Etats généraux de la famille du 6 septembre 2018
Atelier : Atelier filiation
La filiation en pratique : de la consultation au jugement, en passant par l’audience… sans oublier la conception !
Président : Me Alain ROLAND, avocat au barreau de Bruxelles.
Intervenants :
1) Mme Géraldine MATHIEU, chargée de cours à l'UCL ; et
2) M. Nicolas GENDRIN, juge au tribunal de la famille de Namur - division Namur, collaborateur didactique à l’UNamur.
Rapporteur : Me Feyrouze OMRANI, avocate au barreau de Bruxelles.
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Les intervenants choisissent d’aborder la matière de manière vivante et dans un style décontracté. Ainsi, quatre problématiques ont été mises en scène par les deux intervenants, à savoir,
- la paternité imposée et l’impossibilité pour le père d’échapper à la vérité biologique ;
- la reconnaissance d’un enfant par une autre personne que le père biologique qui n’est pas nécessairement frauduleuse ;
- l’établissement de la filiation biologique alors qu’une paternité est déjà établie et alors que la possession d’état est acquise en la faveur du père légal ; et
- la gestation pour autrui.
Le président de l’atelier invite les participants à réfléchir pour chacun de ces cas à deux questions transversales qui ont trait respectivement à l’équilibre entre la filiation biologique et la filiation socio-affective, d’une part, et à l’intérêt de l’enfant, d’autre part.
À l’issue de chaque scénette, une discussion animée a lieu avec les participants de l’atelier.
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I. Casus 1 : Paternité imposée
A. Les faits
Monsieur rencontre une dame sur internet. Ils ont des relations sexuelles en dehors de toute relation sentimentale et de projet parental.
Madame indique qu’elle prend la pilule contraceptive. Monsieur de son côté utilise toujours un préservatif. Lors de la dernière relation sexuelle, le préservatif se déchire.
Plusieurs mois après leur dernière rencontre, madame contacte monsieur pour lui faire savoir qu’elle a accouché d’un enfant qui serait le sien.
Madame lance citation en établissement judiciaire de la paternité sur base de l’article 322 du code civil.
Monsieur veut savoir comment il peut se défendre car il n’entend jouer aucun rôle à l’égard de cet enfant qui lui est imposé.
B. Exposé des règles applicables
- Mode introductif et compétence :
L’action est introduite par citation devant le tribunal de la famille (article 572 bis 1° du code judiciaire) du domicile ou de la résidence habituelle de l’enfant (article 629 bis, § 2/1 du code judiciaire)
- Titulaires de l’action :
L’action peut être introduite par l’enfant et chacun de ses père et mère personnellement (art. 332 ter du Code civil)
- Parties à la cause :
Sont parties à la cause, l’enfant ou ses descendants ; ses auteurs dont la paternité, maternité ou la comaternité est déjà établie ; et la personne dont la paternité, la maternité ou la comaternité est recherchée (article 332 ter du Code civil).
L’enfant est représenté par l’auteur dont la paternité, la maternité ou la comaternité est établie. En cas de conflit d’intérêt, un tuteur ad hoc peut être désigné par le tribunal de famille (article 331 sexies du code civil).
- Délai pour agir :
Selon l’article 331 du code civil, les actions relatives à la filiation se prescrivent par tente ans à partir du jour où la possession d’état a pris fin, à défaut de possession d’état, à partir de la naissance ou du jour où l’enfant a commencé à jour d’une possession d’état conforme à l’état qui lui est contesté.
- Preuve à apporter :
Il faut prouver que l’homme dont la paternité est recherchée est le père biologique de l’enfant (article 332 quinquies § 3 du code civil) : 1) par la possession d’état (article 324, al. 1 du code civil) ; 2) par aveu sauf s’il apparaît frauduleux ou collusoire ; et 3) par toutes voies de droit, en ce compris les analyses ADN.
Il est précisé que refuser de se soumettre à l’expertise biologique peut être dans certaines circonstances retenu comme une présomption de paternité. Des mesures d’astreintes peuvent être ordonnées.
- Consentement à l’établissement de la filiation :
Le consentement de l’enfant mineur non émancipé de 12 ans accomplis et de l’auteur à l’égard duquel la filiation est établie est requis. L’enfant mineur émancipé et l’enfant majeur disposent d’un droit de veto absolu.
