A tire-larigot

Retrouvez dans cette rubrique l’expression, l’injure, le mot et la curiosité grâce auxquels vous pourrez tenter de paraître intelligent et cultivé en société !

L’expression : A tire-larigot

Effets de manche et réplique de votre adversaire : « Les arguments assénés à tire-larigot par mon estimé confrère n’ont pas de quoi convaincre ». Et vous… en vous-même et en français (car vous parlez les deux langues) : « Comment s’orthographie cette expression ? ». Puis, rire intérieur et question : « Mais d’où vient cette expression désuète ? ». Son étymologie est à nouveau au centre de controverses.

On utilise aujourd’hui cette expression remontant au Moyen Âge pour exprimer « en grande quantité », avec parfois l’idée d’excès, et ce dans tous les domaines, alors qu’à l’époque, son champ était restreint… à l’action de boire1

Le Larousse du XXe siècle, à la suite de Pierre-Marie Quitard2, propose une étymologie pittoresque, mais peu convaincante. 

Au XIIIe siècle, Eudes Rigaud (Odo Rigaldi), membre de l’ordre franciscain, élu archevêque de Rouen en 1248 (jusqu’en 1275), avait offert pour la Cathédrale Notre-Dame de Rouen, une cloche de dix tonnes qui fut appelée « la Rigaud » ou « la Rigaude ». Elle nécessitait que douze hommes la tirent pour la faire sonner, quatre demi-roues et quatre chables ayant été ensuite rajoutés. Actionner une cloche si massive ne pouvait que donner énormément soif aux sonneurs, d’où l’idée de vite boire, beaucoup, « à tire la Rigaud ». Mais les textes ne justifient pas cette origine. On n'y trouve aucune allusion à Rigaud ni à la cloche. De plus, Rigaud est du XIIIe siècle et il n'a été trouvé d'exemples de cette locution qu’au cours du XVe siècle. Olivier Basselin écrivait au XVe siècle « On lui apporte [au mari] le demeurant des valets, qui l'auront patrouillé toute la journée, beuvant en tire-larigot »3.

D’autres sont partis du mot « rigot », qui en ancien français désignait une « ceinture ». On buvait donc à « tire le rigot », à savoir « à s’en faire péter la sous-ventrière ». 

Paul Desalmand et Yves Stalloni estiment qu’il semble plus simple de s’arrêter au mot « larigot », qui désignait une sorte de petite flûte4. Ceci est sans doute le seul élément incontestable de notre analyse. 

Un jeu d’analogies avec la bouteille se serait opéré au cours du temps pour en arriver à dire encore aujourd’hui « siffler » un verre ou une bouteille. Toujours en ancien français, « à tire » signifiait « sans arrêt », ce qui confirme l’idée d’une action prolongée. Tirer voulait dire « faire sortir un liquide de son contenant ». Pour les buveurs donc, « boire à tire-larigot » était une incitation à faire sortir le vin des bouteilles comme on faisait sortir le son de l’instrument. 

Cette expression aurait-elle d’autre part des sous-entendus paillards si l’on imagine ce que signifie « tirer sur une flûte » (la turlute étant d’ailleurs bien entendu une abréviation de « turlututu », qui était aussi une flûte, un fifre ou un mirliton) ? 

Quant au jeu d’orgue, dit jeu de larigot, rappelé par Littré, on pourrait soutenir qu’on "tire" les jeux d’orgue. La registration de l’orgue classique, c’est-à-dire l’inactivation ou l’activation de tel ou tel jeu, se faisait manuellement, par une personne indépendante du joueur d’orgue. Une sorte d’assistant, qui intervenait en tirant ou en poussant des tirettes. "Le tire-larigot’ ne pourrait-il pas être cette personne, condamnée à assister des musiciens brillants, et buvant pour oublier ? C’est peut-être aussi la raison pour laquelle on tire le larigot et non pas le pipeau.

Jetons en pâture encore le fait que les flûtistes avaient la réputation d’être de grands absorbeurs de liquides variés… ou l’éventuel amalgame avec l’ancienne expression « flûter pour le bourgeois », signifiant boire comme un trou.

L’absence de certitude quant à ces dernières origines ne permet pas d’expliquer pourquoi justement c’est le larigot qui a été privilégié dans cette expression qui aurait pu être « à tire-flûte » ou « à tire-pipeau ». Comme diraient nos voisins québécois : Des explications, « en veux-tu, en v’la » !

L’insulte : Bagasse

Bagasse (avant 1581 : bagasce5) désignait une vieille prostituée6.

Au sens propre, le mot désignait de vieux vêtements qui tombaient en lambeaux. On l’employait aussi de manière insultante pour parler d’une vieille prostituée qui avait « trop servi », qui s’était abîmée dans la débauche. Dans le Nord, on disait bégasse

Aujourd’hui, et depuis 1724, la bagasse est le résidu fibreux de la canne à sucre qu’on a passée par le moulin pour en extraire le suc. Elle est composée principalement de la cellulose de la plante. La bagasse désigne aussi les tiges de la plante qui fournit l’indigo, quand on les retire de la cuve après la fermentation. Elle désigne de même la fibre de la pomme de pin cuite d’agave, broyée pour générer des sucres qui, lors de la fermentation, produiront de l'alcool et d'autres composés chimiques qui seront séparés lors de la distillation.

Le verbe : Bistourner, v.tr. 

Techn. : Courber un objet quelconque, de manière à le déformer.

Art vétér. : Castrer.

La curiosité : La famille « Calomnie et challenge »

Ces deux mots sont cousins… En effet, au XIVe siècle, calomnie a été emprunté au latin calumnia, « fausse accusation ». Au début de ce même XIVe siècle, le nom anglais challenge est attesté avec le sens de « accusation, provocation ». Or, challenge n’est rien d’autre qu’un emprunt de l’ancien français chalenge, « chicane, défi », qui remonte pour sa part au XIIe siècle et qui vient lui aussi de calumnia.

Jean-Joris Schmidt, 
Administrateur

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1 Chez Rabelais dès le XVIe siècle ; antérieurement dans un sermon de Menot sur les noces de Cana (avant 1518) cité par H. Estienne. Larigot est aussi un refrain populaire de chansons à boire, dont on trouve trace dès le XVe siècle (Christine de Pisan, Dit de la Pastoure, 1503).

2 Pierre-Marie Quitard, Dictionnaire étymologique, histoire et anecdotique des proverbes, 1842

3 Olivier Basselin, 5e des quinze joyes du mariage, XVe S

4 Littré : Espèce de flûte ou de petit flageolet, qui n'est plus en usage, et qu'imite un des jeux de l'orgue, dit jeu de larigot

5 TOURNEBU, Les Contens, IV, 1 ds HUG. : Que l'homme est malheureux qui espouse de telles chiennes et bagasces!

6 Ca 1584 : BRANTOME, Des Dames, part. II, -IX, 30

A propos de l'auteur

Jean-Joris
Schmidt
Ancien administrateur

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