamnées du chef d’abus de fonctions en raison du prononcé d’une décision judiciaire orientée en faveur d’un justiciable qui aurait remis un pot-de-vin à l’une d’elles. Elles allèguent une violation du principe de légalité, considérant que l’incrimination d’abus de fonction manque de clarté et de prévisibilité, les empêchant de prévoir que le prononcé d’une décision par un juge pouvait constituer l’élément matériel de l’infraction. La Cour EDH rappelle que l’exigence de précision des lois ne s’oppose pas à une rédaction en des termes généraux, lorsque ceux-ci sont suffisamment compensés par l’interprétation jurisprudentielle. En l’espèce, la Cour EDH constate que l’incrimination d’abus de fonction est définie en des termes larges. Elle observe cependant que la jurisprudence nationale est constante sur le fait que, si un juge ne peut voir sa responsabilité pénale engagée en raison d’une motivation erronée d’une décision de justice, il en va autrement dès lors que sa mauvaise foi est caractérisée. Elle relève par ailleurs que les requérantes sont des juges spécialisées en droit pénal et dotées de plusieurs années d’ancienneté leur permettant d’évaluer les risques inhérents à leur métier. Dès lors, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 7 de la Convention. (PC)
DROITS FONDAMENTAUX
L’obligation positive issue de l’article 2 de la Convention impose aux Etats de conduire des enquêtes approfondies en tenant suffisamment compte des études scientifiques ou des circonstances d’espèce (27 mars)
Arrêt Laterza et D’erricoc ; Italie, requête n°30338/22
Les requérants reprochaient d’une part, aux autorités nationales d’avoir classé sans suite leur plainte déposée pour homicide involontaire sans tenir compte de leurs éléments de preuve et, d’autre part, de ne pas avoir conduit les actes d’enquête suffisants permettant d’identifier d’éventuels responsables à la suite du décès d’un membre de leur famille des suites d’un cancer. La Cour EDH souligne que dans ce type d’affaire, nécessitant d’établir un lien de causalité ainsi que le moment précis de la contamination, il incombe au juge de prendre en considération les études scientifiques existantes portées à sa connaissance par des rapports d’experts, de se positionner à leur égard et d’appliquer aux faits de l’espèce les principes dégagés. Elle constate qu’en l’espèce, les autorités nationales ne s’appuyaient sur aucune expertise ou explication scientifiques dans le domaine en cause, ni sur les circonstances propres au cas d’espèce. Elle note par ailleurs que le juge d’investigation a rejeté la demande tendant à la collecte de nouvelles preuves en vue d’éclaircir le lien de causalité. La Cour EDH estime que la détermination des expositions à la substance nocive qui présentaient un lien de causalité avec la pathologie du défunt aurait pu faire l’objet d’approfondissements et que les juridictions internes n’ont pas fait suffisamment d’efforts pour établir les faits. Elles ont ainsi rendu une décision de clôture insuffisamment motivée. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 2 de la Convention. (BM)
DROITS FONDAMENTAUX
L’usage de la force meurtrière par un agent de l’Etat, doit être restreint à une absolue nécessité et accompagné d’investigations effectives menées de manière indépendante (20 mai)
Arrêt Koomen c. Pays-Bas, requête n°298/15
Les requérants sont les parents d’un individu tué par un policier à l’occasion de l’arrestation de son frère et de l’un de ses amis ayant dégénéré en altercation entre le groupe et le policier. Ils allèguent une violation de l’article 2 de la Convention, tant sur le volet substantiel que procédural. La Cour EDH rappelle que l’usage de la force meurtrière par la police est restreint à une absolue nécessité tirée d’une « conviction honnête et sincère » de son auteur que sa vie ou celle d’autrui était en danger. Sur l’aspect procédural, elle précise que les autorités doivent prendre toutes les mesures raisonnables à leur disposition pour obtenir les preuves dans un délai suffisamment rapide et en toute indépendance. En l’espèce, elle note que l’auteur du tir a fait face à une agression d’une forte intensité, dans un espace confiné et sans renforts, lui faisant légitimement craindre pour sa vie et ne lui laissant pas d’autre possibilité que l’usage de son arme. Les investigations ont inclus des interrogatoires, analyses forensiques et recueils d’images de vidéosurveillance par une équipe policière et un magistrat enquêteur d’une région différente de celle de l’auteur du coup de feu. Partant, la Cour conclut à la non-violation de l’article 2 de la Convention. (PC)
