De la jurisprudence européenne pour tous

Dans le but de favoriser le réflexe européen, la TRIBUNE EUROPEENNE s’adresse à tous les avocats. Le droit européen est en effet directement applicable en droit interne et intéresse donc tous les praticiens puisque tous les avocats peuvent solliciter l’application de cette matière par le tribunal auquel il s’adresse.

Cette rubrique fait donc un rapide tour d’horizon de quelques décisions de la Cour de Justice et de la Cour européenne des droits de l’Homme reprises par nos amis français dans L’EUROPE EN BREF (Délégation des barreaux de France).

Il faut ici remercier le Président de la Délégation des Barreaux de France, Me Laurent Pettiti, et son équipe pour cette précieuse collaboration.

Stéphane Boonen,
Administrateur

 

Relevé dans L’Europe en bref n°982 du 8 au 20 juillet 2022
L’Europe en bref n°983 du 21 juillet au 08 septembre 2022
L’Europe en bref n°984 du 09 au 15 septembre 2022
L’Europe en bref n°985 du 16 au 29 septembre 2022
L’Europe en bref n°986 du 30 septembre au 06 octobre 2022
L’Europe en bref n°987 du 07 au 13 octobre 2022
L’Europe en bref n°988 du 14 au 27 octobre 2022
L’Europe en bref n°989 du 28 octobre au 08 novembre 2022
L’Europe en bref n°990 du 09 au 17 novembre 2022 
L’Europe en bref n°991 du 18 au 24 novembre 2022


 
Mesures de restriction envers la Russie – conseils juridiques

Le 8ème train de sanctions contre la Russie, qui inclut désormais l’interdiction de la fourniture de services juridiques, est entré en vigueur (7 octobre) : Règlement (UE) 2022/1903Règlement (UE) 2022/1904, Règlement (UE) 2022/1905Règlement (UE) 2022/1906, Décision (PESC) 2022/1907, Décision (PESC) 2022/1908Décision (PESC) 2022/1909

Ce nouveau train de mesures, adopté par le Conseil de l’Union européenne, s’ajoute à celles précédemment adoptées en réaction à l’escalade de la Russie dans la guerre illégale menée en Ukraine. Les Etats membres, en coordination avec leurs partenaires internationaux, se sont notamment mis d’accord sur l’inscription de nouvelles personnes sur la liste des personnes et entités sanctionnées. Les restrictions concernent également l’exportation vers la Russie d’articles militaires, industriels et technologiques et l’importation en provenance de Russie de marchandises pour près de 7 milliards d’euros. En particulier, il est à noter que le train de mesures inclut désormais l’interdiction de fournir des services de conseil juridique ou informatique au gouvernement russe ou à des personnes morales établies en Russie. Sont compris, selon la Commission européenne, la fourniture de conseils juridiques aux clients en matière gracieuse, y compris les transactions commerciales, la participation à des opérations commerciales, à des négociations et à d'autres transactions avec des tiers, avec des clients ou pour le compte de ceux-ci et la préparation, l'exécution et la vérification des documents juridiques. 

 
Agriculture (appellation d’origine) – violation

Un produit ne répondant pas au cahier des charges applicable pour une appellation d’origine protégée (« AOP ») ne peut pas utiliser cette dernière, même si ces produits sont destinés à l’exportation vers des pays tiers (14 juillet).

Arrêt Commission c. Danemark (AOP Feta), aff. C-159/20

Saisie d’un recours en manquement à l’encontre du Danemark, la Cour de justice de l’Union européenne a examiné la légalité de l’utilisation, par des producteurs laitiers, d’une AOP pour des produits destinés à être exportés vers des pays tiers. Dans un 1er temps, elle conclut, après une analyse du libellé, du contexte et des objectifs du règlement (UE) 1151/2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, qu'un Etat membre manque à ses obligations lorsqu'il omet de prévenir et d’arrêter l’utilisation illicite d’une AOP pour des produits exportés vers des pays tiers. En effet, elle considère que ces produits ne répondent pas au cahier des charges applicable pour cette AOP, ce qui constitue une atteinte aux droits de propriété intellectuelle et au droit des consommateurs d’avoir des informations claires sur les propriétés du produit lui conférant une valeur ajoutée. Dans un 2ndtemps, elle considère que l’Etat n’a pas violé le principe de coopération loyale. En dépit du fait qu’une utilisation illicite d’une AOP nuit à la garantie du système de qualité de l’Union dans le cadre des relations internationales, la Cour estime que la Commission européenne visait le même comportement dans ses deux griefs. Or, l’Etat n’a pas mené des actions ou fait des déclarations qui constitueraient un comportement distinct de celui qui fait l’objet du premier grief et qui entrainerait la violation du principe de coopération loyale. 

 
Douane (sécurité en mer) – question préjudicielle

Le contrôle par l’Etat du port du respect des règles de sécurité en mer peut s’appliquer aux navires d’organisations humanitaires exerçant une activité systématique de recherche et de sauvetage de personnes en mer (1er août)

Arrêt Sea Watch (Grande chambre) aff. jointes C-14/21 et C-15/21.

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Tribunale amministrativo regionale per la Sicilia (Italie), la Cour de justice de l’Union européenne définit le champ d’application de la directive 2009/16/CE relative au contrôle par l’Etat du port. Elle indique qu’elle est applicable à tout navire, sauf exceptions limitativement listées à l’article 3 §4, se trouvant dans les eaux d’un Etat membre et battant pavillon sur le territoire d’un autre Etat membre. Selon la Cour, son interprétation doit se faire dans le respect des conventions internationales applicables qui prévoient notamment l’obligation pour les navires de porter assistance. Dès lors, le nombre de personnes à la suite d’un sauvetage, même s’il dépasse celui autorisé à bord, ne peut constituer un motif justifiant un contrôle de vérification du respect des règles de sécurité en mer. Toutefois, un tel contrôle peut être effectué par l’Etat du port une fois que les personnes ont été débarquées, s’il prouve l’existence d’indices sérieux d’un danger pour la santé, la sécurité, les conditions de travail à bord ou l’environnement. La Cour rappelle que l’Etat du port ne peut exiger que les navires détiennent d’autres certificats que ceux délivrés par l’Etat du pavillon.

 
Droit de la famille (Bruxelles IIbis) – question préjudicielle

La juridiction d’un Etat membre déterminée selon les règles du règlement (CE) 2201/2003 (dit « Bruxelles II bis ») pour statuer en matière de garde d’enfant n’est pas compétente dès lors que la résidence habituelle de l’enfant a légalement fait l’objet d’un transfert en cours de procédure, sur le territoire d’un Etat tiers partie à la Convention de La Haye de 1996 (14 juillet).

Arrêt CC (Transfert de la résidence habituelle de l’enfant vers un Etat tiers), aff. C-572/21

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Högsta domstolen (Suède), la Cour de justice de l’Union européenne précise l’interprétation de l’article 8 §1 et de l’article 61 du règlement (CE) 2201/2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale. Ainsi, l’article 8 §1 énonce la compétence des juridictions de l’Etat membre dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle au moment où la juridiction est saisie. Toutefois, la Cour précise que l’article 61 a) dudit règlement prévoit l’articulation avec d’autres instruments internationaux. En ce sens, la Cour rappelle que la règle de l’article 8 §1 cesse de s’appliquer dès lors que la résidence habituelle d’un enfant a été transférée, en cours d’instance, du territoire d’un Etat membre à celui d’un Etat tiers qui est partie à ladite convention. Finalement, la Cour rappelle qu’écarter la règle de l’article 8 §1 au profit de celle des stipulations de la Convention de La Haye de 1996 ne conduit pas à compromettre l’intérêt supérieur de l’enfant étant donné que les juridictions des Etats parties à cette convention doivent assurer qu’il est primordial que cet intérêt soit pris en considération. 

 
Droit de la famille (intérêt supérieur de l’enfant) - violation

Le maintien du lien familial entre un père violent et ses enfants dans le cadre de rencontres dans un milieu non protecteur constitue une violation de l’article 8 de la Convention (10 novembre)

Arrêt I.M et autres c. Italie, requête n°25426/20

Dans un 1er temps, la Cour EDH rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer, notamment dans les décisions concernant sa vie familiale, et que la marge d’appréciation des autorités nationales varie en fonction des intérêts en jeu. En l’espèce, le maintien des visites avec le père dans un environnement non protecteur perturbait l’équilibre psychologique et émotionnel des enfants. Elle estime que le tribunal italien n’a pas effectué une mise en balance des intérêts dans la mesure où il ne pouvait pas garantir des rencontres dans des conditions protectrices, de sorte que l’intérêt des enfants devait l’emporter sur l’intérêt du père à maintenir des contacts avec eux et à poursuivre les rencontres. Dans un 2nd temps, la Cour EDH indique que la suspension de l’autorité parentale de la mère interfère dans son droit au respect de la vie privée et familiale. Dès lors, une telle décision doit se baser sur des motifs suffisants et pertinents. En l’espèce, elle observe que les autorités se sont contentées de mentionner le comportement hostile de la mère aux rencontres avec le père alors que d’autres éléments nécessitaient d’être pris en compte, notamment les faits de violence domestique dont le rapport du Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (« GREVIO ») du Conseil de l’Europe relève les défaillances des tribunaux italiens dans ce domaine. Partant, la Cour EDH conclut à une double violation de l’article 8 de la Convention. 

