Café et cigarettes, par Ferdinand Von Schirach

Lors d’une attaque terroriste à Bruxelles, deux bombes explosent dans l’aéroport et une autre dans une station de métro. Trente-cinq personnes sont tuées et plus de trois cents blessées.

Le soir, le ministre de l’Intérieur déclare devant les caméras : « La protection des données, c’est bien beau, mais en temps de crise, la sécurité prime ».

Ceci est le 31e des 48 fragments qui composent cet ouvrage. Cinglant, limpide. Comme la terrible maxime de Benjamin Franklin sur la sécurité et la liberté.

Il est aussi le plus court. Les plus longs font cinq ou six pages. Des notes prises au hasard de pérégrinations, des souvenirs, des annotations de lecture. C’est parfois tendre, parfois critique, parfois ironique, voire provocateur (comme lorsqu’il se lance dans une curieuse apologie de la cigarette), toujours pertinent.

Ferdinand Von Schirach est avocat pénaliste à Berlin. Il a écrit plusieurs romans. J’ai déjà rendu compte de deux d’entre eux : L’affaire Collini et Tabou.

La vérité est un thème qui l’obsède. Je le rejoins.

En 1801, Kleist écrit à sa fiancée : « Nous ne pouvons décider si ce que nous nommons vérité est vraiment la vérité, ou si elle nous paraît seulement telle » … 

Cent vingt-cinq ans après Kleist, Werner Heisenberg déclare : « La réalité dont nous sommes capables de parler n’est jamais la réalité en soi ». Selon lui, il est impossible de mesurer avec exactitude deux propriétés d’une particule au même moment. Quand on détermine précisément la position d’une particule, son énergie est nécessairement modifiée. 

Nous ne vivons que l’espace d’un battement de cils avant de sombrer à nouveau, et dans ce bref laps de temps, nous ne sommes même pas capables de faire ce qui semble le plus évident : reconnaître la réalité. 

A ce jour, la théorie de Heisenberg n’a pas été contredite.

Von Schirach écrit de façon précise, concise. Il va au cœur du sujet, sans s’embarrasser de vaines fioritures. Au fil des pages, il traite de l’éthique, du devoir, de l’amitié, de l’amour, du bonheur. De la vie. De notre vie, aujourd’hui.

L’humour est souvent présent. La tendresse aussi.

Mais il est d’abord avocat, fervent défenseur de l’État de droit. Et cela aussi nous vaut quelques très belles lignes.

Pendant leur formation, les étudiants en droit apprennent que l’accusé ne doit pas devenir un simple objet de la procédure pénale. Dans un État de droit solidement établi, cela va de soi. Mais à l’époque, il fallait encore se battre pour ce principe au tribunal, personne ne voulait comprendre que les terroristes aussi sont des hommes, qu’eux aussi ont leur dignité. Schily, qui avait à l’esprit les dérives des nazis, l’avait compris. Il croyait au droit, il voulait que celui-ci prime, même face aux tribunaux, face au parquet, face à un policier qui tire dans le dos d’un étudiant en train de manifester. Ainsi, le droit est devenu la clef de voûte de la pensée de Schily. C’est l’une des raisons pour lesquelles il était le plus convainquant des avocats, un homme de talent, à la rhétorique brillante, dont chaque parole sonnait juste. Plus tard, nombre de personnes n’ont pas compris que « cet avocat des terroristes » devienne ministre de l’Intérieur, mais la transition était on ne peut plus cohérente. Une fois ministre, Schily n’a – en accord avec ses propres convictions – rien fait d’autre que cela : son seul objectif a toujours été de défendre le droit et l’État de droit, cette grande idée de l’humanité.

En Belgique, avec le procès des attentats de Zaventem et Maelbeek, nous venons de vivre un grand moment d’État de droit, qui nous ramène à ces odieux attentats, évoqués au début de cette chronique. Félicitons-nous en et pensons que c’est parce que chez nous aussi il y a des hommes de la trempe de Ferdinand Von Schirach.

Patrick HENRY,
Ancien Président

A propos de l'auteur

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Ancien Président d'AVOCATS.BE

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