Dans cette affaire, la Cour devait déterminer si l'article 13, paragraphe 2, de la directive 2004/38/CE relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres (ci-après, « directive citoyenneté ») est contraire aux principes d'égalité de traitement (article 20 de la Charte) et de non-discrimination (article 21 de la Charte). L'article 13 prévoit en effet qu'en cas de divorce entre un citoyen de l'UE et un ressortissant d'un pays tiers, le droit de séjour de ce dernier est maintenu si, lorsque le mariage subsistait encore, il a été victime de violences domestiques, s'il dispose également de ressources suffisantes et qu’il est couvert par une assurance maladie. En revanche, l'article 15, paragraphe 3, de la directive 2003/86/ CE relative au droit au regroupement familial (ci-après, « directive 2003/86 ») prévoit, en cas de divorce entre deux ressortissants de pays tiers, le maintien d'un tel droit de séjour dès lors que la preuve est apportée de l'existence de ces actes de violence domestique. En d'autres termes, les ressortissants de pays tiers qui ont été victimes de violences domestiques de la part de leur conjoint sont traités différemment selon que le regroupant est citoyen de l’Union ou ressortissant d’un pays tiers1.
Sur la recevabilité de la question préjudicielle, la Cour renverse sa précédente jurisprudence décidée dans l’arrêt NA (C-115/15, 30 juin 2016, EU:C:2016:487). Dans cet arrêt, la Cour avait jugé que cet article 13, paragraphe 2, de la directive 2004/38/CE devait être interprétée en ce sens qu’un ressortissant d’un pays tiers, divorcé d’un citoyen de l’Union dont il a subi des actes de violence domestique durant le mariage, ne peut bénéficier du maintien de son droit de séjour dans l’État membre d’accueil, sur la base de cette disposition, lorsque le début de la procédure judiciaire de divorce est postérieur au départ du conjoint citoyen de l’Union de cet État membre2. En clair, l’étranger ne pouvait se prévaloir de cette disposition et prétendre au maintien de son droit de séjour si la procédure en divorce était entamée après le départ du conjoint de l’Etat membre où il se trouve encore. La Cour revoit sa jurisprudence en exigeant que la procédure judiciaire de divorce soit « entamée dans un délai raisonnable suivant un tel départ »3. En effet, l’étranger doit disposer d’un temps suffisant pour, soit introduire la procédure judiciaire de divorce, soit s’installer dans l’Etat membre où réside désormais le citoyen de l’Union européenne.
Dans le cas d’espèce, la Cour considère qu’un délai de trois ans pour introduire la procédure en divorce ne « parait pas correspondre à un délai raisonnable »4. Nous conseillerons donc aux praticiens de ne pas tarder à introduire la procédure judiciaire en divorce lorsque le citoyen de l’Union qui a ouvert le droit de séjour a quitté l’Etat membre.
La Cour a ensuite examiné l’applicabilité de l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Elle rappelle qu’il correspond à l'article 18 TFUE et que, par conséquent, selon sa jurisprudence, cette disposition n’a pas vocation à s’appliquer, ni dans le cas d'une éventuelle différence de traitement entre les ressortissants des Etats membres et ceux des pays tiers5, ni entre deux catégories de ressortissants de pays tiers. Elle considère donc l’article 21 de la Charte comme dépourvu de pertinence dans le cas d’espèce.
Ce rappel, aussi sévère soit-il, mérite d’être souligné à l’attention des praticiens. L’article 21 de la Charte n’a donc d’utilité que lorsqu’une différence de traitement est alléguée uniquement entre deux ressortissants de deux Etats membres.
La Cour opère ensuite une analyse au regard de l'article 20 de la Charte, qui s'applique à toutes les situations régies par le droit de l'Union « sans aucune limitation expresse de son champ d’application »6 et examine s'il existe des situations comparables qui auraient été traitées de manière différente.
La Cour conclut que ce n'est pas le cas. Les deux catégories de ressortissants de pays tiers se trouvent dans des situations qui ne sont pas comparables. Même si les deux directives partagent cette même finalité de protection des membres de la famille victimes de violence domestique, la directive citoyenneté (2004/38) a été adoptée sur le fondement de la libre circulation des personnes et la directive 2003/86 sur le fondement de la politique commune de l'immigration de l'Union. Elles ont donc des domaines différents.
