Les séparations ou divorces impliquent des questions financières liées aux enfants. Outre le calcul d’une éventuelle contribution alimentaire, les parents doivent partager le coût des frais extraordinaires, source récurrente de litiges et d’impayés[1]. La Ligue des familles propose un outil pratique et concret : une estimation mensuelle chiffrée de certains frais extraordinaires permettant de fixer une provision. Cet outil, désormais validé par plusieurs juridictions, commence à apparaitre dans les décisions des cours et tribunaux de la famille.
1. Une définition encadrée, mais flexible
La définition de frais extraordinaires est un concept qui a fait couler beaucoup d’encre en droit familial, tant ses contours ont varié en fonction des dispositifs et des accords entre parties. Issue du travail de la Commission des contributions alimentaires[2], une liste a finalement été consacrée par un Arrêté royal en 2019[3]. Selon un examen de la jurisprudence francophone[4], la quasi-totalité des décisions judiciaires renvoie à cette définition.
Toutefois, la liste n’est pas exhaustive : le texte permet d’y ajouter toute dépense reconnue comme frais extraordinaires par accord des parents ou, à défaut, par décision judiciaire. Il est recommandé d’y inclure d’autres dépenses : les fournitures scolaires en début d’année, le matériel pour les voyages ou sorties, ainsi que les excursions d’une journée. Celles-ci ne sont pas visées par l’Arrêté royal alors qu’elles répondent à la définition des frais extraordinaires tout comme les sorties de plusieurs jours. D’autres dépenses indispensables — deux manteaux ou paires de chaussures par an, téléphone portable, etc. — peuvent également être ajoutées.
Aujourd’hui, la principale difficulté ne réside donc plus dans la définition des frais extraordinaires. Des obstacles apparaissent d’abord pour obtenir l’accord de l’autre parent pour engager la dépense, puis au moment où un parent demande le remboursement de la quotité qui incombe à l’autre.
2. Le non-paiement des frais : un contentieux persistant
Selon le Baromètre des parents de la Ligue des familles de 2024, 53 % des parents séparés ne reçoivent jamais ou en retard le remboursement des frais extraordinaires[5]. Le non-paiement d’une obligation alimentaire constitue fréquemment une violence économique post-séparation, utilisée par l’un des deux ex-partenaires pour maintenir un contrôle et une dépendance, reconnue par la Convention d’Istanbul et par la loi belge « stop féminicide ». Elle plonge de nombreuses familles monoparentales, majoritairement des femmes, dans une précarité accrue : un seul parent avance la plupart des frais — parfois très élevés — et doit en réclamer ensuite la part à l’autre.
En cas de non-paiement, les recours sont limités car le SECAL n’intervient que pour les frais fixes, ce qui exclut la majorité des situations fondées sur un pourcentage[6]. Le mécanisme de la délégation de sommes ne peut quant à lui pas être enclenché. Le seul mode de recouvrement est la saisie par un huissier de justice, laquelle peut s’étendre sur plusieurs mois et nécessite l’avance des frais de saisie. Or le parent créancier est généralement le parent le plus faible économiquement et dont la situation est précaire puisqu’il ne perçoit pas le remboursement des frais exposés pour l’enfant.
3. La fixation d’une provision
Afin de répondre à ces difficultés, la Ligue des familles préconise la mise en place d’une provision mensuelle destinée à couvrir les frais extraordinaires et met à disposition un outil d’estimation mensuelle chiffrée selon la nature des frais. Cet outil offre aux avocats, médiateurs et magistrats une référence objective pour déterminer une provision adaptée, facilitant ainsi la conclusion d’accords et évitant que l’un des parents ne supporte seul l’avance de ces frais.
Concrètement, le parent tenu au paiement d’une contribution alimentaire, celui qui supporte le moins de frais extraordinaires ou celui dont la capacité financière est la plus élevée verse une provision mensuelle à l’autre parent. Les conditions restent inchangées : chaque dépense requiert un accord préalable et un décompte trimestriel demeure nécessaire pour vérifier l’adéquation de la provision, ces décomptes ne portant toutefois plus que sur des montants sensiblement réduits.
