La refonte du règlement Aarhus
La Convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement (« Convention d’Aarhus ») a été adoptée le 25 juin 1998 par la Commission économique pour l’Europe des Nations Unies (C.E.E.-O.N.U.). Il s’agit de l’initiative la plus ambitieuse des Nations Unies dans le domaine de la démocratie en matière d’environnement.
Elle est entrée en vigueur le 30 octobre 2001 et est ouverte à l’adhésion universelle. Elle a été signée et ratifiée par la Belgique1 et par l’Union européenne2. Elle compte actuellement 47 Parties.
La Convention d’Aarhus poursuit trois objectifs : améliorer l'information environnementale délivrée par les autorités publiques vis-à-vis des principales données environnementales ; favoriser la participation du public à la prise de décisions ayant des incidences sur l’environnement (par exemple, sous la forme d'enquêtes publiques) ; et étendre les conditions d’accès à la justice en matière de législation environnementale et d’accès à l’information.
Elle est le seul instrument contraignant qui accorde de tels droits généraux et concrets.
Particularité de la Convention :
Le préambule de la Convention fait le lien entre la protection de l’environnement et les droits humains et reconnait expressément à chacun le droit de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être.
La Convention met à charge des Parties (et de leurs autorités publiques) des obligations claires à l’égard du public (personnes physiques ou morales, et notamment organisations non gouvernementales (O.N.G.)).
Elle met également en place un système d’examen du respect de ses dispositions : le Comité d’examen du respect des dispositions3 de la Convention d’Aarhus.
Le comité d’examen ne peut pas prendre de décision juridiquement contraignante pour les Parties, mais il adopte des conclusions et des recommandations qui sont soumises pour approbation à la Réunion des Parties. Celles-ci sont en principe adoptées par la Réunion des Parties et servent de référence aux cours et tribunaux.
Le comité d’examen peut être saisi par le public et notamment par les O.N.G.
Mise en œuvre de la Convention dans l’Union :
Dans l’Union européenne, c’est le règlement 1367/2006/CE du 6 septembre 20064 (« règlement Aarhus ») qui définit la manière dont l'U.E. et ses États membres5 mettent en œuvre la Convention d’Aarhus, chacun ayant des responsabilités et des obligations propres et partagées au titre de cette Convention.
Critiques à l’encontre de la mise en œuvre européenne :
Le 1 décembre 2008, l’O.N.G. ClientEarth a saisi le Comité d'examen du respect des dispositions de la Convention d'Aarhus6 en alléguant que l'U.E. contrevenait aux obligations qui lui incombent au titre de la Convention.
L'O.N.G. soutenait que la législation de l'U.E. et la jurisprudence de la C.J.U.E. ont empêché des personnes physiques et des O.N.G. d'avoir accès à la justice en matière d'environnement.
Le 17 mars 2017, le comité d'examen du respect des dispositions de la Convention Aarhus conclut que l'U.E. contrevient à la Convention, en ce que ni le règlement d’Aarhus, ni la jurisprudence de la C.J.U.E. ne mettent en œuvre ou ne respectent les dispositions de la Convention en matière d'accès à la justice. Il recommande que toutes les institutions de l'U.E. concernées prennent des mesures pour remédier à ces lacunes afin de garantir que l'U.E. respecte pleinement les obligations lui incombant au titre de la convention.
Réaction des institutions européennes :
Le Conseil a demandé7 une étude sur les moyens dont dispose l’Union pour répondre aux conclusions du comité d’examen du respect des dispositions de la Convention d’Aarhus.
Entre novembre 2017 et janvier 2020, le Parlement a adopté plusieurs résolutions8 demandant la modification du règlement 1367/2006/CE.
En mai 2018, la Commission a lancé une consultation publique relative à la mise en œuvre de la Convention d'Aarhus par l'Union. Elle s’est ensuite engagée, dans son pacte vert9, à envisager la révision du règlement 1367/2006/CE afin d’améliorer l’accès au contrôle administratif et juridictionnel au niveau de l’Union pour les citoyens et les O.N.G. de défense de l’environnement. Dans une communication d’octobre 202010, elle s’est par ailleurs engagée à prendre des mesures pour améliorer l’accès des citoyens et des O.N.G. aux juridictions nationales de tous les États membres.
