Dans le logiciel 2022, le harcèlement n’est plus acceptable

A l’automne 2016, à l’initiative du Carrefour des Stagiaires de Bruxelles et de son délégué Louis Godart, AVOCATS.BE créait un groupe de travail destiné à lutter contre le harcèlement au sein de notre profession.

L’objectif consistait à mener des actions pour sensibiliser les avocats au harcèlement et à améliorer l’accueil, l’écoute et le suivi des victimes et à rechercher des solutions à ce fléau.

Trois ans plus tard entrait en vigueur une charte adoptée à l’unanimité par les bâtonniers.

C’est ainsi que sont nées, d’une part, la cellule d’écoute composée de professionnels et de psychologues mis à la disposition des victimes par les barreaux et, d’autre part, la cellule d’avocats contre le harcèlement (CACH) ayant pour mission de poursuivre la réflexion sur toutes les questions liées au harcèlement au sein de notre profession.

Ces cellules sont plus des lieux d’écoute et de veille pour faciliter la libération de la parole des victimes que des lieux de signalement. Ce ne sont pas des antichambres obligées des autorités ordinales.

Dans chaque barreau, il y a également des avocats accompagnants volontaires, spécialement formés. Ils sont mis à la disposition des victimes pour les accompagner et les aider à passer l’épreuve.

Dans le logiciel 2022, le harcèlement n’est plus acceptable.

Quand il est avéré, le harcèlement crée en effet de véritables traumatismes.

Plusieurs barreaux comme ceux de Bruxelles et de Liège-Huy ont également pris des initiatives positives qui poursuivent des objectifs similaires et qu’il faut saluer.

A Bruxelles par exemple, une commission à l’objet plus large « bien-être et prévention » a été créée au sein du service social. Sa mission consiste à écouter, conseiller, orienter, soutenir et accompagner l’avocat qui le souhaite. Cette cellule est composée du responsable du service social et d’avocats accompagnants volontaires qui assistent l’avocat en difficulté et qui peuvent lui proposer des aides, des thérapeutes ou des coach en toute confidentialité.

Le harcèlement était un sujet individuel. Il est devenu un sujet véritablement collectif. Les harceleurs doivent savoir qu’il existe des contre-pouvoirs à toute forme de domination non désirée.

Par son action, la CACH a voulu que la victime humiliée ne subisse pas une double peine en n’étant pas écoutée dans sa souffrance.

En trois ans, la CACH a pris plusieurs initiatives. Elle a créé un site internet autonome « cach-info.be » qui contient toute une série de conseils et de réponses aux questions que se posent les victimes, mais aussi, les témoins d’actes de harcèlement. Nous avons mis une adresse mail « ecoute@avocats.be » et un numéro de gsm « 0471/71.34.34 » spécialement destinés aux victimes. Ces dernières peuvent y trouver un interlocuteur professionnel de la question et avec lequel elles peuvent s’entretenir en toute confidentialité.

Nous avons créé une page Facebook « avocat, osez parler de harcèlement ». Nous avons lancé une campagne d’affichage et diffusé des post sur les réseaux sociaux « Même chez les avocats, le harcèlement est toujours un délit », « En matière de harcèlement, le silence tue », « Ne minimisez pas les actes de vos confrères, osez en parler ». Cette campagne visait trois comportements identifiés comme problématiques : gestes inconvenants, harcèlement au travail et propos dénigrants.

Plusieurs groupes de travail ont été constitués et ont abouti à plusieurs propositions et initiatives : informations données dans le cadre des cours capa, vade-mecum des stagiaires, formation des bâtonniers et des avocats accompagnants, élaboration de chartes types destinées aux cabinets d’avocats, …

Une nouvelle vidéo spécialement conçue pour AVOCATS.BE sera diffusée, en interne, à l’attention des avocats, dans les prochains jours par l’intermédiaire de nos canaux habituels (newsletters, réseaux, site, …).

Au printemps 2022, le barreau de Paris a publié les résultats d’un sondage mené auprès des avocats et des élèves avocats sur les discriminations et le harcèlement moral ou sexuel (Le Monde – 3 mai 2022).