DROITS FONDAMENTAUX
Les échanges relevant de l’invective, dans le cadre du jeu politique et du libre débat d’idées, ne sauraient constituer des violations de la Convention (22 mai)
Arrêt Marine Tondelier c. France, requête n°35846/23
La requérante est une femme politique française occupant le poste de Secrétaire nationale du parti politique « Europe Ecologie Les Verts ». Elle s’estimait diffamée par les propos tenus par un ancien ministre de la Transition écologique sur le réseau social Twitter, après l’avoir interpellé concernant certaines de ses déclarations tenues par voie de presse. Considérant que par sa réponse, le ministre assimilait les propos de la requérante à un soutien à des actes de violence contre les biens commis par des militants de la cause écologique, elle saisit la Cour de justice de la République, laquelle classa sa plainte sans suite. Invoquant les articles 6 §1, 8 et 13 de la Convention, la requérante critique la décision de ce classement sans suite s’estimant privée de ses droits pour protéger sa réputation. La Cour EDH souligne qu’en l’espèce le litige tire directement sa source de l’exercice, par la requérante comme par le ministre qui a répliqué à son commentaire, de leur droit à la liberté d’expression dans le cadre de leur activité politique. Elle renvoie à sa jurisprudence désormais consolidée en la matière, en rappelant que l’article 10 §2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique et qu’il est essentiel, dans une société démocratique, de défendre le libre jeu du débat politique dans lequel elle admet que des propos puissent relever de l’invective ou de la provocation visant à déclencher une polémique autour de l’attitude prétendument adoptée par le destinataire des propos. Elle souligne également que la requérante ayant elle-même préalablement proféré des déclarations virulentes, elle aurait dû s’attendre à ce qu’elles déclenchent ou alimentent une polémique et influencent le ton du tweet en réponse. A ce titre la Cour souligne que la requérante ne peut se plaindre d’une atteinte à sa réputation qui résulterait de manière prévisible de ses propres actions. Partant les griefs étant manifestement mal fondés, la requête est jugée irrecevable. (BM)
DROITS FONDAMENTAUX – LIBERTE D’EXPRESSION
Les campagnes de désinformation et de manipulation des opinions constituent des menaces directes et manifestes pour la sécurité de l’Union européenne, justifiant la restriction de services d’accès à internet fournis par un groupe d’opérateurs (26 mars)
Arrêt A2B Connect e.a. c. Conseil, aff. T-307/22
Saisi d’un recours en annulation par des fournisseurs d’accès à internet, le Tribunal s’est prononcé sur la conformité de la décision (PESC) 2022/351, et du règlement (UE) 2022/350 au droit de l’Union. Le Tribunal rappelle que, conformément à l’article 275 TFUE, seule la nature individuelle des actes adoptés sur le fondement des dispositions relatives à la PESC, ouvre l’accès aux juridictions de l’Union. Les requérants non mentionnés en annexe des actes litigieux font partie de la catégorie abstraite des « opérateurs » pour qui la décision n’a qu’une portée générale. Ces derniers sont tenus d’empêcher la prolifération de contenus produits par des entités identifiées et inscrites en annexe, à l’égard desquelles les actes attaqués ont une portée individuelle. Par ailleurs, compte tenu d’une part, de la grande latitude dont dispose le Conseil et, d’autre part, de l’interprétation large de la notion de « position de l’Union » figurant à l’article 29 TUE, c’est à bon droit qu’il a pu considérer que face à la crise internationale provoquée par l’agression de l’Ukraine, les restrictions contenues dans les actes litigieux étaient des mesures utiles pour réagir à la grave menace contre la paix aux frontières de l’Union. Concernant le moyen tiré de la violation de la liberté d’expression et d’information le Tribunal considère que ce droit n’est pas absolu et qu’eu égard à la nature et au but des restrictions en cause, la prise en compte des fournisseurs internet, assimilables aux diffuseurs de contenus par d’autres moyens, était appropriée. Enfin, il remarque qu’en tant que médium, ces derniers ne sont pas eux-mêmes titulaires du droit dont ils invoquent la violation. Le Tribunal rejette ainsi le recours. (BM)
