Le droit dans la littérature française par Jean-Pol Masson

Nous autres, dont les yeux sont grands ouverts sur le monde, qui vivons ici, dans ce palais de la justice qui est l’égout de la société, où viennent échouer toutes les infamies, nous autres qui sommes les confidents de toutes les hontes, les défenseurs de toutes les gredineries humaines, les soutiens, pour ne pas dire souteneurs, de tous les drôles et de toutes les drôlesses, depuis les princes jusqu’aux rôdeurs de barrières, nous qui accueillons avec indulgence, avec complaisance, avec une bienveillance souriante, tous les coupables pour les défendre devant vous, nous qui, si nous aimons vraiment notre métier, mesurons notre sympathie d’avocat à la grandeur du forfait, nous ne pouvons plus avoir l’âme respectueuse.

Ainsi parle Maupassant des avocats (L’assassin, in Contes et nouvelles). Bernanos est plus critique :

Mais, monsieur le marquis, est-ce qu’il est permis aux avocats de calomnier tant qu’il leur plaît ? Est-ce qu’il n’y a point de justice contre eux ? Si j’avais pu prévoir toutes les amertumes que cette affaire entrainerait, je vous proteste que je n’aurais jamais consenti à ce qu’elle s’entamât (La religieuse).

C’est une entreprise titanesque ! Jean-Pol Masson a épluché la littérature (c’est une première limite : le cinéma et, par exemple, la bande dessinée ne font pas partie de la matière examinée. Une piste pour un prochain ouvrage ?) francophone (c’en est une seconde, mais notons donc que les auteurs belges francophones sont inclus et il en est que nous connaissons bien) pour y traquer la justice et ses gens.

Bien sûr, il ne peut être question d’exhaustivité. Il suffit, pour s’en convaincre, de comparer l’index des auteurs qui figure à la fin de l’ouvrage à la table de la présente chronique. Mais cela n’a guère d’importance. Plus de 130 auteurs sont ainsi passés en revue (et cela fait bien plus d’œuvres évidemment, car certains y sont pour quatre ou cinq ouvrages, voire plus encore) et il est douteux que l’adjonction de quelques autres ait modifié la portée générale de cet essai.

L’ouvrage se décline en trois parties. D’abord, des portraits de gens de justice : magistrats, avocats, bien sûr, mais aussi greffiers, notaires, huissiers, avoués ou acteurs du droit administratif. Ensuite, sous le titre « La scène et la mise en scène », la justice en mouvement (c’est presqu’un oxymore car sa lenteur est évidemment fustigée plus d’une fois) et, enfin, le « répertoire », c’est-à-dire les institutions, je veux dire la matière elle-même.

Quand les abbés et les seigneurs furent privés du droit de pendre les vilains, on crut que c’était la fin de tout. Mais on vit bientôt naître un nouvel ordre, meilleur que l’ancien.

Anatole France (L’anneau d’améthyste) est donc plutôt optimiste. Xavier Patier et Bernanos, encore lui, le sont moins.

La justice n’est qu’une des expressions de l’ordre du plus fort.

Car enfin la justice entre les mains des puissants n’est qu’un instrument de gouvernement comme les autres. Pourquoi l’appelle-t-on justice ? Disons plutôt l’injustice, mais calculée, efficace, basée toute entière sur l’expérience effroyable de la résistance du faible, de sa capacité de souffrance, d’humiliation et de malheur.

Ce sont rarement des juristes qui écrivent. C’est donc un regard extérieur que nous renvoie Jean-Pol Masson, mais saisi de l’intérieur. Un peu comme ces miroirs sans fin que l’on contemple dans les fêtes foraines, qui nous étendent ou nous rapetissent. Mais quelle est l’image réelle : celle qui nous choque ou celle qui nous plaît ? Peut-être sont-ce les caricatures qui sont les plus fidèles au vrai…

Ce livre en est à sa deuxième édition. Elle a été considérablement augmentée par rapport à la première, parue en 2007 chez Bruylant. De nouveaux auteurs ont été ajoutés, soit qu’ils aient publié après la parution de la première édition, soit qu’ils aient été « oubliés » lors de celle-ci. Mais le champ s’est aussi élargi puisque l’action de l’administration, et, dès lors, ses acteurs, y ont été intégrés. 

Terminons donc par une citation de Denis Marion (Le juge de Malte) parmi quelques autres qui, sous le titre Les libertés publiques, traitent de l’inquisition et de la « question ».

La résistance à la douleur reste alors la seule garantie de votre véracité. Vous pourriez vous demander en quoi une qualité physique peut attester de l’exactitude d’une déclaration. L’expérience n’en établit pas moins que toutes les vérités qui se sont imposées à l’humanité, que ce soit dans les arts, les sciences ou la politique, ont coûté beaucoup de souffrances à leurs auteurs, quand elles ne leur ont pas valu la mort. Rien d’étonnant à ce que la justice suive les mêmes normes. Il vous faudra payer votre quote-part d’un tribut imposé à tous les hommes.

Un miroir grossissant, donc.

Patrick Henry,
Ancien Président

A propos de l'auteur

Henry
Patrick
Ancien Président d'AVOCATS.BE

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