Atelier : Parts contributives et les frais extraordinaires

Président : Me Régine WAUQUIER, avocat au barreau de Mons

Intervenants :

1) M. Pierre-André WUSTEFELD, magistrat émérite suppléant à la cour d’appel de Mons

2) Mme Monique CHARDON, juge des saisies à Mons

Rapporteur : Me Elise GHEUR, avocate au barreau de Mons


Maître Wauquier, présidente de l’atelier concernant les parts contributives et frais extraordinaires a choisi d’inviter deux magistrats pour débattre et apporter leur éclairage de technicien sur ces questions épineuses.

Nous le savons, l’argent c’est le nerf de la guerre.

Il est donc particulièrement important en tant que professionnels de justice de ne pas négliger les questions alimentaires quand des parents se séparent. Les questions alimentaires enveniment trop souvent les débats et entraînent nécessairement des répercussions sur les enfants qui perdurent bien après le prononcé des décisions judiciaires, notamment en qui concerne les frais extraordinaires.

1) Frais ordinaires : la jurisprudence de la Cour de cassation au service des praticiens du droit

Monsieur Wustefeld, conseiller honoraire à la Cour d’appel de Mons, est l’un des coauteurs du logiciel PCA et pourtant, dès le début de son intervention, il tient à souligner que, n’entrera pas dans son propos du jour, l’explication d’une méthode de calcul des contributions alimentaires. Son propos a vocation d’être pratique en retraçant les grands enseignements récents (ou simples rappels cependant toujours utiles) de la Cour de cassation.

A. Arrêt du 11 mars 2016 (C.14.0498.F)

Le premier arrêt du 11 mars 2016 nous interroge sur la distinction mais aussi la corrélation existant entre frais ordinaires et frais extraordinaires. Ainsi, s’il ne semble pas faire débat qu’il ne peut être demandé à un parent de payer les mêmes frais dans le cadre de sa contribution ordinaire que comme frais extraordinaires, la question de la frontière de ces catégories de frais n’est pas toujours très claire.

Nous le savons, chaque Cour ou Tribunal dispose de sa propre définition des frais extraordinaires et, ce, nonobstant les termes de l’arrêté royal du 22 avril 2019 relatif aux frais extraordinaires. Chaque juge droit donc adapter sa méthode de calcul du coût de l’enfant (empirique, PCA, statistique) pour que les frais considérés comme extraordinaires ne soient pas comptabilisés pour déterminer ce coût (ce qui reviendrait à les comptabiliser deux fois).

Monsieur Wustefeld indique d’ailleurs que le logiciel PCA est basé sur un budget théorique des frais ordinaires qui peut être mis en corrélation directe avec la liste des frais extraordinaires de l’arrêté royal de 2019.

Monsieur Wustefeld nous invite à nous interroger sur une troisième catégorie de frais : au-delà des frais ordinaires et extraordinaires avec lesquels nous avons l’habitude de jongler, s’ajoutent les frais non directement liés à l’hébergement.  Ce sont, par exemple, les petits frais scolaires, les frais de rentrée scolaire simple, les frais de coiffeur, les frais médicaux ordinaires, …

Il est essentiel de s’interroger sur ces frais dans le cadre notamment des hébergements égalitaires. En effet, ces frais sont parfois pris en charge de manière majoritaire par l’un ou l’autre parent et c’est le rôle des avocats, en amont, de soumettre la question aux magistrats pour que la prise en charge de ces frais soit clarifiée. 

Quel que soit le type de frais, il ne faut pas hésiter à « mettre les mains dans le cambouis », comme le rappelle Monsieur Wustefeld, être au plus près de la réalité vécue par ces parents et leur(s) enfant(s).

Deux solutions s’offrent principalement aux justiciables :

  • Solliciter une extension de la liste des frais extraordinaires auxquels s’ajouteraient, dès lors, les frais ordinaires non liés à l’hébergement et qui seront pris en charge par chacun des parents en proportion de leur faculté ;
  • La création et l’utilisation d’un compte-enfant (solution moins appréciée pour des raisons pratiques par Monsieur Wustefeld).

B. Arrêt du 23 mai 2019 (C.16.0474.F)

Le deuxième arrêt est un arrêt du 23 mai 2019 qui concerne la question particulière de l’abus de droit commis par un parent dans le cadre de la mise en état de sa demande alimentaire. Monsieur Wustefeld a rappelé les rétroactes très particuliers de cette affaire dans le cadre de laquelle, la mère avait sollicité la fixation définitive d’une contribution alimentaire plus de 8 années après sa première requête (sans mise en état complète entre temps). 

Si l’abus de droit peut être invoqué dans certaines circonstances, il n’est pas question d’utiliser cet argument pour refuser de manière presque systématique les demandes rétroactives de condamnation à des aliments. Il ne peut être reproché à un parent de tenter en premier lieu une voie amiable avant d’introduire une action en justice voire simplement de patienter quelque peu avant d’introduire cette même action judiciaire.

Enfin, il doit être rappelé que c’est au parent qui invoque avoir contribué en nature ou par équivalent à l’entretien de son enfant de le prouver.

C. Arrêt du 17 février 2020 (C.17.0556.F)

Cet arrêt rappelle que les tribunaux de la famille sont compétents pour trancher les questions relatives à la charge fiscale d’un enfant. Les plaideurs ne doivent donc pas oublier de soulever la question surtout dans le cadre d’un hébergement égalitaire (article 132bis du CIR).

D. Arrêt du 7 mars 2022 (C.21.0430.N)

La Cour de cassation a, dans cet arrêt, rappelé l’obligation des magistrats de fixer clairement les paramètres prévus à l’article 1321 du Code judiciaire et de motiver leur décision en matière alimentaire et, ce, même lorsqu’il s’agit d’homologuer un accord des parties. En effet, la Cour de cassation estime que l’appel d’un jugement homologuant un accord ne peut être déclaré irrecevable au motif que l’article 1321 du Code civil n’a pas été respecté en première instance, ce qui réouvrira donc une instance nonobstant l’accord intervenu.

Si cette obligation de motivation spéciale n’est pas respectée dans une convention, bien que cette dernière ne puisse être attaquée pour nullité (pas de nullité sans texte), un juge devrait, en règle, refuser d’homologuer l’accord intervenu comme tel et demander aux parties de préciser leur accord.

Il ne faut pas oublier que la matière des obligations alimentaires est d’ordre public. Une partie ne pourrait, en conséquence, pas renoncer à une contribution alimentaire si cette renonciation est contraire à l’intérêt de l’enfant.

E. Arrêt du 18 mars 2022 (C.20.0134.F)

Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle sa jurisprudence antérieure par laquelle elle avait déjà estimé que la méthode PCA répond tout à fait aux conditions légales en vigueur et peut donc être appliquée par les Cours et tribunaux. 

Finalement, quelle que soit la méthode utilisée par le Juge saisi, l’important est de déterminer les paramètres et notamment les facultés contributives des père et mère. La difficulté apparaît souvent lorsque l’une des parties souhaite invoquer des indices de richesse. Monsieur Wustefeld rappelle, à ce propos, le rôle proactif du juge qui peut ordonner la production des extraits bancaires d’une parties sur une période déterminée, la vérification du patrimoine immobilier d’une partie… et, ce, même à l’audience grâce notamment à la carte d’identité du justiciable.

Il faut s’attarder sur un autre paramètre très important dans le calcul : le coût de l’enfant. Il faut rappeler que les budgets établis par la ligue des familles sont en réalité des montants minimaux. Quant au coût déterminé par la méthode PCA, ce sont des moyennes statistiques. 

Les plaideurs doivent donc être précis dans les éléments qu’ils invoquent pour que le magistrat soit suffisamment informé pour déterminer, de la manière la plus juste, le montant de la contribution alimentaire.

2) Frais extraordinaires : quand le conflit perdure dans l’exécution

L’exécution des décisions alimentaires créée régulièrement des tensions, principalement concernant le recouvrement des frais extraordinaires. Ces derniers enveniment les relations entre les parents qui peuvent demeurer très conflictuelles et les demandes financières (ou refus de payer) sont parfois une manière de faire perdurer ou de réanimer un conflit latent.

Madame Chardon, juge des saisies au Tribunal de Première Instance du Hainaut, division Mons, précise que vingt pour cent de ses décisions prononcées ont trait à des questions concernant la récupération de frais extraordinaires. Il est donc important de ne pas négliger cet aspect d’un dossier tant pour les avocats que pour les magistrats du tribunal de la famille.

Après avoir explicité le siège de la matière tant en ce qui concerne l’exécution que les frais extraordinaires, les échanges porteront principalement 3 points.