- Prise en compte de l’intérêt de l’enfant :
Dans l’état actuel du droit, le juge ne doit pas examiner pas l’intérêt de l’enfant à l’établissement la paternité lorsque la demande émane de la mère ou de l’enfant. À l’inverse le magistrat doit examiner l’intérêt de l’enfant si la mère ou l’enfant s’oppose à l’établissement de la paternité (article 332 quinquies du code civil) ce qui n’est jamais le cas quand l’action est initiée par la mère ou l’enfant.
Lorsque l’action est initiée par la mère ou l’enfant, la vérité biologique permet d’imposer automatiquement la paternité sans examen ni prise en compte de l’intérêt de l’enfant.
Le professeur Leleu distingue l’action initiée par la mère de l’action menée par l’enfant. Selon lui, seule la deuxième action justifierait l’automatisme et l’absence d’appréciation des intérêts du père biologique et de ses descendants (Yves-Henri LELEU, « Filiation 2017 : l'intérêt bien pondéré », R.T.D.F., 2017/1, 29).
Jehanne Sosson souligne quant à elle l’incohérence dès lors que « le lien génétique suffirait donc à imposer une filiation non désirée mais non à permettre l’établissement d’un lien juridique souhaité » (Jehanne SOSSON, « Cour constitutionnelle, filiation et intérêt de l’enfant », C.U.P., volume 141, Bruxelles, Larcier, 2013, 111)
La cour d’appel de Liège estime que cette distinction légale se justifie car il serait déraisonnable de permettre au père de se décharger de ses obligations. La cour refuse de poser une question préjudicielle à la cour Constitutionnelle (Liège, 9 novembre 2015, 2013/ RG/1794, Act. dr. fam., 2017/10, p. 247)
Le tribunal de la famille de Namur a quant à lui accepté de poser la question préjudicielle à la cour constitutionnelle en ces termes : « L’article 332 quinquiès du CC, en ce qu’il ne prévoit pas que l’intérêt de l’enfant soit pris en considération et contrôlé par le Juge dans l’hypothèse où sa mère agit en établissement judiciaire de paternité contre le père biologique, dans un contexte en fait où une seule relation sexuelle a été entretenue entre les parents de l’enfant, sans volonté aucune, dans leur chef, de procréer mais aussi, corrélativement, sans mode de contraception, viole t’il les articles 10, 11, 22 et 22 bis de la Constitution, pris isolément ou ensemble, combinés ou non avec d’autres dispositions légales supranationales telle la Convention européenne des droits de l’homme et notamment l’article 8 de cette dernière, compte tenu du fait que lorsque le père biologique est demandeur en établissement judiciaire de sa filiation, la prise en compte de l’intérêt de l’enfant à voir établir sa filiation biologique est prise en considération, notamment en cas de refus de la mère et/ou de l’enfant ? » (numéro 2018/6938).
C. Résolution du cas
Si on considère que les faits sont sensiblement les mêmes que ceux soumis au tribunal de Namur, il faut dans ce cas demander qu’il soit sursis à statuer dans l’attente de l’arrêt de la cour Constitutionnelle. À l’inverse, si on considère que les faits sont différents (notamment parce qu’ici un ou plusieurs moyens de contraception ont été mis œuvre), il faut alors demander à poser une nouvelle question préjudicielle en termes similaires.
On peut toujours faire valoir que la reconnaissance dans ses conditions serait contraire à l’intérêt de l’enfant car la paternité serait une coquille vide (position novatrice mais encore contra legem).
Conclusion des intervenants : « Ce que mère veut, dieu veut ».
D. Discussion avec les participants
L’évaluation de l’intérêt de l’enfant recouvre plusieurs réalités, en ce compris le droit de connaître ses origines et le droit d’avoir une filiation établie.
Les cas de refus d’établissement de la paternité visent des cas lourds : le père a commis une tentative de meurtre, a le projet de partir en Bosnie, est dangereux, toxique, etc.
Le risque d’établir une filiation qui serait une coquille vide consiste à priver l’enfant d’une paternité meilleure.
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II. Casus 2 : Reconnaissance frauduleuse
A. Les faits
Madame est la mère d’une petite fille âgée de 6 ans dont la filiation paternelle n’a jamais été établie. Le père biologique n’est pas connu.