 
Droit de la famille (validité d’un divorce établi par un officier de l’état civil) – question préjudicielle

La notion de « décision » couvre le cas d’un acte de divorce établi par un officier de l’état civil de l’Etat membre d’origine, comportant un accord de divorce conclu par les époux et confirmé par ceux-ci devant l’officier conformément à la règlementation nationale (15 novembre)

Arrêt Senatsverwaltung für Inneres und Sport (Grande chambre), aff. C-646/20

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Bundesgerichtshof (Allemagne), la Cour de justice de l’Union européenne a interprété la notion de « décision » visée par le règlement (CE) 2201/2003 (dit « Bruxelles II bis »). Elle juge que le règlement Bruxelles II bis vise toute décision de divorce, indépendamment du fait qu’elle ait été rendue lors d’une procédure judiciaire ou extrajudiciaire, si le droit national octroie aux autorités extrajudiciaires des compétences en matière de divorce. Le cas échéant, une décision rendue par ces autorités extrajudiciaires doit être reconnue immédiatement, conformément au règlement. La Cour ajoute qu’il ressort de sa jurisprudence que, lors de divorces prononcés par une autorité publique, et en particulier pour les divorces par consentement mutuel, l’autorité publique doit effectuer un examen des conditions du divorce au regard du droit national ainsi que de la réalité et de la validité du consentement des époux à divorcer. Cet examen est nécessaire car il permet de distinguer la notion de « décision » des notions d’« acte authentique » ou d’« accord entre parties ». En l’espèce, la Cour estime que l’officier d’état civil est compétent pour prononcer le divorce de manière juridiquement contraignante, après que l’examen a été effectué. Elle relève que l’officier a vérifié le caractère valable, libre et éclairé du consentement des époux à divorcer ainsi que le contenu de l’accord. 

 
Droit de la famille (filiation d’un enfant issu de la gestation pour autrui) – violation et non violation

L’impossibilité absolue en Suisse, jusqu’en 2018, de reconnaître un lien de filiation d’un enfant issu d’une gestation pour autrui (« GPA ») pour un couple de même sexe, constitue une violation dudroit à la vie privée et familiale de l’enfant (21 novembre)

Arrêt D.B. et a. c. Suisse, requêtes n°58817/15 et 58252/15

Dans un 1er temps, la Cour EDH rappelle que le droit au respect de la vie privée d’un enfant nécessite qu’une législation nationale puisse offrir la possibilité de reconnaître un lien de filiation entre un enfant né d’une GPA et son parent d’intention. En outre, la reconnaissance d’une telle filiation ne doit pas dépendre uniquement de l’orientation sexuelle des parents. En l’espèce, elle juge que l’impossibilité en Suisse, jusqu’en 2018, d’adopter l’enfant d’un partenaire enregistré ainsi que l’impossibilité juridique générale et absolue d’obtenir la reconnaissance d’un quelconque autre lien de filiation entre l’enfant et son père d’intention méconnait l’intérêt supérieur de l’enfant et son droit à la vie privée et familiale. En effet, une telle situation le place dans une incertitude juridique quant à son identité. Dans un 2nd temps, la Cour EDH estime que recourir à une GPA à l’étranger alors qu’une telle pratique est interdite par sa législation nationale, peut constituer une fraude à la loi. En l’espèce, les requérants ont placé les autorités suisses devant un fait accompli en demandant la reconnaissance de l’acte de naissance légalement établi en Californie. Dès lors, la non-reconnaissance de celui-ci n’a pas entravé pour les deux pères la jouissance de leur vie familiale de manière significative. Partant, elle conclut à la violation de l’article 8 de la Convention pour l’enfant mais à la non-violation du droit à la vie privée et familiale des parents. 

 
Droits généraux (recevabilité d’un recours devant la Cour de l’U.E.) – rejet

Le défaut d’épuisement des voies de recours internes pour contester les arrêtés de suspension d’un sapeur-pompier refusant le vaccin contre la Covid-19 rend la requête irrecevable (6 octobre).

Arrêt Thevenon c. France, requête n°46061

La Cour EDH rappelle que l’article 35 de la Convention prévoit qu’elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. En effet, le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revêt un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme. Ainsi, elle déclare qu’en droit français, il convient de mener la procédure interne, le cas échéant, jusqu’au juge de cassation et le saisir des griefs tirés de la Convention susceptibles d’être ensuite soumis à la Cour EDH. La Cour EDH précise qu’une telle exigence vaut indépendamment, d’une part, de l’intervention de la décision du Conseil constitutionnel déclarant la loi du 5 août 2021 conforme à la Constitution, dès lors qu’il ne se prononce pas au regard des dispositions de la Convention et, d’autre part, de l’avis rendu sur le projet de loi par la commission permanente du Conseil d’Etat, dans le cadre des fonctions consultatives de ce dernier. En l’espèce, elle constate que le requérant n’a pas saisi les juridictions administratives pour contester les décisions individuelles de suspension professionnelle, ainsi que la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire et son décret d’application du 7 août 2021. Partant, la Cour EDH conclut à l’irrecevabilité de la requête.

 
Droits généraux (recevabilité d’un recours devant la Cour de l’U.E.) – rejet 

La filiale suisse d’une entreprise gazière russe est partiellement recevable à entamer un recours à l’encontre de la directive (UE) 2019/692 révisée relative au marché intérieur du gaz naturel de l’Union européenne (12 juillet).

Arrêt Nord Stream 2 c. Parlement et Conseil (Grande chambre), aff. C-348/20 P

Saisie d’un pourvoi contre un arrêt du Tribunal de l’Union européenne ayant conclu à l’irrecevabilité de la demande d’annulation de la directive (UE) 2019/692 par la requérante, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions prévues à l’article 263 TFUE afin de déterminer si cette dernière était directement affectée par l’acte litigieux. Dans un 1er temps, la Cour précise que le recours en annulation est ouvert à l’égard de toutes dispositions prises par les institutions, quelle qu’en soit la forme, qui visent à produire des effets de droit obligatoires. En effet, il convient de s’attacher à la substance de cet acte et d’apprécier ses effets au regard de critères objectifs. Dans un 2nd temps, la Cour conclut qu’en l’absence de mesures de transposition adoptées par un Etat membre, une directive ne peut, par elle-même, créer des obligations à la charge d’un particulier et ne peut par conséquent produire un effet direct. Néanmoins, elle sanctionne le raisonnement du Tribunal en ce qu’il conduit à exclure catégoriquement la production d’effet direct des directives sur la situation juridique des particuliers, et par là-même, faire l’objet d’un recours au titre de l’article 263 alinéa 4 TFUE. Finalement, la Cour conclut à l’annulation de l’ordonnance du Tribunal et juge que la requérante est individuellement concernée par les modifications de la directive mais elle est limitée à intenter un recours en annulation dans la limite de son affectation individuelle.

 
Droits généraux (divulgation d’une proposition confidentielle de règlement amiable) - rejet 

La divulgation par la requérante d’une proposition de règlement amiable constitue une violation de la règle de la confidentialité des négociations qui rend la requête irrecevable (20 octobre)

Décision Camelia Bogdan c. Roumanie, requête n°32916/20

La Cour EDH rappelle qu’aux termes de l’article 39 §2 de la Convention et de l’article 62 §2 du règlement de la Cour, les négociations menées en vue de parvenir à un règlement amiable sont confidentielles. L’objectif est de faciliter le règlement amiable en protégeant les parties et la Cour contre d’éventuelles pressions. En l’espèce, elle observe que la requérante a dévoilé, au greffe d’une juridiction nationale, les détails des négociations menées en vue d’un règlement amiable de sa requête alors que ce type d’informations ne doit pas être utilisé dans d’autres procédures contentieuses. La Cour EDH note également que plusieurs articles ont par la suite révélé les détails de la négociation. Partant, elle considère que la requérante a abusé de son droit de recours individuel au sens de l’article 35 §3 a) de la Convention et conclut à l’irrecevabilité de la requête. 

 
Droits fondamentaux (levée de l’immunité judiciaire) - communiqué de presse

La Cour EDH demande au gouvernement polonais de prendre des mesures provisoires afin de s’assurer qu’une procédure relative à la levée d’immunité judiciaire d’un juge pour avoir contesté les réformes du système judiciaire, respecte son droit à un procès équitable (12 juillet)

Communiqué de Presse  

Dans le cadre de l’affaire Raczkowski c. Pologne (requête n°33082/22), la Cour EDH demande au gouvernement polonais de s’assurer du respect des exigences liées à l’article 6 §1 de la Convention. En l’espèce, le requérant, juge militaire et anciennement vice-président du Conseil national de la magistrature (« CNM ») a saisi la Cour EDH pour contester la demande de levée d’immunité judiciaire dont il fait l’objet à la suite de critiques formulées sur les réformes du gouvernement concernant la nomination des juges. Le requérant considère que la chambre disciplinaire de la Cour suprême ne constitue pas un tribunal indépendant et impartial, et qu’une décision en sa défaveur pourrait nuire à sa réputation et avoir un effet dissuasif sur d’autres juges. La Cour EDH ajoute qu’aucune décision relative à l’immunité du juge militaire ne doit être prise par la chambre disciplinaire avant qu’elle ait statué définitivement sur les griefs du requérant.

 
Droits fondamentaux (suspension d’un juge) - violation

La suspension d’un juge visant essentiellement à le sanctionner et à le dissuader de vérifier la légalité de la nomination des juges recommandés par le Conseil national de la magistrature (« CNM ») constitue une violation de la Convention (6 octobre).

Arrêt Juszczyszyn c. Pologne, requête n°35599/20

La Cour EDH rappelle tout d’abord, conformément à sa motivation dans l’affaire Reczkowicz (requête n°43447/19), que la chambre disciplinaire de la Cour suprême de Pologne n’est pas un tribunal indépendant et impartial établi par la loi. En effet, le processus de nomination des juges était défectueux car le CNM manquait d’indépendance. En outre, il n’existe aucune voie de recours prévue par la Convention pour contester la décision de cet organe. Ainsi, elle considère que la décision de suspendre le requérant de ses fonctions judiciaires au motif d’avoir rendu une décision judiciaire constitue une violation du droit à un tribunal établi par la loi et du droit à un tribunal indépendant et impartial prévus par l’article 6 §1 de la Convention. Ensuite, la Cour EDH note que la suspension a remis en cause sa compétence et son intégrité durant plus de 2 ans, ce qui a affecté sa vie privée et familiale de manière significative. Or, elle observe que lors de l’émission de son ordonnance pour obtenir des informations sur les nominations de juges par l’intermédiaire du nouveau CNM, il était impossible pour le requérant de prévoir que cette demande conduirait à sa suspension. Enfin, la Cour EDH rappelle que les changements apportés au système judiciaire en Pologne ont eu pour but d’affaiblir l’indépendance de la justice, avec une exposition à l’ingérence des pouvoirs exécutifs et législatifs. Dès lors, elle estime que la suspension du requérant avait eu pour unique but de le dissuader d’examiner la procédure de nomination des juges. Partant, la Cour EDH conclut à la violation des articles 6 §1, 8 et 18 de la Convention. 