Les objets des deux directives sont également différents : la directive citoyenneté concerne les conditions d'exercice du droit de séjour, au sein de l’Union, des citoyens de l’Union et des membres de leur famille, tandis que la directive 2003/86 se concentre sur les conditions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial dont disposent les ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire de l’Union.
En outre, les deux directives poursuivent un objectif différent : la directive citoyenneté veut simplifier et renforcer le droit à la liberté de circulation et de séjour dans l’Union, tandis que la directive 2003/86 veut promouvoir l'intégration des ressortissants de pays tiers dans les États membres. La Cour rappelle, à cet égard, que « les droits que les ressortissants de pays tiers tirent des dispositions du droit de l’Union concernant la citoyenneté de l’Union sont non pas des droits autonomes de ces ressortissants, mais des droits dérivés de l’exercice de la liberté de circulation et de séjour par un citoyen de l’Union »7. Ainsi, pour bénéficier de droits en tant que ressortissant d’Etat tiers membre de la famille d’un citoyen de l’Union européenne, il faut que ce dernier ait exercé les siens.
Enfin, dans le cadre de la directive citoyenneté, les États membres ne disposent que d'un pouvoir d’appréciation limité pour l'application des conditions qu'elle fixe, alors que dans le cadre de la directive 2003/86, ils jouissent d'un large pouvoir d’appréciation. « En effectuant, à l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2003/86, un renvoi au droit national, le législateur de l’Union a indiqué qu’il avait souhaité laisser à la discrétion de chaque État membre le soin de déterminer à quelles conditions un titre de séjour autonome devait être délivré, en cas de divorce, à un ressortissant de pays tiers entré sur son territoire au titre du regroupement familial et ayant été victime d’actes de violence domestique commis durant le mariage par son conjoint »8.
La Cour en conclut que les deux catégories de ressortissants de pays tiers ne se trouvent pas dans des situations comparables et décide donc que l'article 13, paragraphe 2, de la directive citoyenneté est valide à la lumière de l'article 20 de la Charte.
Que pensez de cette conclusion ? Deux instruments de droit dérivé européen identiques, deux dispositions qui « partagent l’objectif d’assurer une protection des membres de la famille victimes de violence domestique » mais deux directives dont les principes, les objets et les objectifs sont différents suffisent à constater qu’il ne s’agit pas de situations comparables.
C’est un peu court mais il faudra s’en contenter. Du point de vue du membre de la famille victime de violence domestique, il n’aperçoit pas bien en quoi les deux directives justifient deux traitements différents alors que la Cour elle-même reconnait qu’elles poursuivent le même objectif. Le membre de la famille d’un citoyen de l’Union devra, en plus de prouver la violence dont il est victime, démontrer « soit qu’il est travailleur soit qu’il dispose, pour lui-même et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes pour ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil pendant la durée de leur séjour, et qu’ils sont entièrement couverts par une assurance maladie dans cet État membre, soit qu’il est membre de la famille, déjà constituée dans ledit État membre, d’une personne répondant à ces exigences »9. Ces conditions sont identiques à celles auxquelles les citoyens de l’Union eux-mêmes sont tenus de satisfaire pour bénéficier d’un droit de séjour temporaire de plus de trois mois.
Jean-Pierre JACQUES
Avocat au Barreau de Liège-Huy
Maître assistant à l’HELMo
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1 Rapport annuel 2021 de la Représentation de la Belgique auprès de la Cour de Justice de l’Union européenne, p. 30 et 31 disponible en ligne : https://diplomatie.belgium.be/fr/politique/coordination-des-affaires-europeennes/la-politique-de-la-belgique-au-sein-de-lue/droit-europeen
2 Arrêt du 30 juin 2016, NA, C-115/15, point 51.
3 Arrêt du 2 septembre 2021, X c. Etat belge, point 43.
4 Arrêt du 2 septembre 2021, X c. Etat belge, point 45.
5 Arrêt du 4 juin 2009, Vatsouras et Koupatantze, C-22/08 et C-23/08, point 52.
6 Arrêt du 2 septembre 2021, X c. Etat belge, point 54.
7 Arrêt du 2 septembre 2021, X c. Etat belge, point 72.
8 Arrêt du 2 septembre 2021, X c. Etat belge, point 88.
9 Arrêt du 2 septembre 2021, X c. Etat belge, point 62.