Sous l’effet d’entraînement de l’Europe[1], le législateur belge a donné son feu vert en 2018 à l’identification des comptes bancaires dans le cadre d’une requête en autorisation de saisie-arrêt conservatoire. Ainsi les articles 1447/1 et 1447/2 ont été intégrés dans la cinquième partie du Code judiciaire, sous le chapitre IV du titre II relatif à la saisie-arrêt conservatoire[2].
Ces nouveaux articles permettent au créancier nanti d’une décision judiciaire, une transaction judiciaire ou un acte authentique exécutoire exigeant du débiteur le paiement de sa créance, d’introduire pareille requête devant le juge des saisies.
Si le juge estime la demande fondée, il la transmet au registre central EAPO[3] tenu par la Chambre Nationale des Huissiers de Justice (CNHB), chargée de répondre aux demandes non seulement de toutes les autorités européennes[4] mais aussi des juges des saisies belges[5]. Ce registre ne contient à proprement parler pas de données relatives aux comptes bancaires[6]. Celles-ci sont reprises dans le Point de Contact Central (PCC)[7], tenu par la Banque Nationale de Belgique (BNB), dont les modalités de consultation ont été fixées en parallèle au développement du registre EAPO[8]. Seule la CNHB s’est vu octroyer la possibilité de consulter le PCC, de telle sorte que son rôle d’autorité chargée de l’obtention de l’information, même s’il est mineur, est particulièrement important.
Le PCC a été déployé le 1er juillet 2020. Depuis lors, cette base de données est actualisée journalièrement par les institutions bancaires en ce qui concerne notamment les informations sur les comptes bancaires ; Quant aux soldes sur ces comptes, seuls les soldes au 30 juin et au 31 décembre y sont renseignés[9].
D’aucuns s’étaient plaints du fort maladroit copier-coller du mécanisme européen dans le contexte belgo-belge[10], notamment quant à l’urgence à justifier dans le chef du requérant[11] et au détour par la procédure de saisie-arrêt conservatoire pour ceux qui possèdent pourtant un titre exécutoire.
Le législateur a revu sa copie dans le cadre de la loi portant dispositions en matière de digitalisation de la justice et dispositions diverses II[12], en améliorant le processus d’identification des comptes en banque dans le cadre de la saisie-arrêt conservatoire. La possibilité de consultation du PCC par l’huissier de justice directement, dans le cadre de la saisie-arrêt-exécution y est également prévue. Ainsi, l’article 1447 du code judiciaire s’est vu adjoindre un 3° et l’article 1447/1 a été abrogé. Quant à la possibilité de consultation dans le cadre de la saisie-arrêt exécution, celle-ci a été consacrée par l’introduction de l’article 1539bis au même code.
Abordons à présent brièvement les deux procédures, avant d’évoquer le côté pratique en guise de conclusion.
La saisie-arrêt conservatoire
Le processus européen précédemment copié maladroitement à l’article 1447/1, a été purement et simplement abrogé. La possibilité de demander l’obtention d’informations nécessaires à l’identification des comptes en banque de la partie débitrice « lorsque le créancier n'a connaissance ni du nom ou de l'adresse de la banque, ni du code IBAN, BIC ou d'un autre numéro bancaire permettant d'identifier la banque »[13] n’a pas pour autant été supprimée.
Les conditions d’importance de la créance et de l’urgence dans le chef de la partie requérante, ont été abandonnées pour en revenir aux conditions traditionnelles de la saisie-arrêt conservatoire, notamment la condition de célérité.
La demande doit être formulée expressément dans la requête à déposer auprès du juge des saisies, en trois exemplaires[14].
Le juge des saisies compétent est déterminé par le domicile ou le siège de la partie saisie[15]. Si celle-ci réside à l’étranger ou si son domicile est inconnu, le juge des saisies est alors celui du lieu de la saisie[16], soit le domicile ou le siège du tiers-saisi.
Si antérieurement l’identité du tiers-saisi devait être connue lors du dépôt de la requête[17], tel ne sera pas nécessairement le cas dans le cadre d’une demande visant également à identifier les numéros de comptes bancaires. La requête fondée sur l’article 1447 est d’ailleurs expressément dispensée de cette mention[18].