 
Droits fondamentaux (mise à l’écart d’avocats) – non-violation

L’article 6 §1 de la Convention n’est pas applicable en cas d’impossibilité pour des avocats de contester la révocation prononcée par un tribunal qui les accusait d’avoir agi de manière incompétente, inappropriée et irresponsable, et d’avoir entravé la procédure (4 octobre).

Arrêt Angerjärv et Greinoman c. Estonie, requêtes n°16358/18 et n°34964/18

La Cour EDH considère dans un 1er temps, que le comportement pour lequel les requérants ont été écartés de la procédure judiciaire n'était pas, par sa nature, assimilable à une infraction pénale. Elle rappelle à cet égard que les règles permettant à une juridiction de réagir à un comportement inapproprié sont une caractéristique commune aux systèmes nationaux afin d’assurer le bon fonctionnement de la justice. Dans un 2nd temps, la Cour EDH rappelle que le droit d’exercer la profession d’avocat est un droit civil au sens de l’article 6 §1 de la Convention. Ce droit implique de conseiller et de représenter ou de défendre des clients tant dans le cadre d'une procédure judiciaire, qu'en dehors de celle-ci. En l’espèce, elle observe que la mesure contestée n'impliquait pas une interdiction générale de représenter un client devant les juridictions. Ils pouvaient en outre conseiller leurs clients en dehors des audiences de sorte que la mesure contestée n’a pas eu d’impact sur leur droit d’exercer la profession d’avocat. Partant, la Cour EDH conclut que l'article 6 §1 de la Convention ne s'applique pas aux faits qui fondent les griefs des requérants, que ce soit sous son volet pénal ou sous son volet civil.

 
Droits fondamentaux (Salduz) - violation

Une condamnation sur la base de déclarations recueillies lors d’une audition libre, où le requérant ne s’est pas vu notifier le droit de garder le silence et n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat, est contraire à l’article 6 de la Convention (20 septembre)

Arrêt Merahi et Delahaye c. France, requête n°38288/15

La Cour EDH relève que des raisons impérieuses de nature à justifier des restrictions à l’accès à un avocat lors de la phase préalable au procès n’ont pas été établies. Or, s’il n’existe pas de telles raisons, elle doit évaluer l’équité globale de la procédure. En l’espèce, la Cour EDH note que le requérant se trouvait dans une situation de vulnérabilité et s’est auto-incriminé lors de l’audition libre, mais n’a pas réitéré ses aveux à partir du moment où il a bénéficié de l’assistance d’un avocat. En outre, il résulte de l’analyse faite par les juridictions nationales de l’incidence de l’absence d’avocat et du défaut de notification du droit de garder le silence par les juridictions internes que les déclarations ainsi recueillies ont constitué une partie intégrante et importante des éléments de preuve permettant de condamner le requérant. La Cour EDH considère que dans le cas d’espèce, la conjonction des différents facteurs, à savoir l’absence d’un avocat et de notification du droit de garder le silence, a rendu la procédure inéquitable dans son ensemble. Or, la procédure pénale menée par la suite à l’encontre du requérant n’a pas permis de remédier aux graves lacunes procédurales ayant eu lieu lors de l’audition libre. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 6 de la Convention.

 
Droits fondamentaux (mesures Covid-19 en détention) – non violation

Le refus de permettre à un détenu de se rendre dans un lieu de culte à l’extérieur de la prison en raison de la pandémie de Covid-19, en proposant alternativement une assistance religieuse en ligne, ne constitue pas une violation de l’article 9 de la Convention (11 octobre).

Arrêt Constantin-Lucian Spînu c. Roumanie, requête n°29443/20

La Cour EDH rappelle qu’une restriction à l’article 9 de la Convention, concernant la liberté de pensée, de conscience et de religion, peut être justifiée par un objectif de protection de la santé publique. Tout d’abord, elle précise que l’ingérence doit être nécessaire dans une société démocratique. En l’espèce, le requérant s’est vu restreindre son accès au lieu de culte à l’extérieur du centre pénitentiaire et n’a pas allégué avoir été empêché de pratiquer sa religion d’une autre manière pendant sa détention. Ensuite, la Cour EDH admet que la crise sanitaire était une situation particulièrement imprévisible et inédite, accordant aux autorités pénitentiaires une large marge d’appréciation. Bien que les liens directs avec l’extérieur étaient réduits, elle constate que les autorités ont essayé de mettre en place des solutions alternatives par le biais de visioconférences permettant la pratique du culte, qui ont été refusées par le requérant. Enfin, la Cour EDH relève le caractère temporaire de cette restriction. Partant, elle estime que les autorités ont suffisamment tenu compte de la situation personnelle du requérant et de l’évolution de la crise sanitaire et qu’il n’y a donc pas de violation de l’article 9 de la Convention. 

 
Droits fondamentaux (pension en détention) – non violation

La législation qui prive les détenus du droit de percevoir une pension de retraite pendant leur incarcération ne constitue pas une violation de la Convention (1er août).

Arrêt P.C c. Irlande, requête n°26922/19.

La Cour EDH rappelle que l’application de l’article 14 de la Convention nécessite de démontrer une différence de traitement préjudiciable entre des personnes se trouvant dans une situation analogue ou similaire. En l’espèce, elle constate tout d’abord que la suspension des versements de prestations sociales s’applique à l’ensemble des détenus, en ceux compris les personnes en âge de travailler de sorte qu’il n’y a pas de discrimination fondée sur l’âge. La Cour EDH ajoute ensuite que la différence d’impact de cette mesure sur les détenus ayant une autre source de revenus de ceux qui n’en ont pas, ne concerne pas leur situation personnelle et ne relève donc pas de l’article 14. Enfin, elle juge que l’allégation de discrimination fondée sur la situation de détenu condamné ne peut être fondé en l’absence de situation comparable, les personnes hospitalisées dans des établissements psychiatriques en droit civil ayant un objectif de traitement et non punitif. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 14 de la Convention.

 
Droits fondamentaux (non-respect d’une décision de la CEDH) - violation

Le manquement de la République de Turquie de se conformer à l’arrêt rendu par la Cour EDH ordonnant la libération immédiate d’un défenseur des droits de l’homme constitue une violation de l’article 46 §4 de la Convention (11 juillet)

Arrêt Kavala c. Türkiye (Grande chambre), requête n°28749/18

Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a saisi la Cour EDH pour savoir si la République de Türkiye a manqué à son obligation de se conformer à l’arrêt de chambre rendu le 10 décembre 2019. En l’espèce, la Cour EDH constate que malgré les décisions des juridictions nationales de mise en liberté provisoire et d’un acquittement, le requérant a immédiatement été arrêté, soupçonné d’espionnage et d’avoir commis une tentative de coup d'Etat. Or, elle observe que l’acte d’accusation et les décisions des autorités ne contiennent aucun fait substantiellement nouveau de nature à justifier un nouveau soupçon, les autorités nationales ayant fait uniquement référence aux actes accomplis en toute légalité pour justifier le maintien en détention provisoire. La Cour EDH ajoute qu’une simple requalification des mêmes faits ne permet pas de modifier le fondement de ses conclusions. Ainsi, le but inavoué des autorités était de réduire au silence le requérant en tant que défenseur des droits de l’homme, de sorte que le gouvernement n’a pas agi de bonne foi ou de façon à rendre concrète et effective la protection des droits reconnus par la Convention dont il a été constaté la violation. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 46 §4 de la Convention. 

 
Droits fondamentaux (migration – présomption de minorité) - violation

La violation du droit d’un demandeur d’asile d’être présumé mineur tant que son âge n’a pas été correctement évalué est une violation de la Convention (21 juillet).

Arrêt Darboe et Camara c. Italie, requête n°5797/17

La Cour EDH rappelle que le droit européen et les directives de l’Union européenne reconnaissent l’importance primordiale de l’intérêt supérieur de l’enfant et du principe de présomption de minorité applicable aux mineurs non accompagnés. Ainsi, ils bénéficient de garanties procédurales particulières telles que la désignation d’un tuteur ou d’un représentant légal, l’accès à un avocat et l’obligation de recueillir le consentement pour la procédure d’évaluation de l’âge. Elle ajoute que selon sa jurisprudence, l’afflux croissant de migrants aux frontières ne saurait exonérer les Etats membres du Conseil de l’Europe de leurs obligations. Or en l’espèce, la Cour EDH constate que le requérant n’a pas été informé des suites données à sa requête visant à obtenir un tuteur, le privant ainsi de son droit de demander l’asile. Par ailleurs, il a été interné durant 4 mois dans un centre d’accueil pour adulte qui était surpeuplé, avec un manque de personnel et d’accès aux soins. En outre, elle relève que le requérant n’a pas pu bénéficier d’un droit de recours effectif pour dénoncer ses conditions de vie et les recours liés à la procédure d’évaluation de l’âge ont été inefficaces en pratique. Partant, la Cour EDH conclut à la violation des articles 3, 8 et 13 de la Convention. 

 
Droits fondamentaux (migration) – Déclaration du Conseil des barreaux européens

Le Conseil des Barreaux européens (« CCBE ») a publié une déclaration à la suite de la mort de migrants qui tentaient de passer du Maroc à l’Espagne par Melilla (4 août).