Si 27 % disent avoir été eux-mêmes victimes de discriminations et 38% victimes de faits de harcèlement, 8 victimes sur 10 affirment ne pas envisager de démarches. Les raisons invoquées sont les mêmes que chez nous : « volonté de tourner la page », « insuffisance de preuve », « un recours sera inutile », « crainte de représailles », …

A Paris, une commission « harcèlement, discriminations » a été créée en 2008. Depuis 2017, les faits dont elle est saisie relèvent à 60 % du harcèlement moral. La moyenne d’âge des auteurs de la saisine de cette commission est de 43 ans et celle des défendeurs de 53 ans (harcèlement et discriminations : #mais que fait l’Ordre ?, Gazette du Palais 8, mars 2022).

Et chez nous, que peut-on constater ?

Les campagnes de sensibilisation d’AVOCATS.BE et de la CACH ont montré leurs premiers effets. Depuis l’entrée en vigueur du service d’écoute, 40 cas ont été traités ; 75 % des victimes sont des stagiaires. Ils sont sans doute les plus vulnérables. Le nombre de victimes féminines connu est nettement supérieur au nombre de victimes masculines. Deux dossiers sur trois sont féminins. Les victimes de harcèlement éprouvent souvent de la honte : honte de s’être fait avoir, d’avoir fait confiance, d’être tombées dans le panneau…

L’image de soi peut être très abimée. Une des stratégies de survie de base est de s’enfuir ou de se cacher.

A l’instar de la société civile, les cas de harcèlement moral sont supérieurs aux harcèlements sexuels. Si des marques de sexisme font partie du tableau des comportements de harcèlement, le service d’écoute n’a eu connaissance que de trois ou quatre cas de harcèlement sexuel avérés sur la quarantaine de dossiers. Les cas de harcèlement sexuel sont quasi exclusivement enregistrés chez les avocates.

Les moyens mis en œuvre contre la problématique doivent être poursuivis. Plus long est le temps de contact entre la victime et son harceleur, plus les dégâts seront importants. Il faut réagir avec diligence, une complète discrétion et un grand professionnalisme. La priorité pour la victime est que le cauchemar cesse et qu’une oreille bienveillante puisse l’écouter et lui mettre du baume sur la blessure.

Le travail entamé est loin d’être terminé. Les victimes doivent savoir qu’elles ne sont plus seules et abandonnées. Qu’elles ont leurs avocats qui veillent et les protègent. Nous devons poursuivre nos réflexions pour mieux aider nos confrères à libérer leur parole et les aider à assurer leur réinsertion, puisqu’on sait que la plupart du temps les actes de harcèlement se terminent mal. Outre le fait que les contrats de stage ou de collaboration prennent fin brutalement avec un départ obligé et non désiré de la victime.

Tout ceci ne fait pas partie de nos gènes. 35 % de nos avocats ont moins de 35 ans et sont dans la fleur de l’âge et de la profession. Nos institutions doivent aider les jeunes et les femmes à mieux vivre le métier.

En cette fin de mandat, je voudrais profiter de cette Tribune pour remercier chaleureusement toutes celles et tous ceux qui ont contribué au succès de la CACH, tous ces membres bénévoles des 11 barreaux de notre fédération, notre sponsor le Fonds de Solidarité des Avocats et des Huissiers de Justice qui nous permet de financer les interventions de psychologues en faveur des victimes, Madame Bérangère Lefrancq, membre du service social d’AVOCATS.BE et responsable de la cellule d’écoute de la CACH et Christine de Ville, secrétaire générale d’AVOCATS.BE aux conseils si précieux.

Je remercie également Monsieur le Président d’AVOCATS.BE, l’ensemble de ses administrateurs et tous les bâtonniers de notre institution pour leur confiance renouvelée.

Jean-Pierre BUYLE
Ancien président d’AVOCATS.BE Président de la CACH

En savoir plus :

  • Le rapport annuel 2021-2022 de la CACH est accessible ici

  • Site internet de la CACH : https://cach-info.be/ 

  • Si vous avez des questions, si vous êtes victime de harcèlement et souhaitez en parler, n’hésitez pas à contacter le Service Ecoute Harcèlement (pour avocats) au +32 471 71 34 34 ou l’adresse ecoute@avocats.be

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