Quant au mécanisme de la garantie, celui-ci est maintenu dans son entièreté[19] ; elle est à constituer auprès de la Caisse des dépôts et consignations[20].
L’accès au PCC dans le cadre de la saisie-arrêt conservatoire pour les juges des saisies est organisé de longue date et ne suscite guère de commentaires complémentaires[21].
La saisie-arrêt exécution
Précédemment, un créancier muni d’un titre exécutoire n’avait d’autre choix que de passer par une requête en saisie-arrêt conservatoire, avec toute la problématique de la justification de l’urgence et alors même que son titre l’autorisait à pratiquer une saisie-arrêt exécution[22].
Cette ineptie est à présent réparée, par l’introduction de l’article 1539bis du Code judiciaire prévoyant un accès au PCC « via l'organisation centralisatrice désignée conformément à l'article 6, alinéa 2, de la loi du 8 juillet 2018 (…) », étant la CNHB.
Celle-ci délivrera à l’huissier de justice « 1° l'identification de la ou des banques et du ou des comptes du débiteur; 2° le cas échéant: a) dans le cas où le solde disponible est égal ou supérieur au montant qui fait l'objet de la saisie: l'information que le montant disponible est suffisant; b) dans le cas où le solde disponible est inférieur au montant qui fait l'objet de la saisie: le montant du solde disponible. »[23]
Voilà une excellente nouvelle qui évitera dans l’avenir de faire le tour des banques « à l’aveugle », pour un résultat souvent décevant, à un prix prohibitif.
Concernant la transmission des informations sur les sommes reposant sur les comptes, il est important de signaler qu’actuellement cette information est mise à jour deux fois par an, les 30 juin et 31 décembre[24], de telle sorte qu’il y a lieu de relativiser la pertinence de cette information[25].
Voyons à présent les aspects pratiques de ce droit de consultation.
Accès et délais
Le principe de la consultation via la CNHB, dans le cadre de l’exécution est donc repris à l’article 1539bis du Code judiciaire.
Après la modification législative, Il y avait ensuite lieu de désigner l’organisation centralisatrice et le point de contact unique, ce qui a demandé une adaptation de l’arrêté royal du 7 avril 2019. Ceci est intervenu par l’adoption de l’arrêté royal du 17 juillet 2024[26] désignant la Chambre Nationale des huissiers de justice (CNHB) comme organisation centralisatrice et le Centre d’expertise juridique social pour les huissiers de justice (SAM-TES), comme point de contact unique, finalisant de la sorte le cadre juridique.
Cela a permis l’ouverture des discussions avec la BNB quant aux aspects pratiques et techniques de cette nouvelle possibilité de consultation pour les huissiers de justice.
Une possibilité de consultation en ligne (application web), et un portail d’implémentation dans les programmes métiers (web-service) seront livrés à la profession le 31 mars 2025 de telle sorte que tous les huissiers de justice répondant aux prérequis, y auront accès dès cette date.
Reste la question de la redevance payée pour le service qui est fixée conformément aux articles 21 à 23 de l’arrêté royal PCC[27]. Ceci rend l’exercice fort périlleux puisque la BNB fixe le montant provisionnel de la participation par rapport à ses coûts de fonctionnement de l’année précédente. Lors du premier trimestre de l’année suivante, le montant définitif par demande d'information du PCC est calculé en divisant le montant des coûts de fonctionnement réellement encourus par la BNB durant l'année civile écoulée par le nombre total de demandes d'information du PCC effectuées durant cette même année civile. La BNB émet alors une facture ou une note de crédit, selon le cas.
La redevance[28] liée à la consultation sera facturée par la CNHB aux huissiers de justice. Il s’agit là dans leur chef d’une dépense comptabilisable[29]. Quant à la rémunération de consultation, elle est comprise dans les frais de dossier administratif[30], pour autant que pareil frais puisse être comptabilisé. Dans le cas contraire, l’honoraire est fixé à 15,46 €[31].
