Le livre de maître Mô par Jean-Yves Moyart

Oui, la ministre aurait dû être là et assister à cette audience, farcie de peines plancher dont celle-ci était l’apothéose. Nos brillants députés aussi, qui votent ce genre de choses ; ceux des magistrats que je connais qui pensent qu’être un gardien de l’application de la loi, c’est se contenter de l’appliquer sans nuances ; ceux de mes confrères qui, dès qu’elle est juridiquement applicable, baissent les bras ; et tous ceux, dans l’opinion publique, cette espèce de grande putain, qui osent soutenir ce type de décision uniquement sécuritaire ou censée l’être, sans réfléchir un instant à qui on va l’appliquer, et qui changeraient immédiatement d’avis si cette petite fille en ciré jaune trop grand était leur enfant ou leur sœur…

Jean-Yves Moyart, alias Maître Mô, était avocat à Lille. Et aussi bloggeur et twitto. Il s’était attiré une belle audience (près de 70.000 followers sur Twitter, 20.000 visiteurs quotidiens sur son blog), séduite par la causticité, mais aussi la générosité, de ses chroniques extraordinaires de la justice ordinaire.

Il est mort le 20 février 2021, à l’âge de 53 ans, emporté par cette saleté de cancer. Trois de ses compères de la twittosphère, Maître Éolas, Judge Marie et Éric Morain ont uni leurs forces pour faire éditer les plus belles de ses chroniques. 

Le premier de ces textes en témoigne plus encore que tous les autres. Maître Mô était dans la salle d’audience quand y a comparu cette multirécidiviste d’Odile, qui devait répondre d’une tentative de vol d’une paire de chaussettes dans un grand magasin (valeur : 9 euros). Description de l’absurdité d’une machine enrayée qui tourne sur elle-même, en broyant de petits êtres sans défense, déjà résignés, victimes expiatoires de tous les travers de notre société. Odile c’est un peu Iphigénie, sauf qu’elle ne connaît pas son Agamemnon et qu’il n’y aura pas de Clytemnestre pour la venger. Quel gâchis…

J’aimais à penser que j’étais votre mauvaise conscience, votre trublion, l’agitateur de vos pensées, celui qui vous obligeait.

Des histoires édifiantes il y en a une petite vingtaine dans ce livre, toutes plus terribles les unes que les autres. Avec des coupables indéfendables qui doivent pourtant être défendus, des victimes pitoyables auxquelles il faut rendre un peu d’espoir, des faux innocents qui vous remercient de leur avoir obtenu une peine somme toute clémente (bon, quinze ans de réclusion quand même) et des victimes de crimes atroces que l’on retrouve quelques années plus tard du côté des tortionnaires… La cour des miracles. Grande misère de l’humanité.

Maître Mô a toujours le mot juste. Ses personnages, nous les sentons comme s’ils étaient debouts devant nous. Comme si nous devions nous lever dans cinq minutes pour commencer à les défendre.

N’empêche, moi aussi je suis un rempart contre les cons, les ignorants et les médiocres …

Il y a aussi la vie de l’avocat pénaliste, l’empathie avec certains clients plutôt qu’avec d’autres, la conviction de l’innocence, le poids de la défense. Être avocat c’est aussi recevoir toute la misère du monde sur les épaules. Et l’assumer.

L’avant dernier texte de ce précieux recueil est, à cet égard, bien exemplatif. Une heure. L’heure qui sépare le début de la suspension d’audience du début de la plaidoirie. Une plaidoirie difficile. L’avocat général a requis vingt et un ans de réclusion criminelle, assortie de deux tiers de période de sûreté et d’un suivi socio-judiciaire d’une durée maximale à la sortie, sous peine du maximum légal d’emprisonnement supplémentaire en cas de non-respect. Et, encore, une mesure de rétention de sûreté.

L’accusé est en aveu. Les faits sont là. Deux viols atroces, en état de récidive légale. Il reste une heure. Une heure pour trouver les mots. Quémander un peu de clémence. Ouvrir la porte à l’espoir. Trouver les mots pour faire comprendre. Restituer un peu de dignité, d’humanité à un accusé que tous voient comme un monstre… On sent la sueur qui coule le long de sa colonne vertébrale.

J’ai les mains moites, maintenant, les aisselles, déjà trempées, je prends ma vraie première feuille blanche, trace un trait horizontal au milieu – je n’ai pas ma première phrase, je ne sais pas avec quoi je vais tenter de les attraper tout de suite, alors je laisse un blanc pour l’instant ; mais j’attaque la seconde moitié, en débutant par la personnalité et ce que je dois et veux en dire, quand Halim, un jour pas si lointain, est né, pour le malheur des femmes qui tout à l’heure devront faire l’effort énorme de m’entendre le défendre…

Plaidez, Maître Mô…

Patrick HENRY
Ancien Président

A propos de l'auteur

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Ancien Président d'AVOCATS.BE

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