Principaux reproches formulés :
La Commission a reçu 53 réponses à sa consultation publique, dont celle du Conseil des Barreaux européens (C.C.B.E.). Dans sa réponse, le C.C.B.E. pointait les problèmes suivants :
- Insuffisance d’accès direct aux tribunaux de l’Union (violation du paragraphe 3 de l’article 9 de la Convention). Au terme du paragraphe 4 de l’article 263 du T.F.U.E., une personne physique ou morale qui veut former un recours contre un acte devant les tribunaux de l’U.E. ne peut le faire que si elle en est le « destinataire » ou si cet acte la concerne « directement et individuellement ». Or, en matière environnementale, une incidence directe sur la situation du requérant est pratiquement impossible à satisfaire pour une personne ou une O.N.G. Il en va de même pour l’exigence d’affectation individuelle. Ceci a pour conséquence qu’aucun particulier et aucune O.N.G. n'a jamais été considéré comme remplissant les conditions imposées par le paragraphe 4 de l'article 263 du T.F.U.E. pour avoir le droit d’agir devant le Tribunal ou la Cour de justice. En pratique donc, seuls les États membres et les institutions peuvent contester les actes de l'U.E. devant les tribunaux européens.
- Insuffisance d’accès indirect aux tribunaux de l’Union, par l’intermédiaire des juridictions nationales qui saisissent la Cour de justice d’une question préjudicielle. Outre le fait qu’un éventuel renvoi préjudiciel est soumis à la discrétion du juge national, ce mécanisme n’est ni approprié ni adéquat pour agir contre un acte reproché à une institution européenne. En outre, le renvoi préjudiciel suppose que le requérant ait d’abord contesté une mesure nationale devant une juridiction nationale. Il subsiste par ailleurs, au niveau national, de nombreux obstacles liés à la qualité pour agir, et ce, dans la majorité des Etats membres de l’Union. Enfin, le coût d’une action en justice est souvent prohibitif pour les O.N.G. et les requérants individuels et certaines juridictions nationales rechignent à poser des questions préjudicielles.
- Inadéquation de la procédure de réexamen interne par rapport à l’accès aux tribunaux. L’article 10 du règlement 1367/2006/CE limite le réexamen aux actes administratifs de portée individuelle, ce qui constitue le principal motif d’irrecevabilité des demandes introduites par les O.N.G. de défense de l’environnement. Le règlement prévoit aussi que seuls les actes juridiquement contraignants et ayant des effets externes puissent faire l’objet d’un réexamen. L’Union limite le réexamen « aux actes spécifiquement destinés à contribuer de manière positive à la politique environnementale de l'U.E, » alors que la Convention d'Aarhus ouvre le réexamen « aux actes qui contreviennent au droit de l'environnement ». Le paragraphe 2 de l’article 2 du règlement Aarhus exclut de son champ d’application les mesures prises ou les omissions, par une institution ou un organe communautaire en sa qualité d’organisme de contrôle administratif, alors que la Convention ne prévoit pas de telles exceptions. Enfin, il ressort de la jurisprudence actuelle du Tribunal de l'U.E. que, si un requérant introduit un recours contre une décision rejetant la demande de réexamen interne, la Cour ne peut se prononcer que sur la décision de rejet, mais pas sur la légalité de l'acte sous-jacent. Un requérant ne peut dès lors pas contester le contenu d'un acte devant les tribunaux de l'U.E., ce qui équivaut à le priver d’un accès à la justice en cas de violation du droit de l'environnement.
Le règlement modificatif :
Après examen de la recommandation du comité d’examen et des réponses à sa consultation publique, la Commission a publié, le 14 octobre 2020, une proposition législative modifiant le règlement Aarhus de 2006.