Une première étude d’octobre 2023 analyse les frais visés par l’Arrêté royal de 2019 et établit, sur la base de travaux scientifiques, des données de l’INAMI et de recherches internes, un tableau objectif de coûts mensuels[7]. Ces propositions ont été présentées lors d’un colloque, le 19 février 2024, aux acteurs de la justice (juges, avocats, médiateurs) afin de recueillir leur expérience, leurs remarques et leurs avis. De manière générale, la proposition de la Ligue des familles a été très positivement accueillie par les participants et répond aux attentes du monde judiciaire[8].
Deux ans plus tard, l’évolution des coûts et de nouvelles données ont justifié une actualisation des montants. Une seconde étude publiée en novembre 2025 propose un nouveau tableau d’évaluation, visant toujours à fournir aux praticiens et aux parents des repères objectivés pour fixer une provision, prévenir les litiges et assurer une prise en charge adéquate des besoins de l’enfant[9].
Estimation de la provision mensuelle de frais extraordinaires à fixer selon le niveau scolaire de l’enfant
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Âge préscolaire[10] |
Maternelle |
Primaire 1-3 |
Primaire 3-6 |
Secondaire |
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Frais médicaux et paramédicaux |
10,00 € |
10,00 € |
10,00 € |
10,00 € |
10,00 € |
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Voyages scolaires / activités scolaires |
- |
4,00 € |
15,00 € |
15,00 € |
26,00 € |
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Matériel / habillement scolaire |
- |
6,50 € |
8,50 € |
17,50 € |
36,00€[11] |
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Frais informatiques |
- |
- |
- |
30,00 € (1re secondaire) |
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Stages |
- |
25,00 € |
25,00 € |
25,00 € |
25,00 € |
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Activités extrascolaires |
- |
50,00 € |
50,00 € |
50,00 € |
50,00 € |
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TOTAL |
10,00 € |
95,50 € |
108,50 € |
117,50 € |
147,00 € 177,00 € (1re secondaire) |
Les chiffres ci-dessus sont les montants par enfant, à additionner selon le nombre d’enfants concernés et à utiliser comme base de discussion. Les informations relatives au calcul et au montant de chacun de ces postes figurent de manière détaillée dans les études publiées en 2023 et en 2025[12].
Concernant les frais scolaires, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a annoncé une réforme du dispositif de gratuité des fournitures scolaires pour la rentrée 2026. À l’heure d’écrire ces lignes, les modalités n'en sont pas encore claires. Il conviendra dès lors de réévaluer le montant de la provision pour les frais scolaires de primaire une fois le décret gratuité modifié.
4. La jurisprudence cite expressément l’outil de la Ligue des familles
Suite au colloque organisé le 19 février 2023, des demandes de provisions sur base de son outil pratique ont été introduites devant les juridictions familiales. Plusieurs décisions dont la Ligue des familles a pu prendre connaissance montrent que les juges valident le tableau d’estimation des frais.
Le Tribunal de la famille de Bruxelles a par exemple octroyé une provision de 73 € à la demande de la mère qui se basait sur le tableau de l’étude de la Ligue des familles[13]. Dans un autre jugement, le tribunal a suivi le même raisonnement et a fixé une provision de 65 € par enfant en motivant sa décision comme suit : « la lecture des nombreux échanges entre les parties établit sans conteste la difficulté qu’a Monsieur X d’obtenir de Madame X le remboursement des frais extraordinaires » ; « dès lors que Monsieur X (…) avance la quasi-totalité des frais extraordinaires, il convient de faire droit à sa demande »[14]. Le tribunal a souligné que l’octroi d’une provision présente également l’avantage de limiter les échanges tendus entre les parties. Une autre chambre du même tribunal a précisé que « le montant de la contribution alimentaire est majoré d’un montant de 53 € à dater de la prononciation de ce jugement à titre de provision pour les frais extraordinaires de l’enfant commun »[15]. Le juge a expressément utilisé le tableau de la Ligue des familles, tout en réduisant le montant total de la provision pour tenir compte de la situation financière respective des parties et du rapport contributoire entre elles.
Dans un arrêt du 3 juin 2025, la Cour d’appel de Bruxelles s’est appuyée sur le tableau et l’a expressément validé en accordant une provision à la mère : « La Ligue des familles évaluant lesdits frais, pour des enfants de l’âge de ceux des parties, à plus de 100 € par mois et par enfant »[16]. Elle a condamné le père à verser une provision mensuelle de 30 € par enfant conformément à la demande de la mère qui réclamait un montant inférieur au tableau de la Ligue des familles. La motivation de l’arrêt fait référence à une décision de la Cour d’appel de Liège dans lequel les juges ont souligné qu’il « est plus correct de prévoir que le financement des frais extraordinaires se (fasse) par le paiement d’une provision afin d’éviter que la mère doive systématiquement faire l’avance de l’intégralité des frais »[17].
