Le point sur l’impact du droit de l’Union sur l’admissibilité des preuves en matière pénale

Dans un arrêt assez récent du 14 mai 2024,[1] la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a eu l’occasion de se prononcer sur les conséquences en droit interne de l’admissibilité d’un moyen de preuve en matière pénale d’une violation d’un des droits garantis par les instruments du droit de l’Union.

Les faits peuvent se résumer assez simplement.

Un suspect est arrêté et privé de liberté par la police bulgare pour des faits présumés de vol et vol avec violence. Il signe, avant son interrogatoire, un document aux termes duquel il dit renoncer à son droit à être assisté d’un avocat lors de cet interrogatoire. Le suspect ne maîtrise pas la langue bulgare à l’écrit, le droit bulgare imposant, en ce cas, que le document porte la signature de l’agent de police et d’un témoin externe. Ce n’est qu’après son inculpation que le suspect a pu avoir accès à l’assistance d’un avocat et ce, alors que d’autres actes d’enquête ont été posés, notamment une perquisition. Dans une ordonnance du 18 août 2023, le Tribunal d’arrondissement de Sofia a décidé la remise en liberté conditionnelle de l’intéressé estimant, notamment, que le droit à avoir accès à un avocat naît, en application de la Constitution bulgare, au moment de la privation effective de liberté.[2] Au stade de l’équivalent bulgare du règlement de la procédure se pose la question de savoir si les modes de preuve sont conformes à la directive 2013/48/UE[3] et, surtout quelle est la conséquence, en droit interne, d’un constat de non-conformité. À ce stade, [4] il est important de noter que la jurisprudence bulgare est fixée en ce sens que le juge interne dispose de la possibilité d’examiner l’admissibilité des preuves en matière pénale à l’aune de l’atteinte à la fiabilité de la preuve ou de la violation du droit au retrait équitable.[5]

Après avoir reconnu que la Bulgarie n’avait pas procédé à la transposition de la Directive 2013/48 et en avoir tiré la conséquence que les autorités nationales ne pouvaient se prévaloir des exceptions à la nécessité de la présence de l’avocat lors du premier interrogatoire visées à son article 3.6.b. la Cour considère que l’audition d’un suspect hors la présence d’un avocat viole l’article 9 de la Directive.[6]

Enfin, en ce qui concerne la conséquence en droit interne, la Cour rappelle qu’un justiciable dont les droits qu’il tire de la Directive ont été violés doit disposer d’un recours effectif auprès d’un tribunal qui sera chargé d’examiner la régularité des moyens de preuve.

En cela, la CJUE répond à la question préjudicielle qui lui a été posée sans aller aussi loin que dans d’autres arrêts rendus sur l’application de la Directive relative au droit d’accès à un avocat[7] où elle impose au juge national de laisser, au besoin, inappliquée une règle de droit interne qui serait contraire au droit de l’Union.[8]

Ce faisant, la Cour a fait une correcte application du principe d’effectivité, tiré notamment de l’article 19.1 du Traité sur l’Union européenne[9] et c’est précisément à la lumière des principes de base du droit de l’Union qu’il y a lieu de raisonner.

Le principe d’effet utile du droit de l’Union tel que tiré de l’article 19.1 précité, impose notamment que le droit interne de chaque État membre permette au justiciable d’invoquer directement devant le juge national les dispositions du droit de l’Union qui sont d’effet direct, en laissant au besoin inappliquées des règles de droit interne.[10]

Ainsi, les États membres doivent adopter toutes les mesures visant à ce que le droit de l’Union puisse avoir, dans leurs ordres juridiques internes, un effet plein et entier, laissant au besoin inappliquées les règles de droit interne qui l’en empêcheraient, fussent-elles des normes à valeur constitutionnelle.[11]

Il s’agit de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, développée de longue date dans des termes dépourvus d’ambiguïté :

« (…) il découle de l’ensemble de ce qui précède que tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a l’obligation, d’appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant inappliquée toute disposition éventuellement contraire de la loi nationale, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la règle communautaire »[12]

Se pose dès lors légitimement la question de savoir si, en Belgique, un juge national qui constaterait qu’un élément de preuve en matière pénale a été recueilli en violation du droit de l’Union devrait laisser inappliqué le test de l’article 32 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale, le seul constat de non-conformité au droit de l’Union pouvant être considéré comme suffisant pour écarter un tel moyen de preuve.

