Retrouvez dans cette rubrique l’expression, l’injure, le mot et la curiosité grâce auxquels vous pourrez tenter de paraître intelligent et cultivé en société !
L’expression : S’en moquer comme de l’an 40
Recevez mes meilleurs pour ce nouvel an… 2025, et non 40. Et si vous vous en moquez, découvrez les hypothèses de l’origine de cette expression, apparue à la fin du XVIIIe siècle.
Certains évoquent l’an 1040, que les gens de l’époque auraient supposé être celui de la fin du monde, parce qu’étant l’an 1000 auquel on ajouté la durée de vie du Christ (40 ans).
Mais le doute est permis, car certains soutiennent que le Christ avait été crucifié à l’âge de 33 ans (si si…). En outre, cette expression ne serait-elle apparue que sept siècles plus tard, si on avait vraiment dû se moquer de cette date dont tout le monde aurait eu peur pour rien ? Et puis, à part quelques érudits, les gens de cette époque connaissaient-ils la date ?
Pour d’autres, ce serait cette fois l’an 1740 pour lequel de nombreuses calamités avaient été annoncées et, comme rien de particulier ne s’était passé, on s’en serait raillé.
Selon Littré, il s’agirait d’une raillerie, par les royalistes, de l’an 40 de la République, année jamais atteinte par le calendrier républicain, mais sans qu’on sache vraiment pourquoi le chiffre 40 a été retenu alors que ce calendrier a eu une durée de vie bien plus courte.
Il pourrait également s’agir d’une plaisanterie des sans-culottes sur l’âge qu’aurait eu Louis XVI quelques jours après un peu perdu la tête, après avoir été comme le gigot, raccourci, grâce à cet appareil que Monsieur Guillotin, par pure bonté[1], a contribué à remettre au goût du jour.
Elle viendrait enfin de la déformation d’une expression très populaire au XVIIIe siècle, y compris bien avant la Révolution : s’en moquer comme de l’Alcoran, ce dernier désignant le Coran à cette époque. Alain Rey la rejette, faute de preuves, mais Claude duneton la défend.
Il existait en effet, juste avant la Révolution, un très populaire roman d’anticipation de Louis-Sébastien Mercier intitulé L’An 2440, Rêve s’il en fût jamais dans lequel un monde idyllique était décrit. Cette société pleine de bonté, de sagesse et d’égalité d’un futur très lointain aurait provoqué les sarcasmes des sans culottes supposés mener eux-mêmes une vie bien meilleure que celle sous la royauté.
Et ce serait le mélange de l’indifférence portée à cet an 40 très éloigné et de celle portée à l’Alcoran qui aurait transformé l’expression originale[2].
Geneviève Pronovost, historienne, envisage ces trois explications et aussi celle du 40, Chiffre des Dieux[3].
L’insulte : Amignoter
Ce verbe signifie « fayotter ».
De « mignon », « mignarder » : cajoler, flatter. A l’origine, ce terme évoquait une façon de parler aux enfants en bêtifiant. Il a ensuite servi à désigner toute manière de s’exprimer obséquieuse et trop flatteuse pour être sincère[4][5].
Le mot : Danger, n.m. Dr. féod.
Droit de dixième qu’on payait au seigneur et, plus tard au roi, sur les coupes de bois[6].
La curiosité : La famille Chiffe, chiffon, chiper, chipie, chipoter et chips !
Ce n’est pas fréquent, et c’est d’autant plus intéressant : l’origine de cette famille est un mot anglais, le nom chip, « petit morceau », attesté vers 1300. Ce nom vint chez nous et devint chipe, « chiffon », en 1306. Chipe a disparu, mais il eut une descendance nombreuse : le verbe chipoter, « manger par petits morceaux », puis « ergoter » (1704) ; le verbe chiper, « voler quelque chose de peu de valeur » (1759), qui donna le nom chipie (1821) ; le nom chiffe, « chiffon », toujours vivant dans l’expression chiffe molle, qui est lui-même à l’origine de chiffon (1609).
Pendant ce temps, le nom anglais chip, « petit morceau », continuait de vivre sa vie de mot anglais. En 1769, il a le sens de « fine tranche d’aliment », puis, en 1859, celui de « fine tranche de pomme de terre ». La chip était née, il ne restait plus qu’à la mettre au pluriel et à l’emballer dans un sachet de plastique afin que l’on puisse déguster des chips. Avant, bien sûr, de s’essuyer les doigts avec un chiffon.
Jean-Joris Schmidt,
Ancien administrateur
[1] Wikipedia nous dit ceci : « La proposition de Guillotin vise également à supprimer les souffrances inutiles. En effet, les pauvres ne pouvant se payer une exécution de qualité, étaient décapités à l’aide d’une arme émoussée, ce qui entraînait une exécution longue et douloureuse ».
[2] « Je suis un vieux libéral, tel que vous me voyez ;
je juge les hommes sur leur mérite, et non sur leurs titres ;
Je me ris des hasards de la naissance ;
La noblesse ne m’éblouit pas, et je m’en moque comme de l’an quarante : Je suis bien aise de vous l’apprendre » : Emile AUGIER, Jules SANDEAU, Le gendre de M. Poirier, 1854.
[3] Ecoutez-la via le lien suivant : https://www.facebook.com/watch/?v=4744436102243256 . Et si vous craquez pour l’accent canadien, profitez de cette chanson de rap improbable de Manu Militari, l’An 40 : https://www.youtube.com/watch?v=_ppZY1ktfEc . (Je vous épargne Jeanne Cherhal).
[4] Amignoter : 1223 : « parer, ajuster », puis 1506 : « caresser, dorloter, amadouer ». Et Amignonner : 1507 : « flatter, caresser ». Voir aussi amignarder, amigno(u)t(t)er.
[5]« Il leur frappa vigoureusement le dos et leur frictionna les temps d'une main qui eût fait feu à frotter du bois, et, pendant qu'il se livrait à une si surprenante besogne, il amignonnait de la voix ces deux dames, leur bêlait du ton d'un agneau : « − Grâce! grâce! mesdames, ne trahissez pas mon secret! » R. Boylesve, La leçon d'amour dans un parc,1902, p. 101. « Les panaches roux ondulent et valsent, on a envie de valser à son tour, ou bien, comme celui-ci qui se cache dans un coin d'ombre, d'entraîner sa galante à l'écart, de l'amignouter gentiment ». M. Genevoix, Raboliot,1925, p. 126.
[6] Selon le Littré : Terme de droit féodal, et d'eaux et forêts.
- Droit qu'avait le seigneur et plus tard le roi sur les forêts de Normandie, consistant en ce que les propriétaires ne pouvaient les vendre ni les exploiter sans sa permission et sans lui payer le dixième, sous peine de confiscation.
- Bois sujet au tiers et au danger, c'est-à-dire qui paye un droit consistant dans le tiers de la vente, et dans le tiers prélevé au profit du roi.
- Danger seigneurie, défenses, douanes, exactions, confiscations, etc. que les seigneurs des lieux exercent sur les marchands et sur les vaisseaux qui font naufrage sur leurs côtes.
- Fief de danger, celui dont on ne peut prendre possession sans avoir fait hommage et payé les droits au seigneur, à peine de confiscation.
Ces termes du droit féodal s'expliquent par le sens primitif de danger, qui est domination, puissance. Par extension du sens de domination et de puissance, situation, conjoncture, circonstance qui compromettent la sûreté, l'existence d'une personne ou d'une chose. Il y a du danger à suivre cette entreprise.