Madame vit depuis deux ans avec son compagnon d’origine camerounaise à qui l’enfant est fort attachée et réciproquement (relation affective réelle). Le compagnon a reçu un ordre de quitter le territoire.
Madame et son compagnon souhaitent procéder à une reconnaissance de paternité à l’égard de l’enfant et vous consultent.
B. Exposé des règles applicables
- Réforme législative
La loi du 19 septembre 2017 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers et le Code consulaire, en vue de lutter contre les reconnaissances frauduleuses et comportant diverses dispositions en matière de recherche de paternité, de maternité et de comaternité, ainsi qu’en matière de mariage de complaisance et de cohabitation légale de complaisance, entrée en vigueur le 1er avril 2018, modifie notamment les article 327/1 et suivants du code civil. La loi du 19 septembre 2017 est complétée par une circulaire ministérielle adoptée le 21 mars 2018.
L’objectif de la réforme était d’endiguer le phénomène des « bébés papiers » qui couvre tant le fait d’établir une filiation à l’égard d’un enfant belge pour régulariser un séjour irrégulier (reconnaissance complaisance) que le fait de concevoir un bébé pour régulariser un séjour irrégulier (conception de complaisance).
- Depuis le 1er avril 2018
L’Officiel d’État civil réalise un contrôle préventif.
Il peut refuser d’acter la déclaration tant pour des raisons administratives (documents non soumis ou dont l’authenticité est contestée) ou si la reconnaissance vise manifestement uniquement l’obtention d’un avantage en matière de séjour, lié à l’établissement d’un lieu de filiation, pour lui-même, pour l’enfant ou pour la personne qui doit donner son consentement préalable à la reconnaissance (article 330/2 du Code civil et circulaire ministérielle pour les conditions de fond).
Dans le premier cas (refus administratif) ou si l’Officier d’État civil tarde à statuer, un recours est ouvert devant le tribunal de la famille.
Dans le second cas, les parties ne disposent plus d’un recours effectif devant le tribunal de la famille. En effet, le seul recours possible est une action en établissement de la filiation qui ne pourra pas aboutir positivement pour la personne qui n’est pas le père biologique de l’enfant.
- Critique de la réforme
Il était admis que ce n’est pas incompatible d’avoir en même temps un avantage quant au droit de séjour en Belgique et un réel lien affectif avec l’enfant. Dans ce cas, la reconnaissance n’est pas frauduleuse et devrait être admise.
Il aurait été raisonnable de prévoir un recours contre le refus d’acter la reconnaissance. Du reste, selon le Conseil d’État, la réforme porte atteinte atteinte au droit à un tribunal garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme lu en combinaison avec l’article 8 de la même convention protégeant le droit au respect de la vie privée et familiale (avis du 9 janvier 2017).
Des recours en annulation sont pendant respectivement devant la Cour constitutionnelle (pour violation des articles 6 et 8 du la Constitution) s’agissant de la loi du 19 septembre 2017 et devant le Conseil d’état s’agissant de la circulaire ministérielle.
C. Résolution du cas
Il faut inviter madame et son compagnon à déposer la déclaration de reconnaissance ainsi que annexes requises (article 327/1, §1er, al 1er et 327/2 du Code civil).
L’issue dépend de la décision de l’Officier d’État civil, laquelle n’est pas susceptible de recours.
L’avis à fournir est donc pessimiste.
D. Discussion avec les participants
Les participants se sont émus de l’absence de recours effectif devant un tribunal, de la non prise en compte de l’intérêt de l’enfant et aussi de la violation du droit à la vie familiale et à la vie privée.
La fraude ne devrait être établie que si l’unique but de la reconnaissance est de se procurer un avantage quant au séjour en Belgique
La loi du 19 septembre 2017 s’applique pour toutes les reconnaissances ; il s’agit d’une loi de police.
La réforme est jugée inutile par certains participants pour des raisons propres au droit des étrangers et au droit de la filiation.
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III. Casus 3 : Possession d’état
A. Faits
Monsieur a entretenu il y a plusieurs années une relation avec une dame qui était mariée avec un autre.
En surfant sur Facebook, il découvre que cette dame a eu un enfant qui serait le sien. Cet enfant a aujourd’hui pour père légal le mari de la dame.
