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Pour ce numéro, nous vous partageons l'éditorial du Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l'exclusion sociale. N'hésitez pas à réagir !
L’évolution des moyens de paiement est un sujet qui occupe régulièrement le devant de l’actualité. Entre les annonces de disparition progressive de l’argent liquide dans les pays nordiques par exemple, et l’arrivée de nouveaux modes de paiement, notre société se dirige immanquablement vers une utilisation de plus en plus réduite des billets de banque et des pièces de monnaie.
Pourtant, force est de constater que cette évolution peut constituer une menace pour l’accès à certains droits fondamentaux, notamment des personnes vivant dans la pauvreté. Plusieurs témoignages et questionnements ont été portés à l’attention du Service.
Pour bon nombre de personnes vivant dans la pauvreté, les pièces de monnaie et billets de banque constituent le seul moyen de paiement accessible. En effet, tout le monde ne dispose pas d’un compte en banque, une situation qui constitue un obstacle de taille, par exemple pour payer des factures ou percevoir un salaire. La fracture numérique constitue un second frein majeur : sans accès Internet ni ordinateur ou smartphone, comment effectuer des paiements électroniques ?
Outre l’évolution des habitudes des consommateurs, la question du droit de payer en liquide est capitale car elle concerne aussi des achats de biens répondant à des besoins essentiels ainsi que l’accès à des services publics.
En principe, le paiement en espèces devrait toujours être possible : en Belgique, comme dans tous les États membres de la zone euro, les billets de banque et les pièces de monnaie en euros sont en effet les seuls à avoir ‘cours légal’. Cela signifie que ces derniers doivent être obligatoirement acceptés : « le bénéficiaire d’une obligation de paiement ne peut refuser les billets de banque et pièces en euros, sauf si les parties sont convenues d’un autre mode de paiement » (Article 1er de la recommandation de la Commission du 22 mars 2010 concernant l’étendue et les effets du cours légal des billets de banque et pièces en euros -2010/191/UE). Cependant, certaines limitations existent : la loi interdit les paiements en liquide de plus de 3000 euros à un commerçant et permet à ce dernier ou tout autre créancier de refuser de l’argent en espèces s’il y a atteinte au principe de bonne foi et à la proportionnalité.
Malgré ces règles en faveur du paiement en espèces, on observe une tendance croissante à bannir l’argent liquide. En matière de mobilité par exemple, il devient de plus en plus difficile de voyager dans les transports en commun si l’on ne dispose pas d’une carte bancaire ou d’un accès Internet. En effet, toutes les compagnies de transports en commun facilitent fortement les moyens de paiement électroniques, parfois au détriment des pièces et des billets. A titre d’exemple, les automates de la SNCB et de la STIB n’acceptent que les pièces et non les billets tandis que ceux du TEC n’acceptent que la carte bancaire. Par ailleurs, les formules de titre de transport les plus avantageuses comme les abonnements sont souvent moins accessibles si payés en liquide, en raison du faible nombre de points de vente physiques, ainsi que des heures d’ouverture. Chez De Lijn, il n’y a ainsi qu’un seul point de vente physique par province pour la vente d’abonnements. Les sociétés régionales de transport prévoient qu’il ne faut rendre la monnaie que sur des billets de 5 ou 10 euros - selon la réglementation - ce qui peut empêcher un voyageur d’utiliser ce moyen de transport alors qu’il dispose d’un montant suffisant.
La volonté de supprimer le paiement en espèces s’étend même aux communes. Certaines ont déjà annoncé sur leur site Internet qu’elles décidaient de limiter progressivement l’argent liquide, soit en déclarant qu’elles n’acceptaient plus que les paiements par bancontact, soit en imposant aux citoyens l’utilisation de bornes à l’entrée de la commune pour déposer l’argent liquide. Ces pratiques compliquent encore plus des démarches administratives déjà souvent très lourdes pour les citoyens les plus fragilisés.
Citons enfin les nombreuses transactions de la vie courante telles que le paiement aux parcmètres et les factures scolaires, qui devraient être payables en liquide mais ne le sont pas toujours.
Face à cette évolution, comment garantir le droit de payer en espèces et l’accessibilité des moyens de paiement à tous les citoyens, y compris aux personnes vivant dans la pauvreté ? Il existe depuis 2003 un service bancaire de base inscrit aux articles VII.56/1 à VII.59/3 du livre VII du Code de droit économique. Il prévoit que chaque consommateur a le droit de disposer, au minimum, d’un compte à vue, que la banque ne peut refuser d’ouvrir, même en cas d’exclusion bancaire. Toutefois, si les conditions d’ouverture d’un tel service ne peuvent être discriminatoires, ce dernier n’est cependant pas gratuit (les frais bancaires sont plafonnés à 15,75 euros par an) et il est difficile d’évaluer si les personnes qui vivent dans la pauvreté parviennent à y recourir.
Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale