La rentrée d’un barreau est, nous le savons tous, un rendez-vous important. Il permet, au-delà du plaisir aussi simple qu’indispensable de se retrouver en toute convivialité, de réaffirmer haut et fort nos valeurs et de renforcer les liens qui unissent tous les membres de notre profession dont la solidarité n’est pas uniquement l’expression du sentiment d’appartenance collective à une profession mais également un facteur de cohésion, qui nous renforce dans nos combats pour l’Etat de droit et pour nos valeurs fondamentales.
À Bruxelles, cette année, Madame la bâtonnière avait, selon la tradition, convié l’ensemble des avocates et avocats qui se dévouent au quotidien pour l’Ordre à la réception d’accueil qui marque le début des festivités de la rentrée de Bruxelles. Elle avait eu l’heureuse idée de joindre l’agréable à l’agréable en combinant cette réception et l’inauguration de la Maison de l’avocat dont la paternité revient au bâtonnier Forges et à son conseil qui, en 2018, prit la décision de l’acquérir. Six ans plus tard, et après une rénovation en profondeur, nous avons, le 16 janvier dernier, inauguré cette magnifique maison conçue par l’architecte Jules Brunfaut. Elle deviendra le cœur battant des formations et des rencontres de notre barreau. Ce projet témoigne de l’ambition du barreau de Bruxelles de concrétiser des projets à valeur ajoutée pour l’ensemble des avocats.
Après une nuit de repos, sans doute toute relative pour les invités de la Conférence du jeune barreau, la journée du vendredi commença par un colloque que notre bâtonnière avait souhaité consacrer à l’égalité des chances et que Me Stéphanie Davidson, selon la tradition, mit en musique. Choix judicieux car celui-ci fut, grâce à la qualité des intervenant(e)s, Mme Valérie Piette, vice-rectrice et professeure d’histoire contemporaine à l’Université Libre de Bruxelles, autrice, conférencière, Mme Bernadette Renauld, référendaire à la Cour constitutionnelle de Belgique et collaboratrice scientifique à l’UCLouvain, M. Patrick Charlier, directeur d’UNIA, et Mme Carole Van Basselaere, juriste au service Politique & Monitoring d’UNIA, Cellule CRPD (Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées), Mme Carine Joly, conseillère en relations internationales, Institut pour l’égalité des femmes et des hommes et M. Grégory Berthet, directeur du développement commercial et de la vie coopérative, et la modération tout en finesse de Me Augustin Daoût, secrétaire de notre Ordre, une véritable réussite.
En ces temps difficiles pour toutes celles et tous ceux qui croient encore en un monde plus beau et plus égalitaire, ce colloque fut un indispensable rappel que l’espoir est encore permis, que le combat doit se poursuivre. On retiendra, en particulier, l’intervention de Madame Valérie Piette qui plaça dans une perspective historique le combat mené tant par des femmes que des hommes, pour l’égalité entre les êtres humains sans considération de genre. Cette rétrospective historique permit de mesurer à quel point ce combat fut âpre et difficile. Comment ne pas frémir au souvenir des propos tenus par Proudhon : « L’humanité ne doit aux femmes aucune idée morale, philosophique (…). L’homme invente, perfectionne, travaille, produit et nourrit la femme. Celle-ci n’a même pas inventé son fuseau et sa quenouille. », parmi d’autres citations du même acabit ? Comme le souligna Madame la vice-rectrice, cette conception du rôle de la femme ne relevait pas d’opinions individuelles plus ou moins singulières mais traduisait l’opinion générale d’une époque qui ne s’efface que progressivement, ce qui rend le combat toujours actuel et indispensable.
La séance solennelle de l’après-midi avait, par dérogation à la tradition, été avancée d’une heure, ce qui perturba les plus traditionnalistes, comme il se doit (mais un avocat qui n’est pas perturbé par ceci ou cela n’est pas vraiment un avocat) et fut précédée par le traditionnel hommage aux avocates et avocats décédés au cours des deux guerres mondiales du 20ième siècle. Plutôt que d’égrener, comme chaque année, les noms de ceux-ci, Madame la présidente et Madame la bâtonnière choisirent de mettre l’un d’entre eux en lumière, ou plus exactement l’une d’entre elles, Me Régine Orfinger-Karlin, choix judicieux tant son parcours inspire le plus grand respect.
Vint enfin la séance solennelle proprement dite et, après la remise des prix, l’orateur du jour, Me Thomas De Nys, prit la parole. Bel homme, au regard bleu incandescent, Me De Nys a la prestance et le talent d’un vrai orateur. Il choisit de nous entretenir de ce qui, selon lui, est le huitième péché principal. La lâcheté. En homme libre et indépendant, il s’attaqua, en substance, aux ordres établis, en ce compris le nôtre. Dans un style qu’on pourrait qualifier d’ébouriffant, il prit à l’évidence un malin plaisir à tout à la fois bousculer, choquer et ravir son assistance, alternant les moments poétiques et les instants plus sombres, voire très sombres. On n’aura in fine pas tout à fait compris quelle était la thèse ou le sujet de l’orateur mais tel était sans doute le but.
La réplique, ou dois-je dire le second discours de l’après-midi, de la présidente de la Conférence se caractérisa, et ce n’est pas une surprise, par la finesse et l’intelligence des propos, par un humour subtil et, dans la conclusion de sa réplique, par un appel à la révolte, au sens camusien du terme, dans la défense de nos idéaux de justice.
Il revint à Madame la bâtonnière de conclure cet après-midi, ce qu’elle fit avec son énergie et son sens de l’humour habituels et, en digne bâtonnière, en plaidant pour le courage de la nuance, seul susceptible de rendre compte de toute la complexité du monde.
Quelques heures plus tard, et grâce à la confiance accordée au barreau par Monsieur le premier président de la Cour de cassation, nous eûmes une nouvelle fois le plaisir de nous retrouver, pour la traditionnelle réception de la bâtonnière, qui rayonnait dans sa longue robe rose, dans ce lieu incroyable qui est le (ancien) palais de justice de Bruxelles, surtout lorsque, comme ce soir-là, il est aussi joliment mis en valeur. Ce fut, par excellence, l’occasion pour toutes et tous de se réjouir d’être avocat en toute décontraction. Le temps s’écoula trop vite et, si ce n’est la perspective de pouvoir, pour les plus vaillants d’entre nous, se défouler au Bloody Louis, il aurait sans doute été triste de devoir déjà, comme Cendrillon, voir la magie de cette nuit au palais se dissiper avant même le coup de minuit.
Le lendemain, les invités du barreau se retrouvèrent à midi précises pour assister au traditionnel concert de clôture des festivités de rentrée. Dans le magnifique cadre de la Maison Bellone, nous eûmes droit au spectacle « Lève-toi » de Sarina, artiste exceptionnelle, qui fit tour à tour pleurer et danser les convives. Une artiste au parcours singulier – c’était au demeurant le thème de son spectacle – qui sut nous émouvoir en profondeur. Une parenthèse magique et enchantée en clôture d’une belle rentrée[1].
Merci, Madame la première bâtonnière de tous les temps, à tout le moins de l’Ordre français du barreau de Bruxelles, merci Mme la présidente de la Conférence, de nous avoir rappelé, au travers de l’organisation de cette belle rentrée, ces valeurs qui nous unissent. Et dont la convivialité n’est certainement pas la dernière.
[1] Je vous invite vivement à découvrir cette jeune artiste qui se produira dans les semaines à venir en divers lieux en Belgique. Allez-y, vous ne le regretterez pas ! Vous la retrouverez facilement, notamment sur Instagram.
Emmanuel Plasschaert,
Ancien bâtonnier du barreau de Bruxelles