Ces décisions illustrent que la jurisprudence valide non seulement le principe de l’octroi d’une provision pour les frais extraordinaires, mais également la méthodologie du tableau de la Ligue des familles, en l’adaptant le cas échéant aux circonstances particulières des affaires portées devant les juridictions.
5. Forfait ou provision : distinctions et implications juridiques
Depuis quelques années, des accords et des jugements intègrent les frais extraordinaires sous la forme d’un forfait, ou certains frais, dans le montant de la contribution alimentaire, notamment en cas de séparation compliquée, en présence de violences ou de vives tensions entre les parents. Par exemple, un juge a fixé une contribution alimentaire à 650 € en détaillant que 542,10 € couvraient les frais ordinaires et 107,90 € les syllabi, les transports et le minerval. Ce jugement a été jugé conforme par la Cour de cassation à la distinction entre les frais extraordinaires et ordinaires imposée par la loi[18]. En revanche la Cour a précisé que « des circonstances particulières » étaient présentes dans ces affaires.
Une partie de la jurisprudence est plutôt réticente à une forfaitisation des frais extraordinaires « sauf en cas de blocage absolu », car les frais « peuvent varier de manière significative, d’année en année, voire de mois en mois »[19]. Le paiement d’un forfait est totalement proscrit par certains juges pour éviter de faire supporter au parent créancier une dépense imprévue ou une dépense qui n’a pas été prise en compte dans l’estimation du montant forfaitaire[20].
Pour la Ligue des familles, le montant total des frais extraordinaires peut difficilement être forfaitisé et ce système présente un risque pour le créancier d’aliment, car les dépenses imprévisibles et exceptionnelles pour un enfant apparaissent en fonction des besoins de l’enfant, de son état de santé, de ses loisirs, du lieu de vie, etc. La Ligue des familles préconise que le paiement d’un forfait mensuel soit prévu uniquement pour les frais dont on connaît les montants à l’avance, tout en précisant que ces montants peuvent être révisés si nécessaire, tels que les frais de garde (crèche), les frais de kots, les assurances, les frais d’inscription aux études supérieures, etc., En effet, il est possible de déterminer un montant forfaitaire en fonction des frais réellement exposés sur base des factures, du contrat d’assurance, du minerval, du contrat de bail, etc. Ces frais extraordinaires présentent un caractère davantage récurrent et prévisible que d’autres, ce qui peut justifier leur intégration sous forme de forfait à la contribution alimentaire. Il est indispensable de prévoir que le système n’est pas figé et qu’il fera l’objet d’une révision annuelle visant à déterminer si le montant doit être augmenté ou diminué[21]. Prévoir un forfait ne peut pas « être interprété comme une renonciation de l’autre parent à réclamer à posteriori le montant des frais réels qu’il a dû assumer ». Une interprétation contraire serait, en effet, contraire à la règle de la variabilité des aliments.
Dans certaines situations, la Ligue recommande que les frais dont le montant est très élevé soient répartis entre les parents dès qu’ils doivent être exposés sur la base d’un devis ou d’une facture, afin d’éviter qu’un seul parent ne supporte seul une dépense très importante : frais médicaux importants (traitements orthodontiques, achat de lunettes, d’un appareil auditif, d’un fauteuil roulant ou d’autres soins coûteux, etc.), frais liés au permis de conduire, frais d’un séjour Erasmus, etc.
6. En guise de conclusion
Le versement d’une provision, et/ou d’un forfait, présente de substantiels avantages tant pour le créancier que le débiteur. Il permet d’abord au parent créancier de ne plus supporter seul l’avance des frais extraordinaires, ceux-ci étant partiellement préfinancés chaque mois. Par ailleurs, l’instauration d’une provision implique davantage les deux parents dans l’établissement des décomptes : chacun souhaite vérifier si le montant versé est adéquat, ce qui rééquilibre un peu la charge administrative. La globalisation de la provision avec la contribution alimentaire devrait en outre donner accès à d’autres méthodes de recouvrement, à savoir l’intervention du SECAL ou la délégation de sommes, procédures plus rapides et moins onéreuses que la saisie. Enfin, pour le parent débiteur, le versement régulier d’une provision facilite le respect de la condition de régularité nécessaire à la déductibilité fiscale des contributions alimentaires.