A. Liste des frais extraordinaires

Beaucoup de frais entrent dans cette catégorie et ceux-ci doivent être listés dans la décision prononçant la condamnation. L’arrêté royal est un aide-mémoire pour les magistrats et avocats mais son caractère supplétif en réduit évidemment l’importance en pratique.

Il est important que cette liste soit la plus exhaustive possible pour éviter toute difficulté bien qu’il soit généralement ajouté une catégorie « et tous les autres frais pour lesquels les parties leur reconnaîtrait un tel caractère de frais extraordinaires ». Il est important également pour les plaideurs de demander aux magistrats de compléter ou modifier pour que la liste soit la plus proche possible de la réalité des enfants concernés.

B. Les pouvoirs (limités) du juge des saisies

Selon Madame Chardon, le juge des saisies est assez « borné ». Il doit se contenter d’exécuter un titre et donc de vérifier que les conditions contenues dans le titre sont respectées. Le seul « pouvoir » du juge des saisies est un pouvoir d’interprétation. L’interprétation du juge des saisies devra nécessairement tenir compte de deux principes à savoir la foi due aux actes et l’autorité de la chose jugée.

Madame Chardon résume son pouvoir comme suit : « du point de vue du juge [des saisies], si cela n’est pas prévu expressément, cela n’est pas possible d’un point de vue de l’exécution ». 

C. La nécessité d’un accord ou d’une concertation préalable

La plupart des décisions (et l’arrêté royal) prévoient l’obligation d’obtenir l’accord préalable de l’autre parent. Cette obligation a été légèrement nuancée ou assouplie par l’obligation de concertation préalable corrélée à l’absence de contestation de l’autre parent. 

Il faut toujours se réserver une preuve et toujours prévoir un délai de réflexion et de contestation. Ce délai est, en règle, de 21 jours (délai de l’arrêté royal).

En cas de contestation concernant l’opportunité de la dépense, c’est le juge du fond (tribunal de la famille) qui demeure compétent. Cependant, dans la pratique, on constate que le juge du Tribunal de la famille refuse de statuer sur cette problématique estimant que le parent dispose d’un titre et qu’il s’agit d’une question d’exécution. Pourtant Madame Chardon le rappelle, elle n’est pas le juge de l’intérêt de l’enfant, contrairement au Tribunal de la famille.

Pour Madame Chardon, si les dépenses s’imposent aux parents, il n’y a pas matière à discussion et donc la concertation ou l’accord n’est pas obligatoire. Evidemment la question de ce qui s’impose aux parents est évidemment toujours sujette à interprétation. Ainsi, le matériel obligatoire pour une école est un frais qui s’impose aux parents (en cas d’accord sur le choix de l’école et éventuellement de l’option). 

Cependant, qu’en est-il des frais d’un kot ? Pour Madame Chardon, tout est une question de circonstance mais si l’autre parent a accepté l’inscription scolaire et que le domicile est trop éloigné de l’école choisie, il pourrait être considéré que cette dépense s’impose aux parents.

Dans l’hypothèse où le parent accepte l’orientation scolaire, encore faut-il se demander s’il doit donner son accord sur tel kot choisi par le jeune en concertation avec le parent « gardien » ? Si cela se justifie, la réalité est tout autre. Il ne peut être question d’attendre 21 jours entre le moment où l’étudiant trouve son kot et l’acceptation ou le refus de l’autre parent. Ainsi, pour Madame Chardon, si l’un des parents a communiqué des informations préalables suffisantes soit l’intention de prendre un kot et une fourchette de prix, en cas d’absence de contestation de l’autre parent dans les 21 jours, cela permet au parent d’engager la dépense sans attendre un accord plus précis (sur un kot en particulier) du futur parent débiteur.

De manière générale, la concertation ou l’accord préalable doivent être appréciés « avec mesure et bonne foi ». Tout est donc une question de circonstance (voire de la manière dont cela sera interprété par le magistrat saisi), ce qui constitue pour les avocats un vrai casse-tête. Nous avons ainsi, constaté par les divers échanges que les limites entre l’obligation de concertation et les cas où le parent pourrait faire fi de cette obligation sont floues.

Une chose est néanmoins certaine : la communication entre les parents est le maître mot pour sortir de ces difficultés récurrentes dans cette matière.

Elise Gheur
Avocate au barreau de Mons

A propos de l'auteur

Elise
Gheur
Avocate au barreau de Mons

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