L’homme qui voulait être aimé de Georges Kiejman et Vanessa Schneider

Qu’est-ce qu’un bon avocat ? Plus de soixante ans après avoir commencé à exercer cette profession, je m’interroge encore tant la réponse est complexe, floue, multiple et incertaine. Peut-être pourrait-on commencer par tenter de définir ce que serait un mauvais avocat. Selon moi, quiconque se dirait « j’ai appris le droit, je vais l’utiliser pour me mettre au service de gens qui ne le connaissent pas, que ce soit dans des affaires civiles, commerciales ou pénales, et cela va me rapporter de l’argent », se trompe. Il connaîtra peut-être des succès, mais il ne sera jamais un grand avocat. Un « grand avocat », à supposer que ce statut existe, est quelqu’un qui, au-delà des personnes physiques dont il s’occupe, a le sentiment de servir une cause que l’on pourrait appeler la démocratie.

De la différence entre le bon avocat, dont Georges Kiejman parle au début de cette période, et le grand avocat, dont il traite à la fin ? Être conscient que le métier que nous exerçons est inséparable de notre modèle de société.

Georges Kiejman raconte. Vanessa Schneider, grand reporter au Monde, écrit. Avec une belle fluidité. Ce livre de souvenirs se lit tout seul, comme une chronique des soixante dernières années, et même un peu plus.

Encore des mémoires, me direz-vous. Il est vrai que cela semble devenu une mode et que, sans doute, les souvenirs des grands avocats font recette.

Georges Kiejman nous parle donc de ses amis, ses amours, ses clients. Il est vrai que, sous ses trois angles, l’homme est particulièrement impressionnant. 

 

Jugez : au rang des premiers, on compte Pierre Mendès-France, François Mitterrand, François Truffaut, André Téchiné, Roman Polanski, Pierre Bérégovoy, Simone Signoret, Jeanne Moreau, Edgar Morin, Hélène Cixous, Gérard Lebovici, Claude Gallimard, Toni Negri… ; au rang des secondes, Françoise Giroud, Marie-France Pisier, Marlène Jobert, Albina du Boisrouvray, la princesse Laure de Broglie ou Fanny Ardant,… ; et parmi les derniers, Gunter Sachs, Jacques Rivette, Nicole Gérard, Pierre Goldman, Alain Caillol (ravisseur du baron Empain), Brigitte H. (l’avocate qui apporta un revolver au terroriste Carlos), Montherlant, Ionesco, Michel Foucault, le gouvernement américain (dans l’affaire Abdallah, qui avait tué à Paris un attaché militaire américain et un diplomate israélien), la famille de Malik Oussekine (jeune homme sans histoire tué par des policiers en 1986 après avoir été confondu avec un manifestant), les grands résistants Lucie et Raymond Aubrac, Mohamed Al-Fayed (dans l’affaire de la mort de son fils et de Lady Di), Jean-Louis et Nadine Trintignant (dans l’affaire Bertrand Cantat), Charlie Hebdo, Liliane Bettencourt, Cécilia et Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac,… J’en passe. 

Excusez du peu. Admettons qu’il y a de quoi raconter.

J’en reviens toujours à l’aphorisme de Francis Scott Fitzgerald : « La marque d’une intelligence de premier plan est de pouvoir fonctionner sur deux idées contraires à la fois. C’est ainsi qu’il faut savoir que les choses sont sans espoir, et continuer à les changer ».

Est-ce cela le secret ?

Une vie littéralement extraordinaire, donc, pour ce « petit juif polonais né en France »  d’une mère quasi illettrée et d’un père « assassiné »  à Auschwitz alors qu’il n’avait que dix ans

Merveilleux touche-à-tout (droit pénal, droit des médias, libertés fondamentales, droit de la famille, droit commercial, …), Georges Kiejman a donc traversé ce presque siècle en fin gourmet, dans une étonnante course à la reconnaissance, à l’amitié et, surtout, à l’amour. 

L’homme qui voulait être aimé est un homme qui aimait les femmes. 

Mais aussi un avocat dans le sens le plus noble du terme.

Chacun à son jardin secret. Un défenseur met au service de son client tout ce qu’il est lui-même, tout ce qu’il est devenu au long de son existence. Si j’avais quelque légitimité à conseiller une jeune consœur ou un jeune confrère, je leur dirais : avant toute chose vivez, car vos plaidoiries seront l’expression de votre existence et non l’application d’une règle rhétorique. Il ne s’agit pas d’imiter, mais, par votre expérience, de vous mettre en position de comprendre. La sincérité est à ce prix. Ne cessez jamais de croire en des choses justes et gardez la passion intacte le plus longtemps possible, car je le sais aujourd’hui : même les héros sont parfois fatigués.

Patrick Henry,
Ancien Président

 

A propos de l'auteur

Henry
Patrick
Ancien Président d'AVOCATS.BE

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