Ce système n’est pas parfait et ne remédie pas à tous les problèmes de recouvrement, mais il a pour mérite d’améliorer la situation de nombreuses familles en cas de séparation conflictuelle, de tensions vives entre les parents et de violences économiques. Un des objectifs principaux est d’aider financièrement les familles monoparentales qui ne reçoivent jamais ou pas régulièrement le remboursement des frais extraordinaires, car « elles toucheront au moins la provision » pour couvrir une partie des dépenses.
Jennifer Sevrin
j.sevrin@liguedesfamilles.be
Chargée d’études et d’action politique
Ligue des familles
[1] C. civ., art. 203.
[2] Instituée par la loi du 19 mars 2010, modifiant notamment l’article 1322 du Code judiciaire, la Commission des contributions alimentaires émet des recommandations au ministre de la Justice.
[3] Arrêté royal du 19 octobre 2019 fixant les frais extraordinaires résultant de l'article 203, § 1er du Code civil et leurs modalités d'exécution, M.B., 2 mai 2019.
[4] S. Jaumotte, « Contributions alimentaires : harmonie ou cacophonie devant les juges francophones ? », in Act. Dr. Fam., 2022/3, pp. 79 et s.
[5] Ligue des familles, Baromètre des parents 2024 : les parents en apnée, avril 2024, disponible sur : https://liguedesfamilles.be/article/barometre-des-parents-2024 – sondage Dedicated.
[6] La majorité des dispositifs sont libellés comme suit : « Les frais extraordinaires exposés pour l’enfant commun, selon les définitions et modalités d’exécution fixées par l’arrêté royal du 22 avril 2019, seront pris en charge à concurrence de XX % à charge de Monsieur/Madame et de XX % à charge de Monsieur/Madame ».
[7] Ligue des familles, Le casse-tête des décomptes entre parents séparés, octobre 2023, disponible sur : https://liguedesfamilles.be/article/casse-tete-des-decomptes-entre-parents-separes.
[8] Ligue des familles, Les frais extraordinaires entre parents séparés – comment faciliter le recouvrement ? Compte-rendu du colloque du 19 février 2024, juin 2024, disponible sur : https://liguedesfamilles.be/article/compte-rendu-colloque-recouvrement-frais-parents-separes.
[9] Ligue des familles, Parents séparés – comment calculer une provision pour les frais extraordinaires, novembre 2025, disponible sur : https://liguedesfamilles.be/article/separation-calculer-une-provision-pour-les-frais-extraordinaires.
[10] Pour les enfants qui fréquentent un milieu d’accueil, il faut ajouter les frais de crèche ou de l’accueillante.
[11] Pour l’enseignement qualifiant, un montant mensuel de 41 € doit être ajouté.
[12] Ligue des familles, Le casse-tête des décomptes entre parents séparés, op. cit.et Ligue des familles, Parents séparés – comment calculer une provision pour les frais extraordinaires, op. cit.
[13] Trib.fam Bruxelles (11e Ch). 20 février 2025, inéd., RG 21/3424/A.
[14] Trib.fam Bruxelles (2e Ch). 18 mars 2025, inéd., RG 23/4519/A.
[15] Trib.fam Bruxelles (18e Ch). 28 février 2024, inéd., RG 22/372/A.
[16] Bruxelles, 3 juin 2025, inéd., RG 2024/FA/122.
[17] Liège, 6 mai 2019, inéd., RG 2018/FA/134.
[18] Par exemple : Cass., 25 octobre 2012, R.A.B.G., 13/2013, p.922.
[19] Trib. Fam. Namur, 20 mars 2017, Rev. Trim. Dr. Fam., 2019, p. 480.
[20] Par exemple, Liège (21e ch.), 25 octobre 2011, RAJe, 0212, p.11 et Liège, 17 novembre 2010, Rev. Not. Belge, 2012, p.267.
[21] M. Laforêt, « A propos des fameux « frais extraordinaires » (1ière partie) », Div. Act., 2006, p. 155.