DROITS FONDAMENTAUX – LIBERTE D’EXPRESSION
La sanction du port d’une visière de protection en plastique rudimentaire à l’occasion d’une manifestation constitue une ingérence disproportionnée dans la liberté de réunion (20 mai)
Arrêt Russ. c. Allemagne, requête n°44241/20
Le requérant est un manifestant ayant porté une visière de protection en plastique rudimentaire. Condamné pour violation de l’interdiction générale du port d’armes de protection, il allègue une violation de son droit à la liberté de réunion et d’association. La Cour EDH rappelle d’abord qu’une ingérence à cette liberté doit répondre à un besoin social impérieux et être proportionnée au but poursuivi. Les motifs qui la justifient doivent par ailleurs être « pertinents et suffisants ». En l’espèce, elle admet la possibilité d’une interdiction des armes de protection, lesquelles manifestent une volonté de recourir à la violence et ont, selon les études sur la psychologie des foules, un effet stimulant sur l’agressivité de celles-ci. Cependant, elle relève que la visière en plastique du requérant était une construction très simple faite d’une feuille de plastique et d’un ruban de scotch, de telle sorte qu’elle ne saurait être considérée comme une « arme de protection » a contrario de boucliers ou de casques professionnels. Dans cette mesure, les autorités n’ont pas suffisamment justifié en quoi elle constituait un risque d’atteinte à la sécurité publique. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 11 de la Convention. (PC)
DROIT PENAL
La comparution d’un accusé à l’intérieur d’un box vitré ne viole pas la présomption d’innocence dès lors qu’elle est strictement justifiée et lui permet de communiquer avec son avocat (3 avril)
Arrêt Federici c. France, requête n°52302/19
Le requérant est un individu ayant été contraint de comparaître devant une cour d’assises à l’intérieur d’un box vitré. Il estime qu’une telle contrainte viole son droit à la présomption d’innocence dans la mesure où le recours à ce mécanisme répand inévitablement dans l’esprit de la juridiction l’idée de sa dangerosité et donc de sa culpabilité. La Cour EDH rappelle que l’installation des dispositifs de sécurité dans les salles d’audience ne rend pas, en soi, un procès pénal inéquitable, les facteurs décisifs étant la nature, l’étendue et les modalités de l’application ainsi que la justification du recours à de tels dispositifs. En l’espèce, la Cour EDH s’interroge sur le caractère inamovible de la structure de sécurité et donc sur la possibilité des juridictions internes d’effectuer une appréciation « au cas par cas » de son recours. Pour autant, elle relève que le box vitré en question ne présente aucun caractère humiliant ou rebutant, que son utilisation a été justifiée par le fait que l’accusé se soit déjà soustrait à la justice dans le passé et que le dispositif permettait à l’accusé de communiquer confidentiellement avec ses avocats. Partant, la Cour conclut à la non-violation de l’article 6 § 2 de la Convention. (PC)
DROIT PENAL
Le maintien d’un détenu malade sous un régime de détention particulièrement sévère doit être suffisamment justifié pour ne pas constituer un traitement inhumain et dégradant (10 avril)
Arrêt Morabito c. Italie, requête n°4953/22
Le requérant est un ressortissant italien qui allègue que son maintien en détention sous un régime particulièrement sévère (le régime carcere duro dit « 41 bis »), malgré sa santé fragile, constitue un traitement inhumain et dégradant, en violation de l’article 3 de la Convention. La Cour rappelle que lorsqu’elle examine si la détention d’une personne malade est compatible avec cet article, elle s’intéresse aux points suivants : l’état de santé du prisonnier, les soins médicaux qui lui sont apportés et la question de savoir si le détenu peut être maintenu en prison compte tenu de son état de santé. Sur ce point, la Cour conclut qu’il n’y avait pas eu de faute dans la manière dont le détenu était soigné et que les maladies dont il souffre ne rendent pas sa détention inhumaine. Cependant, la Cour estime que le gouvernement italien n’a pas suffisamment démontré qu’il était nécessaire, dans les circonstances particulières de l’affaire, de maintenir le régime d’isolement quasiment total imposé au détenu après avoir été condamné pour sa participation à des infractions mafieuses. Partant, sur ce dernier point uniquement, la Cour conclut à la violation de l’article 3 de la Convention. (AJ)