En réalité, de nombreuses dispositions du droit belge de la procédure pénale sont issues de transpositions de directives européennes,[13] permettant au justiciable d’en invoquer le bénéfice devant son juge national à l’égard de son État membre,[14] même en cas d’absence de transposition pour autant que les droits qu’elles contiennent soient suffisamment précis.[15]

En s’appuyant sur le principe d’effet utile du droit de l’Union, il apparaît que le juge belge, saisi par exemple d’une demande d’écartement de pièce pourrait laisser inappliqué le test de l’article 32 du Titre préliminaire du Code de Procédure pénale puisqu’une telle disposition législative, similaire à la jurisprudence bulgare censurée par l’arrêt Stachev précité, pourrait être de nature à empêcher les particuliers d’obtenir une protection effective des droits qui leur sont conférés par le droit de l’Union.

Xavier Koener
Avocat au barreau du Luxembourg


[1] CJUE, 14 mai 2024, Stachev, C-15/24 PPU, ECLI:EU:C:2024:399

[2] Art. 30 Const. bulgare : « (4) Chacun a le droit de se faire défendre par un avocat dès le moment de son arrestation ou de sa mise en accusation. (5) Chacun a le droit de rencontrer en privé son défenseur. Le secret de leurs communications est inviolable. » https://cdn.accf-francophonie.org/2019/03/bulgarie-constitution.pdf

[3] Directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires, JOUE, L 294, p. 1-12 ; Cette directive a fait l’objet d’une transposition en droit belge par la loi du 25 avril 2024 (M.B., 17 juin 2024, p. 75507), soit plusieurs années après le délai de transposition fixé au 26 novembre 2016, modifiant notamment l’article 47bis du Code d’instruction criminelle

[4] CJUE, Stachev, point 93

[5] En cela, la jurisprudence bulgare est similaire à la jurisprudence dite Antigoon de la Cour de cassation belge (Cass. (2e Ch.), 10 octobre 2003, R.G. P.03.0762.N et les arrêts subséquents, not. Cass. (2e Ch.), 16 novembre 2004 P.04.0644.N) telle qu’elle a été consacrée dans l’article 32 du Titre préliminaire du Code de Procédure pénale (Loi du 23 octobre 2013 modifiant le titre préliminaire du Code de procédure pénale en ce qui concerne les nullités, M.B., 12 novembre 2013, p. 84999)

[6] CJUE, Stachev, point 70

[7] P. Ex. CJUE, VW, 12 mars 2020, Aff. C-659/18, ECLI:EU:C:2020:201

[8] CJUE, Stachev, point 99 : « (…) il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle une juridiction, qui examine l’implication d’un prévenu dans une infraction pénale afin de déterminer le caractère adéquat de la mesure de sûreté à infliger à ce prévenu, est privée de la possibilité, au moment d’adopter une décision sur le maintien en détention dudit prévenu, d’apprécier si les éléments de preuve ont été obtenus en méconnaissance des prescription de cette directive et, le cas échéant, d’écarter de tels éléments de preuve 

[9] Art 19.1 TUE : « [l]es États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union »

[10] Pour un exemple récent, voy. CJUE (Grande chambre), 5 juin 2018, Procédure pénale c. Nikolay Kolev, Aff. C-612/18, ECLI:EU:C:2018:392

[11] CJUE, 17 décembre 1970, Internationale Hansdelsgesellschaft mbH, aff. 11/70, Rec., 1125

[12] CJUE., 9 mars 1978, Administrazione delle Finanze delle Stato c. Simmenthal SpA, Aff. 106/77, Rec., 629, point 21 ; Voy. également CJUE., 16 mars 2006, Kapferer c. Schlanck & Schick, Aff. C-234/04, Rec., I-2585

[13] On notera par exemple les directives suivantes : 2010/64/UE du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales; 2012/13/UE du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales; 2013/48/UE du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires; (UE) 2016/343 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales; (UE) 2016/800 du 11 mai 2016 relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales; (UE) 2016/1919 du 26 octobre 2016 concernant l’aide juridictionnelle pour les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales et pour les personnes dont la remise est demandée dans le cadre des procédures relatives au mandat d’arrêt européen.

[14] CJUE, 26 février 1986, Marschall c. Southampton and South-West Hampshire Area Health Autority, Aff. 152/86, Rec., 737

[15] CJUE, 4 décembre 1974, Van Duyn c. Home Office, Aff. 41/74, Rec., 1337, point 13

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