Le CCBE exprime son inquiétude à la suite des rapports alarmants sur la mort d’au moins 23 migrants, de 2 policiers et de nombreux blessés à la frontière entre le Maroc et Melilla. Elle condamne la tendance généralisée au recours à la violence contre les personnes demandant l’asile aux frontières de l’Union européenne et l’instrumentalisation des migrants. Elle réitère que le droit de demander une protection internationale et le principe de non-refoulement sont des droits fondamentaux garanti par la Charte des droits fondamentaux de l’Union, le droit de l’Union, la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. A cet égard, elle rappelle que le respect de ces principes doit être pris en compte lorsque les Etats membres concluent des accords avec des pays tiers dans le domaine de la migration et doit être assuré dans l’application de ces accords.

 
Droits fondamentaux (migration - expulsion) - violation

La décision des tribunaux français d’expulser des ressortissants russes d’origine tchétchène vers la Russie en l’absence d’un examen suffisant des risques encourus constitue une violation de l’article 3 de la Convention (30 août).

Arrêts R et W c. France, requêtes n°49857/20 et n°1348/21

La Cour EDH rappelle qu’un éloignement forcé est contraire à la Convention lorsque le risque pour la personne concernée de subir dans le pays de destination des traitements interdits par l’article 3 est réel et fondé, alors même qu’elle est considérée comme présentant une menace pour la sécurité nationale dans l’Etat contractant. Elle ajoute qu’en vertu de sa jurisprudence, les autorités nationales doivent particulièrement prendre en compte la qualité de réfugié lorsqu’elles examinent le risque allégué en cas d’expulsion. Dans le 1er cas d’espèce, la Cour EDH constate d’une part, que la décision préfectorale ne mentionne pas la conservation de la qualité de réfugié malgré la révocation du statut de réfugié du requérant, et d’autre part, que le tribunal administratif a rejeté le référé suspension de son expulsion sans en indiquer expressément les motifs. Par ailleurs, elle note que l’évaluation approfondie de la situation du requérant dans le cadre des recours en annulation devant le tribunal administratif a été effectué après son expulsion vers la Russie. Pour le 2nd cas d’espèce, la Cour EDH observe que les autorités nationales ont transmis aux autorités russes un document indiquant l’appartenance du requérant à la mouvance islamiste radicale tchétchène et son engagement pour le jihad, de sorte qu’il risque de subir des traitements contraires à la Convention en cas de renvoi vers la Fédération de Russie. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 3 de la Convention. 

 
Droits fondamentaux (migration refus de rapatriement de Syrie) - violation

L’absence d’examen entouré de garanties contre l’arbitraire du refus de rapatrier des nationaux placés en détention avec leurs jeunes enfants dans les camps en Syrie, après la chute de l’Etat islamique dont ils avaient rejoint les rangs est une violation de la Convention (14 septembre).

Arrêt H.F e.a. c. France (Grande chambre), requêtes n°24384/19 et n°44234/20

La Cour EDH rappelle dans un 1er temps que la nationalité des ressortissants d’un Etat n’accorde pas un droit général au rapatriement sur la base de l’article 3 §2 du Protocole n°4 de la Convention. Toutefois, elle précise que des circonstances exceptionnelles propres à établir un lien juridictionnel peuvent faire naître des obligations positives à la charge des Etats. En l’espèce, le fait que des ressortissants français soient retenus dans des camps en Syrie dans lesquels leur intégrité physique peut être mise en péril est un élément extraterritorial constitutif de telles circonstances. Dans un 2nd temps, la Cour EDH juge que la demande d’exercice d’un droit d’entrée sur le territoire par les ressortissants oblige les autorités nationales à mettre en place des garanties procédurales pour son examen. Ainsi, le rejet d’une demande doit faire l’objet d’un contrôle de légalité individualisé par un organe indépendant afin de vérifier si les motifs du refus reposent sur une base factuelle suffisante et raisonnable et si les justifications invoquées sont dépourvues d’arbitraire. Elle ajoute que lorsque la demande concerne des mineurs, le contrôle doit se faire à la lumière de l’intérêt supérieur de l’enfant et de leur vulnérabilité. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 3 §2 du protocole n°4. 

 
Droits fondamentaux (migration – risque encouru par la personne éloignée) - violation

L’absence d’appréciation ex nunc par les autorités françaises du risque encouru par le requérant, soupçonné de faits de terrorisme, d’être exposé à des traitements inhumains et dégradants en cas de mise à exécution d’une mesure d’éloignement, constitue une violation de l’article 3 de la Convention (6 octobre) 

Arrêt S c. France, requête n°18207/21

La Cour EDH rappelle que le risque de mauvais traitements en cas d’éloignement d’un étranger doit émaner d’une situation générale de violence ou d’une caractéristique propre à l’intéressé. En l’espèce, il n’est pas établi que la situation dans la région Nord-Caucase en Fédération de Russie expose systématiquement une personne renvoyée à des traitements inhumains et dégradants. Dès lors, la juridiction de renvoi doit apprécier le risque au regard de la situation personnelle du requérant, qui doit être réel et fondé sur des motifs sérieux et avérés, même lorsque la personne est considérée comme présentant une menace pour la sécurité nationale de l’Etat contractant. Elle précise que les autorités nationales doivent appliquer le principe de l’évaluation ex nunc, en appréciant les informations apparues après l’adoption par les autorités internes de la décision définitive afin de prendre en compte l’évolution de la situation dans le pays de destination. En l’espèce, la Cour EDH considère que la France n’a pas suffisamment évalué tous les éléments qu’elle avait à sa disposition, notamment les notes des renseignements français ou les rapports de la coopération internationale, permettant d’établir que le requérant, d’origine tchétchène, est issu d’une des catégories de personnes particulièrement exposées. Partant, elle conclut à la violation de l’article 3 de la Convention. 

 
Droits fondamentaux (migration – contrôle de légalité d’une mesure de rétention) – question préjudicielle

Lors du contrôle de légalité d’une mesure de rétention prise à l’égard d’un ressortissant étranger, l’autorité judiciaire compétente doit, sur la base des éléments qui lui sont fournis, relever d’office toute méconnaissance d’une condition de légalité qui n’aurait pas été soulevée par la personne concernée (8 novembre)

Arrêt Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Examen d’office de la rétention) (Grande chambre), aff. jointes C-704/20 et C-39/21

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Raad van State et le rechtbank Den Haag, zittingsplaats ’s Hertogenbosch (Pays-Bas), la Cour de justice de l’Union européenne rappelle que le placement en rétention d’un ressortissant d’un pays tiers, dans le cadre d’une procédure de retour à la suite d’un séjour irrégulier, du traitement d’une demande de protection internationale ou du transfert d’un demandeur d’une telle protection vers l’Etat membre en charge de l’examen de la demande, est une ingérence dans son droit à la liberté et à la sûreté consacré par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ainsi, le ressortissant concerné doit être remis en liberté dès lors que les conditions de légalité de la rétention ne sont plus remplies. A cet égard, la Cour précise que le législateur européen a mis en place des normes communes procédurales en matière de rétention des étrangers auxquelles sont tenues les autorités judiciaires compétentes. Celles-ci prévoient notamment que, lors du contrôle de légalité d’une mesure de rétention, l’autorité judiciaire doit prendre en compte tous les éléments portés à sa connaissance mais est tenue également, sur la base de ces éléments, de relever d’office la méconnaissance d’une condition de légalité qui n’aurait pas été soulevée par le ressortissant concerné. 

 
Droits fondamentaux (extradition) – non violation

L’extradition du requérant aux Etats-Unis, en l’absence de preuve d’un risque réel de condamnation à la réclusion à perpétuité sans possibilité d’obtenir une libération conditionnelle, n’est pas contraire à la Convention (3 novembre)

Arrêt Sanchez-Sanchez c. Royaume-Uni (Grande chambre), requête n°22854/20

La Cour EDH rappelle tout d’abord l’arrêt Vinter e.a c. Royaume-Uni (requêtes n°66069/09, 130/10 et 3896/10), par lequel elle a énoncé un certain nombre d’exigences afin de s’assurer qu’une condamnation à perpétuité ne devienne pas une peine incompatible avec la Convention, notamment en prévoyant un réexamen nécessaire aux fins de déterminer si le maintien en détention se justifie. Elle précise toutefois que cette jurisprudence s’appliquait dans un contexte interne et non dans le cadre d’une extradition où le requérant n’a été ni reconnu coupable, ni condamné. La Cour EDH considère dès lors, eu égard à l’appréciation complexe des risques, que les principes tirés de cet arrêt doivent être appliqués avec prudence. Ainsi, elle énonce d’une part, qu’il appartient au requérant de démontrer qu’il existe un risque réel que, s’il était reconnu coupable, il soit condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité d’obtenir une libération conditionnelle. D’autre part, l’Etat requis doit s’assurer, avant d’autoriser l’extradition, qu’il existe dans l’Etat requérant un mécanisme de réexamen des peines permettant aux autorités nationales d’examiner les progrès accomplis par le détenu sur le chemin de l’amendement ou tout autre motif de libération fondé sur son comportement ou sur d’autres circonstances. En l’espèce, la Cour EDH note que le requérant n’a pas démontré que s’il venait à être reconnu coupable aux Etats-Unis, il existait un risque réel qu’il soit condamné à la réclusion à perpétuité. Partant, elle conclut à la non-violation de l’article 3 de la Convention. 

 
Droits fondamentaux (extradition – manque de preuve) – irrecevabilité 

L’extradition de la requérante vers les Etats-Unis n’étant pas susceptible d’emporter un risque réel de réclusion à perpétuité incompressible, la requête est considérée comme irrecevable (3 novembre).