Monsieur souhaite voir établir sa filiation à l’égard de cet enfant.
B. Exposé des règles applicables
- La procédure comprend deux actions, d’une part, une action en contestation de la présomption de paternité du mari de la mère et, d’autre part, une action en établissement de la filiation du père biologique.
- Sont parties à la cause l’enfant, la mère, le mari et le père. L’action est introduite par voie de citation devant le tribunal de la famille du domicile ou de la résidence de l’enfant. L’action doit être introduite dans l’année de la découverte de la certitude de la paternité – il s’agit d’une question d’espèce (Cour Constitutionnelle arrêt n°16/2014 du 29 janvier 2014).
- La possession d’état du mari de la mère à l’égard de l’enfant est établie si l’enfant porte son nom, si l’enfant ignore que le mari de sa mère n’est pas son père biologique, si l’entourage de la famille le reconnaît comme le père de l’enfant.
Jusqu’en 2016, la possession d’état est un verrou absolu à la contestation de la paternité.
Depuis 2016, il est désormais acquis qu’on ne peut empêcher le magistrat de vérifier tous les intérêts en cause nonobstant l’existence de la possession d’état (Cour constitutionnelle arrêt du 9 juillet 2013 n°105/2013).
Le sort de la possession d’État est différent de chaque côté de la frontière linguistique. Ainsi pour les néerlandophones, la possession d’État est une fin de non-recevoir relative quant à la recevabilité de l’action (Cass 7 avril 2017 qui n’exclut pas que l’appréciation puisse avoir lieu au fond). En revanche, pour les francophones, la possession d’état n’intervient plus au niveau de la recevabilité mais uniquement au niveau de l’examen du fond.la cour de Cassation dans un arrêt du 6/10/2017 interdit de donner priorité à un pôle plutôt qu’un autre ; le juge du fond devant impérativement motiver sa décision après avoir procéder à une balance minutieuse des intérêts en présence (Cass. 06/10/2017, J.L.M.B., 2018/19, p. 877).
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IV. Casus 4 : La gestation pour autrui
A. Faits
Un couple hétérosexuel vous consulte car il souhaite se rendre à l’étranger pour concevoir un enfant par le biais d’une gestation pour autrui (GPA).
Il sollicite vos conseils.
B. Difficultés pratiques :
- La gestation pour autrui ’n’est pas autorisé en Belgique. Ceci explique que le(s) parent(s) se rend(ent) à l’étranger pour y recourir.
- L’élément d’extranéité implique le traitement des questions de compétence et de droit applicable.
- Dans un certain nombre de cas, les officiers d’état civil acceptent de reconnaître les effets de la gestation pour autrui de manière contra legem « en prenant leur responsabilité ».
- S’agit-t-il de reconnaître un jugement étranger ou un acte étranger ?
La cour d’appel de Liège a considéré qu’il s’agissant de reconnaître un acte authentique étranger (décision de 2010 non précisée).
À l’inverse la Cour de Bruxelles a considéré qu’il s’agissant de reconnaître un jugement étranger.
L’intérêt de la question réside dans le fait que la procédure diffère selon la nature de l’acte à reconnaître.
S’il s’agit de reconnaître un jugement étranger, l’article 22 du Code de droit international privé (Codip) trouve à s’appliquer. Dans ce cas, l’article 25 du Codip peut fonder une opposition à la reconnaissance pour contrariété à l’ordre public ou en raison d’une fraude à la loi.
S’il s’agit de reconnaître un acte de naissance étranger, les articles 27 et 62 du Codip trouvent à s’appliquer.
- La GPA est contraire à l’ordre public international belge. Cependant cette contrariété ne devrait-elle pas être mise en balance avec les intérêts de l’enfant, notamment le droit au respect de sa vie privée, de voir établir sa filiation, etc.
- Lorsque c’est possible, il est recommandé de produire des actes de naissance valant acte de reconnaissance ou de procéder à une adoption dans le pays d’origine (le pays où la mère porteuse a accouché) par le(s) parent(s) et ce avant le déplacement de l’enfant vers la Belgique.
L’échange et la réflexion s’arrêtent sur le constat que la gestation pour autrui est un chantier en construction.
Feyrouze Omrani
Rapporteur