Le règlement modificatif a été définitivement adopté le 6 octobre 2021 par le Parlement européen et le Conseil. Ce règlement 2021/1767/UE du 6 octobre 2021 modifiant le règlement 1367/2006/CE est paru au Journal officiel du 8 octobre 2021.
Les modifications adoptées devraient permettre un meilleur contrôle public des actes de l'Union ayant une incidence sur l'environnement en facilitant le réexamen des actes administratifs.
En effet, le nouveau règlement étend son champ d'application aux actes administratifs de portée générale, et non plus aux seuls actes de portée individuelle.
Il s'appliquera non seulement aux actes relevant spécifiquement de la politique environnementale de l'Union, mais aussi aux actes adoptés par une institution ou un organe de l'U.E. dans d'autres domaines d'action « ayant un effet juridique et extérieur et contenant des dispositions qui peuvent aller à l’encontre du droit de l’environnement ».
Le nouveau texte élargit la qualité pour agir au-delà des O.N.G. afin de permettre à d'autres membres du public11, lorsqu’ils réunissent certaines conditions, de demander12 le réexamen d'actes administratifs. Ces conditions sont prévues à l’article 11 : il s’agit pour ces autres membres du public de démontrer, soit, que leurs droits sont directement affectés par l’infraction alléguée, soit, « qu’il existe un intérêt public suffisant et que la demande est soutenue par au moins 4.000 membres du public qui résident ou sont établis dans au moins cinq États membres et qu’au moins 250 membres du public proviennent de chacun de ces États membres ».
Enfin, le règlement modificatif prolonge les délais impartis pour demander un réexamen : ils sont désormais de 8 semaines à compter de la date à laquelle l’acte administratif a été adopté, notifié ou publié, la plus récente de ces dates étant retenue, ou, en cas d’allégation d’omission, 8 semaines à compter de la date à laquelle l’acte administratif était censé avoir été adopté. Ces délais étaient de 6 semaines dans le règlement initial. Les délais accordés à l’institution ou organe de l’Union pour agir sont quant à eux porté de 12 à 22 semaines (à compter de l’expiration du délai de 8 semaines).
Ces modifications devraient consolider le droit du public de demander le réexamen d'actes administratifs, et améliorer leur accès à l'information et à la justice et leur participation aux processus décisionnels. Voilà qui est de bon augure dans le contexte actuel …
Anne Jonlet,
Avocate au Barreau de Bruxelles – Responsable du bureau européen de liaison
_______
1 Signée le 25 juin 1998 et ratifiée le 21 janvier 2003.
2 La Communauté européenne a ratifié la Convention le 30 octobre 2001 et en a repris les dispositions dans les textes législatifs européens.
3 Créé en application de l’article 15 de la Convention, par la Réunion des Parties, lors de sa première session, en vertu de la décision I/7.
4 Règlement 1367/2006 concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement.
5 En Belgique, les autorités fédérale et régionales ont repris les dispositions de la Convention dans leur droit respectif, chacune pour sa compétence.
6 Affaire ACCC/C/2008/32.
7 Par la décision 2018/881/UE.
8 Résolutions du 15 novembre 2017 sur un plan d’action pour le milieu naturel, la population et l’économie ; Résolution du 16 novembre 2017 sur l’examen de la mise en œuvre de la politique environnementale de l’Union européenne (EIR) ; Résolution du 15 janvier 2020 sur le pacte vert pour l’Europe.
9 Communication de la Commission du 11 décembre 2019 sur le pacte vert pour l’Europe.
10 Communication de la Commission du 14 octobre 2020 intitulée «Améliorer l’accès à la justice en matière d’environnement dans l’Union européenne et ses États membres».
11 Paragraphe 1 du nouvel article 10.
12 Dans le cadre de ces demandes, les membres du public sont représentés par une O.N.G. satisfaisant aux critères énoncés au paragraphe 1 ou par un avocat habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre. Cette O.N.G. ou cet avocat coopère avec l’institution ou organe de l’Union concerné afin d’établir que les conditions quantitatives énoncées au premier alinéa, point b), sont remplies, le cas échéant, et fournit sur demande des éléments de preuve supplémentaires.