Décision McCallum c. Italie (Grande chambre), requête n°20863/11

La Cour EDH rappelle, dans un 1er temps, au regard de sa jurisprudence, que les notes diplomatiques sont présumées avoir été établies de bonne foi en matière d’extradition pour un Etat requérant ayant une longue tradition de respect de la démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit. En l’espèce, elle considère que la note diplomatique des autorités américaines dans laquelle elles s’engagent à ce que la requérante ne soit pas condamnée à une peine d’emprisonnement à vie avec possibilité de libération conditionnelle est une preuve suffisante pour convaincre l’autorité exécutante, l’Italie, qu’elle ne sera pas exposée à des traitements inhumains et dégradants proscrits par l’article 3 de la Convention. Dans un 2nd temps, la Cour EDH précise que la requérante doit apporter la preuve de l’existence d’un risque réel d’être exposée à une peine inhumaine et dégradante. Or, la requérante n’a pas apporté d’éléments probants qui permettraient de justifier qu’elle serait exposée à une peine irréductible. Partant, la Cour EDH conclut à l’irrecevabilité de la requête.

 
Droits fondamentaux (extradition pour des faits déjà condamnés) – question préjudicielle

Lorsque le ressortissant d’un Etat tiers a été définitivement condamné et a purgé sa peine dans un Etat membre, les autorités d’un autre Etat membre ne peuvent l’extrader vers un autre Etat tiers pour les mêmes faits (28 octobre)

Arrêt Generalstaatsanwaltschaft München, aff. C-435/22 PPU

Saisie d’un renvoi préjudiciel par l’Oberlandesgericht München (Allemagne), la Cour de justice de l’Union européenne interprète la portée du principe ne bis in idem, tel que consacré dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la convention d’application de l’accord de Schengen. Dans un 1er temps, la Cour constate que l’individu, ressortissant serbe, a été définitivement condamné pour les mêmes faits que ceux visés dans la demande d’extradition et a purgé la peine requise en Slovénie. Elle juge donc que les autorités allemandes, qui le détiennent, ne peuvent l’extrader vers les Etats-Unis dans ces conditions. En effet, le principe ne bis in idem prévu dans la convention d’application de l’accord de Schengen s’applique au sein de l’espace Schengen également aux ressortissants d’Etats tiers, sur le fondement des principes de confiance mutuelle et de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale. Dans un 2nd temps, la Cour indique qu’au regard de l’effet direct des dispositions pertinentes de droit de l’Union, les autorités d’un Etat membre doivent laisser inappliquée la disposition du traité bilatéral d’extradition entre les Etats-Unis et l’Allemagne, sur lequel se fonde la demande d’extradition, qui limite l’application du principe ne bis in idem aux condamnations intervenues uniquement dans l’Etat requis.

 
Droits fondamentaux (réévaluation d’une mesure d’instruction après 2 ans et 6 mois) - violation

L’impossibilité de faire réévaluer une décision interdisant de transporter le corps du requérant à l’étranger pendant l’instruction pénale constitue une violation de la Convention (8 novembre)

Arrêt Aygün c. Belgique, requête n°28336/12

Dans un 1er temps, la Cour EDH observe que, s’agissant de la base légale, la décision du juge d’instruction refusant aux requérants le droit de transporter le corps de leurs fils défunts à l’étranger s’inscrivait dans le cadre de la mission légale qui lui était confiée de conduire l’instruction pénale. En outre, elle constate que la mesure litigieuse poursuivait des buts légitimes à savoir, la défense de l’ordre, la prévention des infractions et la protection des droits d’autrui. Dans un 2nd temps, la Cour EDH rappelle qu’une ingérence est considérée comme nécessaire dans une société démocratique si elle répond à un besoin social impérieux et, en particulier, si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent pertinents et suffisants et si elle est proportionnée au but légitime poursuivi. Or en l’espèce, la Cour EDH note que l’impossibilité, pour les requérants, de faire réévaluer la nécessité de la mesure litigieuse décidée au stade initial de l’instruction, laquelle a duré environ 2 ans et 6 mois, a eu pour conséquence que la persistance du caractère nécessaire de l’ingérence dans les droits des requérants n’a pas pu être vérifiée par les juridictions internes. Partant, elle conclut à la violation des articles 8 et 9 de la Convention. 

 
Droits fondamentaux (suivi d’un enfant placé) – violations

Les carences manifestes dans le suivi d’une enfant placée en famille d’accueil, exposée à des abus sexuels et à l’obligation de pratiquer une religion, constituent plusieurs violations de la Convention (3 novembre) 

Arrêt Loste c. France, requête n°59227/12

Dans un 1er temps, la Cour EDH s’intéresse au recours en responsabilité introduit contre le département de Tarn-et-Garonne rejeté sur le fondement de la prescription quadriennale. Elle estime que l’application de cette prescription, telle qu’elle a été effectuée en l’espèce par la juridiction, a privé la requérante du droit à un recours effectif protégé par l’article 13 de la Convention. En effet, n’a pas été prise en compte la date à partir de laquelle l’intéressée avait eu connaissance d’indications suffisantes lui permettant de démontrer la carence alléguée des autorités nationales nécessaires à l’introduction de son recours. Dans un 2ème temps, la Cour EDH admet qu’il y a eu une carence manifeste des autorités nationales dans le suivi régulier du placement de l’enfant. Dès lors, cette défaillance n’a pas permis de la protéger effectivement des mauvais traitements qu’elle subissait et l’ont exposé à des traitements inhumains et dégradants proscrits par l’article 3 de la Convention. Dans un 3ème temps, elle juge enfin que l’aide sociale à l’enfance a été informée des pratiques religieuses de la famille d’accueil et des manquements à leur devoir de neutralité, contraires à l’article 9 de la Convention, mais n’a pris aucune mesure afin de faire respecter ce principe. Partant, la Cour EDH conclut à la violation des articles 3, 9 et 13 de la Convention. 

 
Droits fondamentaux (migration - expulsion) – non-violation

La mesure d’expulsion d’un requérant malgré ses liens familiaux et son droit de séjour permanent ne constitue pas une violation de la Convention lorsqu’elle vise à préserver les intérêts de la collectivité (27 septembre).

Arrêt Otite c. Royaume-Uni, requête n°18339/19

La Cour EDH rappelle que pour déterminer la violation ou non de l’article 8 de la Convention, elle examine si les autorités nationales ont ménagé un juste équilibre entre le droit au respect de la vie privée et familiale du requérant d’une part, et le but de la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales dans l’intérêt général, d’autre part. En l’espèce, elle observe que l’infraction de fraude qui s’est prolongée sur une période de 4 ans a touché un grand nombre de victimes et a porté sur des sommes importantes. Le requérant dispose en outre d’attaches familiales, sociales, culturelles et linguistiques dans le pays vers lequel il serait expulsé. Par ailleurs, la Cour EDH considère que son expulsion n’aurait pas d’effets excessivement sévères sur son épouse et ses enfants, tous citoyens britanniques. Elle considère ainsi que la solidité de la vie privée et familiale du requérant au Royaume-Uni ne l’emporte pas sur l’intérêt général à ce qu’il soit expulsé et conclut à la non-violation de l’article 8 de la Convention.

 
Droits fondamentaux (migration – expulsion, délai dû la pandémie) – non-violation

Le délai de transfert d’un demandeur d’asile prévu par le règlement (UE) 604/2013 dit « Dublin III » n’est pas interrompu par une décision de suspension de l'exécution de ce transfert qui a pour motif l’impossibilité matérielle de l’exécution en raison de la pandémie de COVID-19 (22 septembre)

Arrêt Bundesrepublik Deutschland, aff jointes C-245/21 et C-248/21

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne), la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur un potentiel effet suspensif du délai de transfert d’un demandeur d’asile par une décision de suspension de l'exécution du transfert. La Cour considère que ledit règlement ne peut s’interpréter comme autorisant les autorités compétentes à suspendre l’exécution d’une décision de transfert pour un motif n’ayant pas de lien direct avec la protection juridictionnelle de la personne concernée, au risque de priver de toute effectivité ce délai de transfert. Une telle suspension ne peut être ordonnée que si les circonstances de l’espèce rendent nécessaire le maintien de la personne concernée sur le territoire de cet Etat membre aux fins d’assurer sa protection juridictionnelle effective. Or, la Cour considère que ce n’est pas le cas d’une décision de suspension de l’exécution du transfert pour cause d’impossibilité matérielle, dans la mesure où cette décision est en l’espèce révocable et que le législateur européen n’a en tout état de cause pas entendu inclure l’impossibilité matérielle de procéder au transfert du demandeur comme cause de suspension du délai de transfert. 

 
Droits fondamentaux (migration – refus de regroupement familial) – non violation

La suspension temporaire du regroupement familial pour les personnes bénéficiant de la protection subsidiaire, afin de protéger le bien-être économique du pays, est conforme à aux articles 8 et 14 de la Convention (20 octobre)

Arrêt M.T. et autres c. Suède, requête n°22105/18

La Cour EDH rappelle dans un 1er temps, à la lumière de sa jurisprudence antérieure, que le refus d’octroi du droit au regroupement familial à un couple marié, en raison d’un délai d’attente de 3 ans applicable aux personnes ayant obtenu une protection temporaire, constitue une violation de l’article 8 de la Convention relatif au droit au respect de la vie privée et familiale. Or, en l’espèce, elle observe que la législation suédoise prévoit un délai de 2 ans. Dans un 2ème temps, la Cour EDH procède à une mise en balance entre les besoins des requérants et ceux du Gouvernement. En effet, la Suède justifie ce délai de suspension des regroupements familiaux au motif que l’accueil des demandeurs d’asile mettrait le fonctionnement de l’Etat en péril. La Cour EDH observe cependant qu’il n’existe pas d’éléments de dépendance entre les requérants et le bénéficiaire de la protection temporaire permettant de justifier un besoin de regroupement. Elle estime dès lors que les autorités ont ménagé un juste équilibre entre l’intérêt des requérants à être réunis et la protection du bien-être économique du pays. Dans un 3ème temps, la Cour EDH précise que la différence de traitement entre un bénéficiaire d’une protection temporaire et celle d’un réfugié demandant un regroupement familial peut être justifiée par la nécessité de contrôler l’immigration et de protéger le bien-être économique du pays. Partant, elle conclut à la non-violation de des articles 8 et 14 de la Convention. 