DROIT PENAL
Les actes du Parquet européen affectant la situation juridique d’un tiers doivent pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel national a minima de manière incidente (8 avril)
Arrêt Parquet européen, aff. C-292/23
Saisie d’un renvoi préjudiciel par le tribunal d’instruction de Madrid (Espagne), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur le contrôle juridictionnel des actes de procédure du Parquet européen. En l’espèce, des avocats de la défense contestent une citation à comparaître d’un témoin devant les procureurs européens délégués espagnols. Or, le droit espagnol ne dispose pas d’un tel recours pour les actes du Parquet européen, en contradiction potentielle avec le règlement (UE) 2017/1939prévoyant un droit au recours contre toute décision produisant des effets juridiques sur un tiers. Dès lors, la juridiction questionne la Cour sur la conformité du droit espagnol audit règlement. La Cour indique d’abord que c’est à la juridiction nationale de déterminer si un acte de procédure du Parquet européen produit bien un effet juridique sur un tiers. Dans l’affirmative, cet acte doit être soumis au contrôle a minima du jugede manière incidente. Conformément au principe d’équivalence et s’il existe en droit interne la possibilité d’un recours similaire direct contre une décision analogue, le contrôle du juge sur l’acte du Parquet européen doit alors également être direct. (PC)
DROIT PENAL
Le refus opposé à un détenu non-représenté de participer par vidéoconférence à la procédure administrative concernant la surveillance de sa correspondance en prison est contraire à la Convention (24 avril)
Arrêt Ivan Karpenko c. Ukraine (n°2) requête n°41036/16
Le requérant est un détenu ukrainien n’ayant pas été autorisé à participer par vidéoconférence à une procédure administrative concernant la surveillance de sa correspondance par l’administration pénitentiaire. Il invoque la violation des articles 6 et 8 de la Convention. La Cour EDH considère que les autorités ne peuvent refuser au détenu, par ailleurs non représenté et ne bénéficiant pas d’une aide juridictionnelle, qu’il participe à une procédure par vidéoconférence au seul motif que les règles législatives pertinentes le permettant n’existent pas. Au contraire, les autorités doivent déterminer si la nature du litige nécessite sa présence pour assurer l’équité globale de la procédure et l’égalité des armes, en particulier lorsque l’administration pénitentiaire a la possibilité de présenter des observations orales sur le fond de l’affaire en raison de sa présence à l’audience. De plus, la Cour EDH relève que l’interdiction légale de contrôler la correspondance des détenus avec les tribunaux nationaux, n’a pas été respectée par l’administration pénitentiaire, laquelle n’avait, en l’espèce, ni présenté l’enveloppe scellée au détenu, ni inscrit celle-ci comme « enveloppe scellée » sur le registre des correspondances. Au contraire, elle avait procédé à l’enregistrement de son contenu dans ce registre. Partant, la Cour EDH conclut à la violation des articles 6 et 8 de la Convention. (EL)
DROIT PENAL
Un formulaire d’extradition demandant l’arrestation d’un individu se trouvant à l’étranger constitue un mandat d’arrêt national suffisant pour permettre l’émission d’un mandat d’arrêt européen (13 mai)
Arrêt Spiteri c. Malte, requête n°37055/22