Quentin Debray
Président francophone de la Chambre Nationale des Huissiers de Justice
[1] Par l’adoption du RE (UE) 655/2014 portant création d’une procédure d’ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires, J.O.U.E., L. 189/59 du 27 juin 2014, complété par le Règlement d'exécution (UE) 2016/1823 de la Commission du 10 octobre 2016 établissant les formulaires mentionnés dans ledit règlement, entré en vig. le 18 janv. 2017.
[2] Par les art. 193 et 194 de la L. du 18 juin 2018 portant dispositions diverses en matière de droit civil et des dispositions en vue de promouvoir des formes alternatives de résolution des litiges, M.B., 2 juil. 2018.
[3] Pour « European Account Preservation Order », registre décrit aux articles 1391/1 à /6 C. jud.
[4] Dans le cadre du Règlement (UE) 655/2014, op.cit.
[5] Dans le cadre des articles 1447/1 et /2 C. jud.
[6] Sauf les réponses du PCC datant de moins de 6 mois, conformément à l’art. 1391/5 C. jud.
[7] Tel que réorganisé par la L. du 8 juil. 2018 portant organisation d'un point de contact central des comptes et contrats financiers et portant extension de l'accès au fichier central des avis de saisie, de délégation, de cession, de règlement collectif de dettes et de protêt, M.B., 16 juil. 2018.
[8] AR. du 7 avril 2019 relatif au fonctionnement du point de contact central des comptes et contrats financiers, M.B., 30 avril 2019.
[9] Conformément à l’art. 4, §2, 1° de l’AR. du 7 avril 2019, op.cit., tel que modifié par l’art. 3 de l’AR. du 6 juin 2021.
[10] Voy. Q. Debray, « Identification des comptes bancaires avant saisie : un pas vers une plus grande transparence patrimoniale », Larcier, J.T., n° 2021-16, pp. 299 à 302.
[11] A ne pas confondre avec célérité dans le chef de la partie requérante, notion bien connue dans notre droit belge.
[12] L du 15 mai 2024, M.B., 28 mai 2024, art. 70, 71, 72 et 75.
[13] Art. 1447, 3° C. jud.
[14] Art. 1447/1 C. jud.
[15] Art. 633, al. 2 C. jud.
[16]Ibidem.
[17] Il s’agit d’une donnée devant se retrouver dans la requête en vertu de l’article 1447 C. jud.
[18] Art. 1447, 1° C. jud.
[19] Art. 1447/2 C. jud.
[20] Plus de renseignements à l’adresse https://finances.belgium.be/fr/pai . Le dépôt de la garantie s’effectue actuellement au moyen de l’application e-DEPO.
[21] Voy, à ce propos Q. Debray, « Identification des comptes bancaires avant saisie : un pas vers une plus grande transparence patrimoniale », Larcier, J.T., n° 2021-16, pp. 299 à 302. La procédure est décrite à l’article 1447 C. jud.
[22] Art. 1539 C. jud.
[23] Art. 1539bis C. jud.
[24] Tel que prévu à l’art. 4, §2, 1° de l’AR du 7 avril 2019, tel que modifié par l’art. 3 de l’AR. du 06 juin 2021.
[25] Du moins pour le moment.
[26] AR. du 17 juillet 2024 modifiant l’arrêté royal du 7 avril 2019 désignant les organisations centralisatrices et les points de contact uniques au regard du point de contact central des comptes et contrats financiers, M.B., 2 septembre 2024.
[27] A.R. 7 avril 2019 désignant les organisations centralisatrices et les points de contact uniques au regard du point de contact central des comptes et contrats financiers, M.B., 30 avril 2019.
[28] La redevance 2025 due à la BNB n’étant pas encore connue, celle de la CNHB n’a pas encore été fixée.
[29] AR. du 30 novembre 1976 fixant le tarif des actes et prestations par les huissiers de justice en matière civile et commerciale, M.B. 8 février 1977, tel que modifié par l'arrêté royal du 18 mai 2024, M.B. 19 juin 2024, art. 1.
[30] Art. 8/1 AR. op. cit.
[31] Art. 13, 2° b, AR. op.cit.