 
Droits fondamentaux (interdiction de séjour en Syrie) – non violation

La condamnation pour violation de l’interdiction d’entrer et de séjourner dans une zone de conflit donnée en Syrie, qui avait été levée lorsque l’affaire fut tranchée à la suite d’un changement de situation dans cette zone, n’est pas une violation de la Convention (18 octobre)

Arrêt Mørck Jensen c. Danemark, requête n°60785/19

Dans un 1er temps, la Cour EDH observe que la condamnation du requérant était prévue par la loi. Elle ajoute que la loi applicable était celle en vigueur au moment de la commission de l’infraction, de sorte que l’abrogation ultérieure des dispositions litigieuses est sans impact sur la poursuite et la condamnation du requérant. Dans un 2nd temps, la Cour EDH observe que les restrictions à la liberté de voyager étaient justifiées par la protection de l’intérêt général. En effet, elles s’appliquaient uniquement à des secteurs touchés par des activités terroristes, afin d’éviter que toute personne ayant des liens avec le Danemark ne prenne part au conflit. La Cour EDH considère dès lors que les juridictions nationales ont mis en balance les droits du requérant et les besoins de l’ensemble de la société. Partant, elle conclut à la non-violation des articles 7 de la Convention et 2 du Protocole n°4 à la Convention. 

 
Droits fondamentaux (observateur électoral) – violation

Le manquement des autorités nationales à l’obligation de justifier par des motifs pertinents et suffisants la décision d’expulser un observateur électoral d’un bureau de vote constitue une violation de la Convention (13 septembre).

Arrêt Timur Sharipov c. Russie, requête n°15758/13

La Cour EDH rappelle l’importance du rôle du requérant en tant qu’observateur électoral dans le renforcement du processus électoral démocratique et pour la protection des droits de l’homme. Elle considère que le requérant a exercé sa liberté d'expression en tant que chien de garde public dans une société démocratique et que la protection de l'article 10 s'applique donc à son activité, qui revêt une importance similaire à celle de la presse. En l’espèce, la Cour EDH constate que l’observateur électoral a été expulsé du bureau de vote pour avoir filmé le dépouillement. Elle observe toutefois que les autorités nationales n’ont pas indiqué les circonstances précises et suffisamment graves qui permettaient de justifier son éloignement ou si une simple interdiction de filmer le dépouillement pouvait être suffisant. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 10 de la Convention.

 
Droits fondamentaux (liberté d’expression) – violation

L’absence de raisons suffisantes propres à justifier une condamnation pour avoir offensé les sentiments religieux d’autrui par des propos insultants sur la Bible constitue une violation de l’article 10 de la Convention (15 septembre).

Arrêt Rabczewka c. Pologne, requête n°8257/13

La Cour EDH rappelle que les juridictions nationales doivent ménager un juste équilibre entre d’une part, la liberté d’expression et, d’autre part, le droit des personnes à voir leurs sentiments religieux protégés et la paix religieuse dans la société préservée. En l’espèce, la Cour EDH observe que les propos formulés lors d’une interview par une chanteuse célèbre en Pologne, déclarant que les auteurs de la Bible avaient écrit le texte sous l’influence de l’alcool et de stupéfiants, étaient de nature à choquer certaines personnes. Toutefois, elle considère que ces déclarations n’étaient pas de nature à inciter à la violence, la haine ou l’intolérance. Or, les juridictions nationales n’ont pas apprécié le contexte général dans lequel se trouvait la requérante qui répondait uniquement à des questions concernant sa vie privée et non pas à un débat sur des questions religieuses. La Cour EDH estime dès lors que les juridictions nationales n’ont pas justifié par des motifs suffisants, ni leur décision de déclarer la requérante coupable des faits, ni l’ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression. Partant, elle conclut à la violation de l’article 10 de la Convention. 

 
Droits fondamentaux (liberté d’expression) – violation

La peine d’emprisonnement avec sursis infligée à une militante Femen ayant manifesté, poitrine dénudée, dans une église pour défendre le droit à l’avortement constitue une violation de l’article 10 de la Convention (13 octobre.

Arrêt Bouton c. France, requête n°22636/19

La Cour EDH rappelle tout d’abord que l’article 10 de la Convention concernant la liberté d’expression ne peut être compatible avec une peine de prison infligée dans le cadre d’un débat politique que dans des circonstances exceptionnelles, à savoir la diffusion d’un discours de haine ou d’incitation à la violence. En l’espèce, elle observe que la requérante a été sanctionnée pénalement pour un délit d’exhibition sexuelle dans une église alors qu’elle manifestait pour dénoncer la position de l’Eglise catholique sur l’avortement, ce qui ne constitue pas un comportement injurieux ou haineux. Ensuite, la Cour EDH estime que les circonstances du lieu et les symboles doivent être des éléments à prendre en compte lors de l’incrimination. Toutefois, la juridiction française a uniquement pris en compte l’exposition nue de la poitrine de la requérante dans une église, sans examiner les explications de cette dernière sur le sens et la portée de son acte. Elle relève que la mise en balance des intérêts entre ceux de l’Eglise et les valeurs défendues par la requérante militante n’a pas été faite de manière adéquate. Ainsi, la Cour EDH estime que la peine infligée, compte tenu de sa lourdeur et de sa gravité, n’est pas proportionnée aux buts légitimes poursuivis en violation de l’article 10 de la Convention. 

 
Droits fondamentaux (expression religieuse) – question préjudicielle

Une règle interne d’une entreprise interdisant aux travailleurs de manifester de manière vestimentaire leurs convictions religieuses, philosophiques ou spirituelles ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion, mais peut constituer une discrimination indirecte, si elle n’est pas objectivement justifiée (13 octobre).

Arrêt S.C.R.L. (Vêtement à connotation religieuse), aff. C-344/20

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le tribunal du travail francophone de Bruxelles (Belgique), la Cour de justice de l’Union européenne indique, dans un 1er temps, que les termes de « religion » et de « convictions », prévus à l’article 1er de la directive 2000/78/CE, constituent un motif unique de discrimination couvrant à la fois les convictions religieuses, philosophiques ou spirituelles. Ainsi, une règle interne d’une entreprise privée qui interdit le port de tout signe visible de telles convictions sur le lieu de travail ne constitue pas une discrimination directe si cette règle est appliquée de manière générale et indifférenciée. Dans un 2nd temps, la Cour relève toutefois qu’une telle règle peut constituer une discrimination indirecte fondée sur la religion si elle n’est pas objectivement justifiée par un objectif légitime et si les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. A cet égard, elle considère que la simple volonté de l’employeur de mener une politique de neutralité n’est pas un objectif légitime suffisant. L’employeur doit ainsi démontrer l’existence d’un besoin véritable de mener cette politique de neutralité philosophique et religieuse. 

 
Droits fondamentaux (euthanasie – Belgique) - non violation et violation

Le manque d’indépendance de la Commission fédérale de contrôle et la durée excessive de l’enquête pénale constituent des défaillances dans le contrôle a posteriori de l’euthanasie en violation de l’article 2 de la Convention (4 octobre).

Arrêt Mortier c. Belgique, requête n°78017/17

La Cour EDH rappelle que l’affaire ne concerne pas le droit à l’euthanasie mais la compatibilité des articles 2 et 8 de la Convention, relatifs respectivement au droit à la vie et au respect de la vie privée et familiale, avec l’euthanasie pratiquée en l’espèce. Tout d’abord, elle s’intéresse au cadre législatif relatif aux actes préalables à l’euthanasie, en estimant que la loi a été contrôlée par des instances supérieures et protège suffisamment le droit à la vie. Ensuite, la Cour EDH constate, qu’en l’espèce, l’acte d’euthanasie a été pratiqué de manière conforme au cadre légal et donc dans le respect de l’article 2 de la Convention. Toutefois, elle relève des défaillances dans le contrôle a posteriori de celle-ci. D’une part, la composition des membres de la Commission fédérale de contrôle ne permettait pas d’assurer un contrôle indépendant, et d’autre part, la durée excessive de l’enquête pénale réalisée par le parquet n’a pas satisfait à l’exigence de promptitude. Enfin, la Cour EDH juge que les médecins ont agi dans le respect de l’article 8 et des règles déontologiques afin que la patiente informe ses enfants de sa demande d’euthanasie. Partant, la Cour EDH conclut à la non-violation de l’article 8, ainsi que de l’article 2 à raison des actes préalables à l’euthanasie et à la violation de ce même article à raison du contrôle a posteriori.

 
Droits fondamentaux (absence de protection des femmes intellectuellement déficientes) – violation 

Le défaut de protection de femmes intellectuellement déficientes internées dans les établissements psychiatriques et l’absence d’enquête effective à la suite d’atteintes graves à leur intégrité physique constituent une violation de l’article 3 de la Convention (22 novembre)

Arrêt G.M e.a c. République de Moldavie, requête n°44394/15

La Cour EDH rappelle que l’article 3 de la Convention impose plusieurs obligations positives aux Etats membres, à savoir l'obligation de mettre en place un cadre législatif de protection, de prendre des mesures spécifiques afin de protéger des personnes vulnérables contre un risque de traitement contraire à cette disposition, ainsi que l'obligation de mener une enquête effective sur les allégations d'infliction d'un tel traitement. En l’espèce, elle observe que des avortements non consentis et une contraception forcée ont été infligés à 3 femmes handicapées mentales, résidentes d'un asile neuropsychiatrique, après avoir été violées à plusieurs reprises par l'un des médecins-chefs de cet hôpital. La Cour EDH considère que la législation nationale ne leur avait pas assuré une protection efficace et que l'enquête n'avait pas tenu compte de leur vulnérabilité en tant que femmes handicapées mentales exposées à des abus sexuels dans un contexte institutionnel. Partant, elle conclut à la violation de l’article 3 de la Convention tant dans son volet matériel que procédural. 

