Au nom du peuple français par François Molins

« Vous allez exercer un métier dangereux ; pas pour vous, pour les autres ».

C’est par ces mots que Pierre Truche, alors directeur de l’Ecole nationale de la magistrature à Bordeaux, accueille François Molins lorsqu’il entame son cursus. On imagine facilement pourquoi le futur procureur général les a retenus.

C’est en tout cas par ceux-là qu’il a choisi d’ouvrir ses mémoires. Il nous raconte donc son parcours, de Carcassonne à la Cour de cassation, en passant par Montbrison, la Corse, Lyon, la Seine-Saint-Denis et puis, bien sûr, Paris.

Disons-le franchement : la première partie de l’ouvrage est moins passionnante que la seconde. Il y a de délicieuses anecdotes, comme celle de ce magistrat tellement fainéant qu’il demandait, à la fin des plaidoiries, à chacun des plaideurs de lui déposer un projet de jugement[1] ! Mais bon, ce sont de jolies historiettes qui, certes, donnent une image de la Justice française mais sont plus amusantes qu’intéressantes.

Mais notre homme arrive d’abord en Corse, puis à Lyon, puis à la tête de parquet de Paris. Et là, il n’est plus question de rigolade. Les affaires à scandales se succèdent : la catastrophe de Furiani (lorsque, au cours d’un match de coupe de France, une tribune entière s’effondre faisant des dizaines de morts), le shérif de la Duchère (lorsqu’un policier un peu trop impulsif abat un gitan lors d’une opération un peu délicate), l’affaire Zyed et Bouna (ces deux jeunes qui prennent la fuite lors d’un banal contrôle de police et finissent électrocutés dans la cabine électrique dans laquelle ils se sont introduits, ce qui entraînera de terribles émeutes), puis les affaires Bygmalion, Tapie, Cahuzac, Benalla…

François Molins raconte mais ne se contente pas de raconter. Il explique aussi comment il a abordé ces affaires, ses tâtonnements, les solutions qui lui ont paru justes, ou qu’il a complètement revues, les politiques qu’il a tenté de mettre en place, ... Et puis, bien sûr, les polémiques. Quand on lui reproche sa foi, qu’on l’accuse de parti-pris, que l’on invoque ou dénonce ce que l’on appelle le « gouvernement des juges ».

En réalité, ce n’est pas le juge qui est devenu un acteur politique, c’est l’homme politique qui est devenu un nouveau justiciable, et il convient de s’interroger sur les raisons profondes qui ont conduit à cet état de fait Le temps ne serait-il pas venu de renforcer davantage les contrôles et les garde-fous dans le cadre de la fonction ministérielle ou du mandat électif ? Instituer un déontologue au gouvernement par exemple pourrait envoyer un signal fort. En tout état de cause, il est aujourd’hui nécessaire que chacun tienne sa place, dans le strict respect de ses compétences et des règles de la séparation des pouvoirs, afin que puisse être restaurée une relation sereine et constructive entre justice et politique.

Et puis tout bascule. C’est Charlie et l’hypercacher. Et le terrorisme se banalise. François Molins est alors procureur de la république à Paris et, donc, en charge de la coordination de la lutte contre le terrorisme. Il gère donc les attentats de Magnanville, de Nice, de Saint-Etienne-du-Rouvray, … puis tant d’autres jusqu’au Bataclan et au Stade de France. Qu’on ne s’attende cependant pas à des révélations fracassantes. Ce n’est pas le genre de notre homme. Mais, à chaque fois, des explications quant aux choix posés, notamment en matière de communication, ce qui deviendra sa marque.

Suivent deux chapitres qui, manifestement, lui tiennent à cœur : la lutte contre les violences que subissent les femmes et l’affaire Dupont-Moretti. De la seconde, je ne dirai rien. Je ne la connais pas assez et il est difficile de juger lorsque l’on ne connait pas bien le dossier. Il serait intéressant de connaître le point de vue de l’intéressé. L’engagement dans la lutte contre les féminicides est plus général et a certainement une portée plus prégnante. Là aussi, notre homme a tâtonné et il le reconnaît très humblement : comme lorsqu’il nous raconte les espoirs qu’il a mis en la médiation, avant de comprendre qu’il faisait complètement fausse route car entre un mari violent et une femme battue, la médiation est totalement impuissante.

Au total, l’impression qui se dégage de ces mémoires est que l’on est face à un homme brillant, consciencieux, honnête, idéaliste même, qui a donné quarante-six ans de sa vie pour que la France connaisse plus de justice. Et qui ne s’en est pas si mal tiré…

Être magistrat, c’est écouter pour essayer de comprendre.

Être magistrat, c’est en permanence décider, ce qui nécessite des qualités d’humanité, d’humilité et de courage.

Être magistrat, c’est être le garant des libertés individuelles mais aussi le protecteur des plus fragiles et de plus vulnérables.

Être magistrat, c’est être en permanence au cœur de la cité et des débats de sociétés, en prise avec tous les enjeux, les évolutions et les difficultés d’un monde à la complexité sans cesse croissante.

Vaste programme ! Mais que deviendrons-nous si personne ne s’y attèle ?

Patrick Henry,
Ancien président

[1] Cela dit, c’est un mode alternatif de résolution des conflits qui est pratiqué aux États-Unis : dans la medaloa (mediation and last offer arbitration) les parties plaident puis soumettent chacune à l’arbitre un projet de décision. L’arbitre doit choisir celui qui lui paraît le plus juste, sans pouvoir rien y retrancher ou ajouter. De là à l’adopter et à l’imposer pour la généralité des conflits judiciaires…

A propos de l'auteur

Henry
Patrick
Ancien Président d'AVOCATS.BE

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