Libera me par François Gibault

J’ai plaidé du mieux que j’ai pu et, sans vantardise, j’ai bien plaidé. Se levant après moi, Maurice Garçon a été ignoble, commençant sa plaidoirie par ‘mon jeune confrère Griveau a fait de son mieux, je pense maintenant qu’il est temps de reprendre sérieusement point par point cette affaire’. Et, tout au cours de sa plaidoirie, quand il était obligé de me citer puisqu’il plaidait la même chose que moi, il m’a toujours appelé Griveau pour être certain que mon nom véritable ne serait pas dans les journaux. Je l’ai entendu plaider une fois aux assises, contre Floriot, et je dois à la vérité de dire qu’il plaidait à la perfection. Je dois dire aussi que son journal des années d’Occupation, inédit à ce jour et pour la publication duquel je me bats, est un chef d’œuvre. Ainsi, sans rancune, je suis bêtement objectif.

François Gibault a mené une triple carrière. Il est d’abord avocat, et a donc plaidé aux côtés des plus grands ténors de la profession. Il fut aussi officier dans l'armée française. Il est enfin écrivain et grand défenseur de l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline. Il a, notamment, publié sa biographie en trois tomes. Et c’est lui qui préside aujourd’hui à l’édition des manuscrits perdus puis retrouvés du sulfureux auteur.

Libera me, publié en 2014, n’est ni un roman, ni un récit. C’est une sorte d’encyclopédie de notre temps, vu au travers du plus simple des prismes : le regard de son auteur. Il y évoque, dans le désordre alphabétique, les personnages que sa vie lui a fait croiser. 

De Charlotte Aillaud et Hocine Aït Ahmed à Pépita Zueras, et selon les hasards de l’ordre alphabétique, j’ai décidé de promener dans l’espace et dans le temps ceux qui daigneront feuilleter ce livre. D’un théoricien et d’un acteur de la révolution algérienne à une cuisinière espagnole, du temps de l’avènement du chancelier Hitler à celui du pape François, je conduis mes lecteurs dans les méandres d’un monde en rapide évolution technologique et morale, à la recherche du temps passé, et pour tenter de réunir les morceaux d’une existence échevelée mais pas plus que les autres vies, comme dans tous les romans, avec un commencement et une fin. Tout cela n’a rien à voir avec la vérité qui, du reste, n’existe pas, ce ne sont qu’inventions accumulées, mensonges, affabulations, rêves insensé, espérances trahies, rien d’autre que des portes qui s’ouvrent sur pas grand-chose et qui ne se referment sur rien. L’auteur de ces lignes n’est cependant pas mécontent d’avoir vécu si longtemps non plus que d’avoir parcouru un si long chemin. Posté au coin du bois, le regard au loin, il attend qu’un nouveau jour se lève.

C’est dit. Et comment mieux le dire ?

Au hasard de ces pages, on trouvera des avocats, et parmi les plus grands, mais aussi des écrivains, des artistes, des politiques et des anonymes. Vouloir en citer quelques-uns n’aurait pas grand sens, tant ils sont nombreux et variés.

C’est donc le portrait d’un siècle. Mais pas comme ceux que l’on trouve dans les galeries de nos parlements ou de nos palais de justice. Plutôt comme s’il avait été peint par Jeroen Bosch, avec une multitude de petites vignettes. À la différence que l’horreur n’est pas à toutes les pages. Au contraire, la plume, d’une rare élégance – dans tous les sens du terme – de François Gibault retient rarement le négatif, préférant rechercher dans la quasi-totalité des personnages croisés, ce qu’ils avaient d’intéressant, de séduisant, de captivant.

Cela se sirote donc avec délectation, lentement, au fil des pages, sans chercher d’autre plaisir que ceux de la lecture et de la découverte. 

Certes, il y a un point de vue et ce n’est pas nécessairement – ou pas toujours – le mien. Mais faut-il nécessairement juger une parole par l’endroit dont elle est prononcée ? N’en déplaise aux situationnistes de mon temps, ou au wokistes de celui-ci, cela n’a jamais été mon credo. Ne boudons donc pas notre plaisir. Brisons donc le cycle infernal de ce temps où, de Twitter en Facebook, l’on ne prend plus connaissance que de l’avis de ceux qui pensent comme nous… 

Terminons quand même en citant un article, le plus sobre de tous.

Louis Destouches, dit Louis-Ferdinand Céline, médecin et écrivain français, né le 27 mai 1894 à Courbevoie, décédé le 1er juillet 1961 à Meudon, médaille militaire, croix de guerre 14-18, auteur de Voyage au bout de la nuit, prix Renaudot 1932.

Tout est dit. Rien n’est dit. Et c’est l’essentiel.

Patrick HENRY
Ancien Président

Photo de couverture de l'ouvrage
Libera me, par François GIBAULT, Paris, Gaillimard, 2014, 422 pages, 23,90 euros.

 

 

 

A propos de l'auteur

Henry
Patrick
Ancien Président d'AVOCATS.BE

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