 
Droit de la circulation routière (refus de suspension du permis pour une infraction commise dans un autre Etat) – question préjudicielle

Un Etat membre peut refuser de reconnaitre et d'exécuter une décision de suspension du droit de conduire à l’égard d’un de ses résidents en raison d’une infraction routière commise sur le territoire d’un autre Etat membre où le permis de conduire a été initialement délivré puis remis contre l’obtention d’un permis de l’Etat membre de résidence (6 octobre).

Arrêt HV (Suspension du droit de conduire), aff. C-266/21

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Sofiyski gradski sad (Bulgarie), la Cour de justice de l’Union européenne indique, dans un 1er temps, que la situation de l’espèce ne relève pas de l’article 11 §2 de la directive 2006/126/CE relative au permis de conduire, dès lors qu’un individu qui a échangé son permis de conduire obtenu dans un 1er Etat membre par un permis de conduire délivré par son Etat membre de résidence normale, ne relève plus de la catégorie de « titulaire du permis de conduire délivré par un autre Etat membre » visé par cette disposition. Dans un 2nd temps, la Cour précise la portée de l’article 11 §4 de la directive au regard du principe de territorialité des lois pénales et de police. Elle considère que cette disposition n’implique pas que l’Etat membre de résidence normale du titulaire du permis doive reconnaitre et exécuter la décision de suspension du droit de conduire prononcée sur le territoire d’un autre Etat membre. En effet, la Cour rappelle que l’Etat membre qui adopte une suspension du droit de conduire ne peut l’appliquer uniquement sur son territoire, même si le destinataire de cette suspension a sa résidence principale dans un autre Etat membre. 

 
Economie et finances (indemnisation par une banque centrale) – non violation

Une législation nationale qui oblige une banque centrale nationale à être responsable de l’indemnisation de titulaires d’instruments financiers, qu'elle a elle-même supprimés dans le cadre d'un processus de résolution bancaire, n’est pas en principe contraire au droit de l’Union européenne (13 septembre)

Arrêt Banka Slovenije (Grande chambre), aff. C-45/21.

Saisie d’un renvoi préjudiciel par l’Ustavno sodišče (Slovénie), la Cour de justice de l’Union européenne apporte des précisions sur les limites de la responsabilité d’une banque centrale nationale en cas de résolution bancaire. Dans un 1er temps, elle considère que cette législation n’est pas contraire au principe d’interdiction de financement monétaire des Etats. Cependant, il faut que cette banque centrale ait agi en méconnaissance grave de son obligation de diligence et que les anciens titulaires d’instruments financiers soient des personnes physiques ayant un revenu annuel inférieur à un seuil défini, n’utilisant pas d’autres voies de droit pour obtenir l’indemnisation des dommages subis. Dans un 2nd temps, la Cour considère qu’en vertu du principe d’indépendance financière des banques centrales, les créances mises à sa charge en cas de dommages ne doivent pas affecter sa capacité à remplir efficacement ses missions et doivent être financées soit par des réserves spéciales de l’ensemble des bénéfices, soit par des prélèvements sur les réserves générales ou par un emprunt assorti d’intérêts auprès de l’Etat membre concerné. Enfin, elle constate que les obligations de secret professionnel et de confidentialité s’imposent aux autorités nationales qui contrôlent les établissements de crédits. 

 
Environnement (pouvoir d’une association agréée de contester en justice) – question préjudicielle

Une association de protection de l’environnement agréée doit pouvoir contester en justice une décision administrative accordant une réception CE par type susceptible d’être contraire à l’interdiction de l’utilisation de dispositifs d’invalidation sur les véhicules (8 novembre)

Arrêt Deutsche Umwelthilfe (Grande chambre), aff. C-873/19

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Schleswig-Holsteinisches Verwaltungsgericht (Allemagne), la Grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne interprète les dispositions de la Convention d’Aarhus et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que celles du règlement (CE) n°715/2007. Dans un 1er temps, la Cour indique que les dispositions de la Convention d’Aarhus relative notamment à l’accès à la justice en matière d’environnement, lues à la lumière de la Charte, imposent aux Etats membres d’assurer une protection juridictionnelle effective et ne leur permettent pas de priver une association agréée de protection de l’environnement de toute possibilité de faire contrôler le respect des normes environnementales européennes. Une telle association doit donc pouvoir contester une décision de réception CE par type qui pourrait être contraire à l’interdiction de l’utilisation de dispositifs d’invalidation, qui déjouent les systèmes de contrôle d’émissions. Elle rappelle dans un 2nd temps les conditions selon lesquelles un dispositif d’invalidation, interdit en principe selon le règlement (CE) n°715/2007, peut être exceptionnellement justifié, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. 

 
Fiscalité (TVA) – question préjudicielle

Le refus par une administration fiscale nationale du droit à déduction de la TVA pour un assujetti ayant acquis un bien immeuble dans le cadre d’une procédure de vente forcée est contraire à la directive TVA dès lors qu’aucune faute ou abus de droit n’est caractérisé (15 septembre)

Arrêt HA.EN., aff. C-227/21.

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Lituanie), la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les interactions entre le principe de neutralité fiscale et le droit à déduction de la TVA, tels que consacrés par la directive 2006/112/CE relative au système commun de TVA. La Cour rappelle en effet que si le droit à déduction est prévu par la directive et s’il fait partie intégrante du mécanisme de la TVA, ce sans limitation en principe, il reste qu’il constitue une exception à l’application du principe de la neutralité fiscale. Aussi, il peut être écarté s’il est établi, au vu d’éléments objectifs que ce droit est invoqué frauduleusement ou abusivement. La Cour ajoute qu’il incombe à l’administration fiscale de démontrer que ces conditions sont réunies. Or, elle estime que la déduction de la TVA sur une créance envers un assujetti alors que le créancier disposait d’une hypothèque sur un bien de cet assujetti ne constitue pas un montage purement artificiel effectué à la seule fin d’obtenir un avantage fiscal. 

 
Fiscalité (TVA) – question préjudicielle

Les services financiers fournis au titre d’un contrat de sous-participation sont exonérés de la TVA (6 octobre).

Arrêt O. Fundusz Inwestycyjny Zamknięty reprezentowany przez O, aff. C-250/21

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Naczelny Sąd Administracyjny (Pologne), la Cour de justice de l’Union européenne a interprété l’article 135 §1, sous b, de la directive 2006/112/CE dite « directive TVA ». Dans un 1er temps, la Cour indique que les contrats de sous-participation entrent bien dans le champ de la directive puisqu’ils concernent des services fournis à titre onéreux. Elle précise à ce titre que le fait que la rémunération a lieu sous forme de contre-prestations réciproques importe peu, la forme de la rémunération étant sans incidence sur le caractère onéreux. Dans un 2nd temps, la Cour estime que ces contrats relèvent de la notion « d’octroi de crédit » de l’article 135 de la directive TVA. En effet, le contrat de sous-participation couvre une seule prestation de versement d’un capital en échange d’une rémunération. Ainsi, le contrat peut donc bénéficier de l’exonération, ce d’autant que le sous-participant supporte bien, comme pour toute opération de crédit, le risque de crédit. 

 
Fiscalité (effet rétroactif d’une législation prévisible - Belgique) – non violation

Une dette fiscale éteinte par l’effet rétroactif d’une jurisprudence, puis rétablie en cours de litige par une nouvelle législation rétroactive mais prévisible n’est pas une violation de la Convention (3 novembre) 

Arrêt Vegotex International S.A c. Belgique (Grande Chambre), requête n°49812/09

La Cour EDH considère tout d’abord que l’intervention du législateur au cours de la procédure visait à lutter contre la grande fraude fiscale, à éviter une discrimination arbitraire entre les contribuables et à neutraliser un arrêt de la Cour de cassation pour restaurer la sécurité juridique en rétablissant la jurisprudence majoritaire des juridictions inférieures suivie jusqu’alors. Ainsi, la nouvelle loi étant justifiée par d’impérieux motifs d’intérêt général, elle conclut à la non-violation du droit à un procès équitable. La Cour EDH observe ensuite que le requérant n’a pas été privé du droit d’accès à un tribunal, sa cause ayant été entendue par la Cour de cassation. Elle précise que l’éventuelle limitation qu’a constitué la substitution de motifs poursuivait un but légitime, à savoir la bonne administration de la justice, concluant ainsi à la non-violation de l’article 6 §1 sur ce point. Enfin, la Cour EDH juge toutefois que la procédure ayant duré plus de 13 ans et 6 mois, l’Etat est responsable d’une violation du droit à un procès équitable dans un délai raisonnable. 

 
Mesures restrictives (Russie) – Rejet

Le Tribunal de l’Union européenne rejette le recours de la filiale d’une chaîne de télévision russe visant à faire annuler les mesures restrictives du Conseil qui interdisent temporairement la diffusion de ses contenus (22 juillet)

Arrêt RT France c. Conseil de l’Union européenne, aff. T-125/22

 Saisie par un recours en annulation contre la décision du Conseil, le Tribunal a estimé que la mesure constitue une réaction à la menace grave contre la paix aux frontières de l’Union. La compétence de l’autorité française de régulation de la communication n’entrave pas le pouvoir du Conseil de prendre des mesures restrictives à l’échelle européenne.  Le Tribunal ajoute qu’en raison du contexte, les autorités de l’Union n’étaient pas tenues d’auditionner au préalable la requérante avant de prendre la décision et que les motivations de la décision sont compréhensibles et suffisamment précises. Le Tribunal considère qu’il n’y a pas de violation du principe de non-discrimination puisque la chaine n’a pas identifié d’autre catégories de personnes qui auraient été soumises à un traitement plus favorable alors qu’elles se trouvaient dans une catégorie comparable à la sienne.  

