Avocat des flics par Laurent-Franck Liénard & Avocat des libertés par Yassine Bouzrou

Ma décision de le défendre a pourtant été l’objet d’une vive polémique, notamment au sein des forces de l’ordre. Des policiers n’ont pas compris pourquoi j’assistais Alexandre Benalla. D’autres m’ont injurié très vivement… et enfin, j’ai reçu des menaces de mort à mon cabinet. Tout ça parce que je défendais un type sympathique qui a brillamment réussi dans la vie, et parce que je faisais mon travail. Est-ce que ça mérite qu’on me traite de tous les noms ? Est-ce que ça mérite qu’on veuille me tuer ? (Laurent-Franck Liénard, à propos de l’affaire Benalla).

Ils ont énormément de points communs, à commencer par leur farouche esprit d'indépendance, leur engagement sans faille, leur parfaite maîtrise non seulement des règles du droit pénal et de la procédure pénale, mais aussi des domaines d'expertise qu'ils sont amenés à discuter dans le cadre des procès qui leur sont confiés, comme la balistique par exemple. Ils acceptent des causes difficiles, « sensibles » : de celles qui vous valent des menaces de mort1.

Ils sont donc pleinement avocats. Du genre combatif. Ils ont d’ailleurs tous deux pratiqué la boxe.

L'un défend généralement les policiers, l'autre les victimes de violences policières illégitimes.

Comme ils sont avocats, ils ont des points de vue différents. Mais ceux-ci ne sont pas forcément incompatibles. Ils ne nous parlent d'ailleurs pas des mêmes affaires, ou très rarement.

Ce que l'un et l'autre mettent en cause, c'est l'institution. Une institution qui paraît grippée, minée par l'incompétence, gangrenée par la partialité, les pressions politiques ou syndicales, une presse obnubilée par le scoop... Une institution qui, trop souvent, dysfonctionne.

Je rappelle ici la principale revendication de mes clients : lorsqu’ils disent « pas de justice, pas de paix », cela signifie « pas de procès, pas de paix ». Un procès est indispensable pour avoir la justice. Si on considère aujourd’hui qu’il n’y a pas de charges suffisantes contre les gendarmes pour les renvoyer devant une juridiction, il faut alors envisager d’annuler la majorité des procès en France (Yassine Bouzrou, à propos de l’affaire Adama Traoré).

Laurent-Franck Liénard voulait être commissaire de police. C'est dans cette perspective qu'il a étudié le droit. Comme il n'avait pas préparé le concours d'entrée avec suffisamment de sérieux, il y a échoué. Et, dans l'attente de la session suivante, il a commencé le barreau. Il a vite compris qu'à la barre, il pourrait être son propre maître, ce qui ne serait pas le cas dans la hiérarchie de la police. Il ne pouvait être flic. Il serait donc l'avocat des flics. Il est aussi un sportif aguerri (même s'il a perdu un pied à la suite d'un accident de parachutisme), excellent tireur et expert en armes, des capacités qu’il utilise quand il s’agit de démonter une accusation trop approximative.

Yassine Bouzrou a grandi à Courbevoie, dans une banlieue difficile (Welcome to the jungle, disent certains). Il aurait voulu être footballeur. À 13 ans, à la suite d'une injustice, il est renvoyé de l'école pour des faits qu'il n'a pas commis. Mais il a une grande gueule et il boxe, donc « c'est forcément Yassine ». Il ne peut compter que sur sa mère pour le défendre. Elle ne peut rien contre les certitudes du conseil de discipline. « C'est forcément Yassine... ». C'est l'origine de sa vocation.

Liénard a défendu Benalla, les policiers du RAID et ceux du GIGN, des familles de victimes des attentats du 13 novembre 2015… Il a défendu des gendarmes en Guyane, à la Guadeloupe, en Corse, à Mayotte… Et tant d’autres, que l’on accuse de violences policières.

Bouzrou a défendu Abdoulaye Fofana, le tueur en série de l’Essonne (ou plutôt, celui que l’on croyait être ce tueur…), la famille d'Adama Traoré, et tant d’autres qui se disent victimes de violences policières.

Ils racontent. La partialité de certains procureurs et de certains juges, les faux procès-verbaux, la complaisance, les devoirs d'instruction éludés, les recours, les arrêts de cassation ou de la Cour européenne des droits de l'homme.

Ces deux ouvrages ont paru simultanément. Volonté délibérée d'un éditeur qui souhaitait un débat contradictoire, nous livrer tant le noir que le blanc. La parole est à la défense. Ou, plutôt, aux défenseurs.

Mais l'impression qui se dégage de la lecture de ces deux ouvrages n'est pas si contradictoire. L'impression, c'est qu'ils ont raison tous les deux. Que cette justice tourne scandaleusement mal.

On ne m'ôtera pas de l'idée que le vice est, là-bas, structurel.

La formation des magistrats français est trop lacunaire. Pour être un bon magistrat, il ne suffit pas de connaître le droit. Il faut aussi connaître la vie. Il faut l'avoir vu grouiller. Ce n'est pas le cas des magistrats français, éduqués en chambre, puis lancés dans la bataille pétris de fausses certitudes. Nous connaissons tous les désastres que furent l'affaire du petit Grégory ou celle d'Outreau. Ceux auxquels elles furent confiées n'avaient, tout simplement, pas le bagage nécessaire. Si on ajoute les pressions, les mutations, les avancements, on ne peut avoir une bonne justice. On obtient, nécessairement, ce que nous montrent Maîtres Liénard et Bouzrou : un chapelet d'échecs et de scandales. 

« Maître, arrêtez d’être menaçant en invoquant la CEDH ! » Il est révélateur de constater que l’évocation de cette jurisprudence supranationale est perçue comme une menace par un juge du second degré de juridiction ! Cela en dit long sur l’importance accordée à ces principes pourtant fondamentaux. Cela explique enfin le nombre de condamnations de la France par la CEDH : rien d’étonnant dès lors que certains magistrats affirment et revendiquent même le fait de ne point se fonder sur cet ordre normatif pour prendre leurs décisions… (Bouzrou).

Dans la célèbre affaire Morice, du nom de l'avocat de la veuve du juge d'instruction Borrel, retrouvé nu, brûlé vif, dans une décharge de Djibouti, la juge d'instruction chargée du dossier, dont les liens avec le procureur local ont, par un curieux concours de circonstances, éclaté au grand jour, avait rapidement conclu au suicide. Ben tiens ! Le modus operandi ne pouvait tromper...

Ce que j’écris ici je l’assume. J’ai passé trente ans de ma vie à défendre des membres des forces de l’ordre, tous les jours, partout. On peut m’objecter que je caricature l’institution judiciaire mais je ne vous livre que le reflet de ce que nous vivons au quotidien dans notre cabinet (Liénard).

La justice belge est loin d'être parfaite. On sait à quel point elle manque de moyens (peut-être est-ce d'ailleurs parce qu'elle est trop indépendante, ce que beaucoup de politiciens ne supportent pas). Mais au moins, les juges et les avocats ne s'y voient généralement pas comme des ennemis. Ouf !

Patrick Henry, 
Ancien Président

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1 Comment ne pas évoquer, à cet égard, le souvenir de Claudia Van Der Stichelen, cette avocate de Flandre orientale qui vient d’être tuée à son cabinet par ce qui semble bien être un justiciable mécontent. Oui, notre métier devient dangereux !

A propos de l'auteur

Henry
Patrick
Ancien Président d'AVOCATS.BE

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