Le requérant est un individu ayant fait l’objet d’une extradition vers Malte sur la base d’un mandat d’arrêt européen (« MAE »), lequel a conduit à son placement en détention. Il considère avoir fait l’objet d’une détention arbitraire au sens de l’article 5 de la Convention, dès lors que le mandat d’arrêt national sur lequel doit nécessairement s’appuyer le MAE était un simple formulaire de demande d’extradition. La Cour EDH rappelle d’abord qu’une privation de liberté ne peut se fonder que sur une décision respectant le droit interne et, le cas échéant, le droit de l’Union européenne, afin de garantir tout risque contre l’arbitraire. En l’espèce, elle observe que le formulaire d’extradition, s’il ne constitue pas un mandat d’arrêt classique, avait bien été délivré dans le but « entre autres », d’arrêter le requérant et de le maintenir en détention. Elle estime qu’il n’y a rien d’anormal à ce que l’arrestation d’une personne en dehors de son territoire soit demandée en vertu de la législation relative à l’extradition. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de la Convention. Les juges Lofaro et Vehabović ont émis des opinions partiellement dissidentes, considérant qu’aucun mandat d’arrêt national n’avait valablement été délivré. (PC)
DROIT PENAL
Le refus d’ouverture d’un nouveau procès consécutif à un jugement par défaut ne peut pas être justifié par la seule fuite de l’individu informé de sa mise en accusation (20 mai)
Arrêt Kachev, aff. C-135/25
Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour suprême de cassation (Bulgarie), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur les garanties entourant une condamnation par défaut au sens des articles 8 et 9 de la directive (UE) 2016/343. En l’espèce, un individu a fait l’objet d’un acte d’accusation préliminaire et a été informé de la tenue future d’un procès à son encontre. Ayant cependant pris la fuite, il a rendu impossible la notification officielle de son procès, lequel s’est par conséquent tenu en son absence mais en la présence de son avocat. Les autorités ont refusé sa demande d’un nouveau procès. La juridiction bulgare questionne la Cour sur le fait de savoir si un tel refus est conforme au droit européen. La Cour rappelle que la fuite du mis en cause ou la présence d’un avocat commis d’office ne sauraient à eux seuls justifier le refus d’un nouveau procès. Il doit être démontré, d’une part, que les autorités ont déployé des efforts raisonnables pour localiser la personne et que, d’autre part, cette personne a été soit informée en temps utile des conséquences d’un défaut de comparution, soit a confié, sans équivoque, à son avocat un mandat pour la représenter, en son absence, devant la juridiction de jugement. (PC)
FAILLITE – PROTECTION DES TRAVAILLEURS (Belgique)
Une combinaison de procédures ayant eu pour conséquence l’exécution d’un accord de transfert d’entreprise par le prononcé d’une faillite peut déroger au régime de protection des travailleurs sous certaines conditions (3 avril)
Wibra België, aff. C-431/23
Saisie d’un renvoi préjudiciel par le tribunal du travail de Liège (Belgique), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation de la directive 2001/23/CE au regard de l’application de la dérogation au régime de protection des travailleurs au cours d’une procédure de faillite. En l’espèce, une procédure de faillite a fait suite à une procédure de réorganisation judiciaire au cours de laquelle un accord de transfert partiel de l’entreprise a été élaboré, sans être homologué par le juge, avant d’être exécuté une fois la faillite prononcée. D’abord, la Cour considère qu’il revient aux juridictions de déterminer si l’élaboration de l’accord de transfert de l’entreprise au cours de la procédure de réorganisation judiciaire et sa mise en œuvre lors de la procédure de faillite s’apprécient comme une unique opération susceptible d’être considérée comme une procédure de faillite ou une procédure d’insolvabilité analogue. Ensuite, elle précise que la dérogation s’applique si les procédures successives en cause, prises individuellement ou globalement, ont visé, à titre principal, à maximiser le désintéressement collectif des créanciers et non à sauvegarder le caractère opérationnel de l’entreprise ou de ses unités viables. Enfin, la Cour rappelle la nécessité de vérifier l’absence d’un recours abusif à la procédure d’insolvabilité visant à priver les travailleurs des droits découlant de la directive. (EL)
REFUGIES
Le fait d’appartenir à une famille visée par une vendetta dans son pays d’origine ne permet pas de bénéficier du statut de réfugié (27 mars)
Arrêt Laghman, aff. C-217/23
Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour administrative (Autriche), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation de la notion d’« appartenance à un certain groupe social » issue de l’article 10 de la directive 2011/95/UE. Le requérant d’origine afghane a demandé à bénéficier du statut de réfugié en Autriche, car il appartient à une famille visée par une vendetta dans son pays d’origine. La Cour rappelle qu’un réfugié est un ressortissant d’un pays tiers qui craint d’être persécuté pour l’un des motifs limitativement énumérés par la directive précitée, en l’espèce, l’« appartenance à un certain groupe social », soit la famille visée par la vendetta du requérant. La Cour estime que ce motif requiert que le groupe soit perçu comme étant différent par la société environnante dans son ensemble, en raison notamment des normes sociales, morales ou juridiques prévalant dans le pays d’origine. Partant, elle estime que le demandeur ne pourrait pas se voir reconnaître le statut de réfugié à ce titre. Elle rappelle cependant à la juridiction de renvoi qu’il lui incombe de vérifier si le demandeur remplit les conditions fixées par la directive pour bénéficier d’une protection subsidiaire. (AJ)
REFUGIES
Lorsqu’une juridiction examine l’application de la clause d’exclusion du statut de réfugié en raison de la commission de crimes graves, celle-ci doit prendre en compte une peine ayant été exécutée (30 avril)
Arrêt Galte, aff. C-63/24
Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour administrative suprême (Lituanie), la Cour de justice de l’Union européenne devait déterminer si les juridictions doivent tenir compte du fait qu’un demandeur de protection internationale a exécuté une peine à laquelle il a été condamné en raison de crimes graves qu’il a commis lorsqu’elles apprécient l’application de la clause d’exclusion du statut de réfugié. En effet, l’article 12, paragraphe 2, sous b) de la directive 2011/95 dispose qu’un ressortissant d’un pays tiers peut être exclu du statut de réfugié lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser qu’il a commis un crime grave en dehors du pays de refuge. La Cour rappelle que la décision d’exclure une personne du statut de réfugié ne saurait être prise de façon automatique s’il a commis un crime grave, et que le fait qu’elle a exécuté sa peine constitue un élément qui doit nécessairement être pris en compte, aux côtés d’autres indices tels que la gravité de l’infraction en cause, la peine encourue et prononcée, la période écoulée depuis le comportement criminel, le comportement de l’intéressé pendant cette période et les remords qu’il a éventuellement exprimés. (AJ)
R.G.P.D.
La communication d’informations relatives à l’identité d’un individu représentant une personne morale constitue un traitement de données personnelles imposant qu’il en soit informé (3 avril)
Arrêt Ministerstvo zdravotnictví II, aff. C-710/23
Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour administrative suprême (République tchèque), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation des articles 4 point 1, et 6 paragraphe 1, sous c) et e) du règlement (UE) 2016/679 (dit « RGPD »), dans le cadre d’une demande de communication de documents officiels par une autorité publique contenant un ensemble d’informations relatives à l’identité de personnes physiques représentant des entreprises avec lesquelles elle avait conclu des contrats. La Cour rappelle que la notion de « toute information », contenue à l’article 4 du règlement, vise également celles relatives à l’identité des personnes physiques identifiées ou identifiables qui ont le pouvoir d’engager une société à l’égard des tiers. Elle estime par ailleurs que l’acte de communication de telles informations relève de la notion de « traitement » au sens du règlement compte tenu de ses objectifs et de sa portée extensive, lesquels permettent de qualifier de « traitement », une opération indépendamment de sa finalité. Enfin, elle considère qu’une jurisprudence nationale imposant des obligations supplémentaires non prévues par le règlement d’information et de consultation des personnes physiques dont les données sont contenues dans les documents, peut constituer une base juridique au traitement sous réserve qu’elles soient réalisables et proportionnées. Celles-ci peuvent renforcer l’exigence de licéité et de loyauté du traitement et permettre à l’autorité publique de procéder en pleine connaissance de cause à la conciliation entre l’exécution de sa mission d’intérêt public et le droit à la protection des données à caractère personnel. (BM)