 
Protection des données à caractère personnel (collecte des données) - violation

La collecte et la conservation, par l’Etablissement français du sang, de données personnelles relatives à l’orientation sexuelle supposées de candidats au don du sang constitue une violation de l’article 8 de la Convention (8 août).

Arrêt Drelon c. France, requêtes n°3153/16 et n°27758/18

La Cour EDH indique que la collecte et la conservation des données relatives aux résultats des procédures de sélection des candidats contribuent à garantir la sécurité transfusionnelle et qu’elles reposaient ainsi sur des motifs pertinents et suffisants. Elle ajoute toutefois qu’il est nécessaire que les données soient exactes, mises à jour, adéquates, pertinentes et non-excessives par rapport aux finalités poursuivies. En l’espèce, la Cour EDH constate qu’en refusant de répondre aux questions relatives à sa sexualité, le traitement des données du requérant a été renseigné par la contre-indication au don propre aux hommes ayant eu un rapport sexuel avec un homme, sans que cela ne repose sur une base factuelle avérée. En outre, elle constate que les autorités nationales ne démontrent pas que la durée de conservation des données était encadrée à l’époque des faits. Or, la durée excessive de conservation des données a rendu possible leur utilisation répétée à l’encontre du requérant, entraînant son exclusion automatique du don de sang. Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 8 de la Convention. 

 
Protection des données à caractère personnel (durée de conservation des données) – question préjudicielle

Le droit de l’Union européenne ne permet pas la conservation généralisée et indifférenciée, à titre préventif, des données de trafic collectées par un opérateur de services de communications électroniques pendant un an à compter de leur enregistrement, aux fins de la lutte contre les infractions d’abus de marché (20 septembre).

Arrêts VD et SR (Grande chambre), aff. jointes C-339/20 et C-397/20.

Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour de cassation (France), la Cour de justice de l’Union européenne se prononce à nouveau sur la collecte et la conservation de données de connexion par les autorités d’un Etat membre, cette fois dans le contexte de la lutte contre les infractions d’abus de marché et notamment des opérations d’initiés. Dans un 1er temps, elle constate que ni la directive 2003/6/CE ni le règlement (UE) 596/2014 sur les abus de marché n’obligent de manière générale les opérateurs de services de communications électroniques à conserver des enregistrements de données de trafic. Dans un 2nd temps, la Cour rappelle que l’enregistrement de ces données, que les autorités compétentes en matière financière peuvent se faire remettre par les opérateurs, est régi par la directive 2002/58/CE (dite « vie privée et communications électroniques »), qui constitue l’acte de référence en matière de conservation et de traitement de données personnelles dans le secteur des communications électroniques. La Cour juge enfin que l’ensemble de ces textes, lus à la lumière de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ne permet pas la conservation de données de trafic de manière généralisée et indifférenciée par les opérateurs, aux fins spécifiquement de la lutte contre les infractions d’abus de marché. 

 
Protection des données à caractère personnel (durée de conservation des données) - violation

Dans la lignée de la jurisprudence antérieure, une règlementation nationale imposant à un fournisseur de services de communication électronique une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic de données et des données de localisation est contraire au droit de l’Union européenne (20 septembre).

Arrêts SpaceNet et Telekom Deutschland (Grande chambre), aff. jointes C-793/19 et C-794/19.

Saisie de renvois préjudiciels par le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne), la Cour de justice de l’Union européenne confirme sa jurisprudence antérieure relative à la conservation généralisée et indifférenciée des données de trafic et de localisation. Néanmoins, elle ajoute qu’elle ne s’oppose pas à une législation permettant une telle conservation, en cas de menace grave pour la sécurité nationale, ou à une telle conservation des adresses IP ou des données.

 
Protection des données à caractère personnel (respect des finalités de traitement) – question préjudicielle

L’enregistrement et la conservation de données à caractère personnel, préalablement collectées pour une base de données, dans une autre base de données visant à procéder à des tests et à corriger des erreurs est conforme au règlement (UE) 2016/679 (dit « RGPD ») si ce traitement ultérieur est compatible avec les finalités spécifiques pour lesquelles les données ont été collectées (20 octobre)

Arrêt Digi, aff. C-77/21 Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Fővárosi Törvényszék (Hongrie), 

La Cour de justice de l’Union européenne rappelle que l’article 5 §1 du RGPD impose au responsable du traitement des données à caractère personnel, le respect de principes relatifs à ces traitements. En 1er lieu, la Cour revient sur le principe de « limitation des finalités » qui exige que les données soient, d’une part, collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et, d’autre part, ne soit pas traitées ultérieurement d’une manière incompatible avec ces finalités. S’agissant du second point, elle précise qu’il doit exister un lien concret, logique et suffisamment étroit entre les finalités de la collecte initiale des données et le traitement ultérieur de ces dernières. Dans ces conditions, le traitement ultérieur ne s’écarte pas des attentes légitimes des abonnés quant à l’utilisation de leurs données. En l’espèce, la Cour considère que l’enregistrement et la conservation de données préalablement collectées et conservées dans une autre base de données, dans une base de données créée aux fins de procéder à des tests et corriger des erreurs, n’est pas contraire audit principe, du moment que ce traitement ultérieur est compatible avec les finalités spécifiques pour lesquelles les données ont été initialement collectées. En 2nd lieu, s’agissant du principe de « limitation de la conservation », les données ne doivent être conservées dans cette base de données que pour la durée nécessaire à la réalisation de ces tests et à la correction de ces erreurs. 

 
Protection des données à caractère personnel (demande d’effacement - Belgique) – question préjudicielle

Conformément au règlement (UE) 2016/679 (dit « RGPD »), un responsable du traitement des données à caractère personnel doit prendre toutes les mesures nécessaires visant à informer les moteurs de recherche d’une demande d’effacement de données par une personne (27 octobre)

Arrêt Proximus (Annuaires électroniques publics), aff. C-129/21

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Hof van beroep te Brussel (Belgique), la Cour de justice de l’Union européenne estime que les données à caractère personnel d’un abonné ne peuvent être publiées dans un annuaire public qu’avec le consentement éclairé de celui-ci. Cela concerne également le traitement ultérieur desdites données par des entreprises tierces actives sur le marché des services de renseignements téléphoniques accessibles au public et d’annuaires, si de tels traitements poursuivent la même finalité. Elle explique que ce consentement nécessite une manifestation de volonté libre, spécifique, éclairée et univoque devant se manifester sous la forme d’une déclaration ou d’un acte positif clair au traitement de ses données. Cependant, la Cour précise que les abonnés doivent pouvoir également faire supprimer leurs données personnelles. Dans ce cas de figure, le responsable de traitement doit mettre en œuvre toutes les mesures appropriées visant à informer les moteurs de recherche auxquels les données ont été fournies, du retrait du consentement de l’abonné afin que les données personnelles soient effacées.

 
Protection des données à caractère personnel (législation prévoyant une conservation généralisée) - question préjudicielle

Une législation nationale prévoyant, à titre préventif, une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation afin de lutter contre la criminalité grave est contraire au droit de l’Union européenne (17 novembre)

Arrêt Spetsializirana prokuratura (Conservation des données relatives au trafic et à la localisation), aff. C-350/21

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Spetsializiran nakazatelen sad (Bulgarie), la Cour de justice de l’Union européenne relève que la conservation de données relatives au trafic et des données de localisation, susceptibles de fournir des informations sur les communications effectuées par un utilisateur d’un moyen de communication électronique ou sur la localisation de ses équipements terminaux, a un caractère grave. Elle précise que la conservation d’une quantité même limitée de ces données ou sur une courte période peut fournir des informations très précises sur la vie privée de l’utilisateur. Ainsi, la Cour rappelle que le droit de l’Union s’oppose à une législation nationale prévoyant une telle conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation afin de lutter contre la criminalité grave, même si elle prévoit un certain nombre de garanties en matière de conservation et d’accès aux données en cause. Elle ajoute que la législation nationale doit prévoir de manière claire et précise que l’accès aux données conservées est limité à ce qui est strictement nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi par la conservation. De plus, si les autorités nationales compétentes en matière d’enquêtes pénales peuvent avoir accès à ces données, ce n’est qu’à condition que les personnes dont les données ont fait l’objet d’un accès par ces autorités en soient informées et qu’elles disposent d’une voie de recours à l’encontre d’un accès illégal à ces données.  

 
Protection des données à caractère personnel (accès du public au registre des bénéficiaires de sociétés) – question préjudicielle (invalidation de la disposition)

La Grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne déclare invalide la disposition de la directive (UE) 2015/849 (dite « antiblanchiment ») prévoyant l’accès du public au registre des bénéficiaires effectifs des sociétés, en ce qu’elle porte une atteinte grave au droit au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel (22 novembre)

Arrêts Luxembourg Business Registers et Sovim (Grande chambre), aff. jointes C-37/20 et C-601/20

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg (Luxembourg), la Cour, réunie en grande chambre, est amenée à juger de la validité de certaines dispositions de la directive antiblanchiment au regard des droits protégés par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Dans un 1er temps, la Cour considère que l’ingérence, même grave, portée aux droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel par la disposition en cause, peut être justifiée par l’objectif d’intérêt général de prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme poursuivi par le législateur européen. Dans un 2nd temps, elle constate cependant que cette ingérence n’est ni proportionnée ni limitée à ce qui est nécessaire à l’accomplissement de cet objectif. En effet, la Cour observe que les données pour lesquelles l’accès du public est permis ne sont pas suffisamment définies et que le régime mis en place par la directive va considérablement plus loin que celui résultant du régime antérieur, sans que cette aggravation ne soit justifiée par des bénéfices éventuels. Elle ajoute encore que les dérogations, facultatives, à l’accès du grand public à ces informations, prévues par la directive, ne sont pas de nature à garantir la protection des droits fondamentaux en cause.
 

A propos de l'auteur

Stéphane
Boonen
Administrateur

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