« Thème 1 : Les décisions judiciaires rendues en matière de liquidation-partage et l’exécution provisoire.
Thème 2 : Les règles d’interprétation des testaments »
Président : Me Jean-Marc THIERY, avocat au barreau du Brabant wallon
Intervenants :
1) Mme Nathalie BAUGNIET, juriste dans une étude notariale
2) Me Laurent STERCKX, avocat au barreau de Bruxelles
Rapporteur : Me Maud COLLIGNON, avocate au barreau de Verviers
1) Les décisions judiciaires en matière de liquidation-partage et l’exécution provisoire, par Nathalie BAUGNIET, juriste en étude notariale
Il est rappelé que depuis la création du Tribunal de la Famille en 2013 puis au fil des lois « pot-pourri », les jugements du Tribunal de la Famille définitifs contradictoires et par défaut sont exécutoires par provision de plein droit : articles 1397 et 1398 du Code Judiciaire.
On parle même « d’immédiateté exécutoire renforcée » pour les décisions du tribunal de la famille.
Ils s’exécutent aux risques et périls de la partie poursuivante : c’est une responsabilité objective même sans faute à établir – article 1398 du code judiciaire.
Une exception existe cependant pour les jugements définitifs uniquement : le tribunal peut décider de suspendre l’exécution provisoire dans une décision spécialement motivée, laissée à l’entière appréciation du Juge qui doit fait preuve d’une motivation spéciale et avoir égard aux éléments concrets de la cause ; il doit alors opérer une balance des intérêts des parties en procédant à l’analyse de circonstances de faits :
- Exemple, le patrimoine important par rapport à la demande, situation « non urgente », risque de dégradation de l’immeuble,… ?
- Caractère incontestable ou non de la demande (ex. « créance à ce point évidente » >< absence d’évidence du droit, manœuvres dilatoires
- Caractère (ir)réversible de l’exécution de la décision à venir - préjudice « important et irréparable.
Pour les jugements avant dire droit donc, l’exécution provisoire est de droit MAIS le Juge ne peut déroger à ce principe (depuis Pot-pourri V - art. 1397, al. 3 C. jud.).
Pour rappel, ces jugements avant dire droit bénéficient de l’appel différé (donc ils ne sont pas « appelables » avant l’appel éventuel du jugement définitif = temps long).
Sort de l’exécution provisoire en appel
Le caractère exécutoire peut-être rediscuté dans le cadre de débats succincts en appel si le Juge d’instance a suspendu l’exécution provisoire, qui pourrait être restaurée en appel.
Le magistrat d’appel ne peut par contre déroger à l’exécution provisoire d’une décision d’instance.
Il est conseillé aux praticiens de faire signifier rapidement toute décision de liquidation-partage pour que le défendeur prenne attitude sur son exécution et que l’on puisse ainsi avancer « librement » dans le cadre des opérations de liquidation.
Madame BAUGNIET nous expose alors des cas pratiques :
1) Licitation d’un immeuble indivis :
La décision est donc exécutoire sauf si le Juge en décide autrement, et s’exécute aux risques et périls de celui qui poursuit l’exécution ; si la décision d’autorisation de vente est réformée en appel, l’acquéreur de l’immeuble pourrait éventuellement voir cette vente annulée ou à tout le moins obtenir des dommages et intérêts.
La question de l’annulation de la vente pour l’acquéreur de bonne foi est discutée : une partie de la doctrine estime que l’acquéreur de bonne foi est intouchable et que dans ce cas, la partie exécutante doit simplement des dommages et intérêts à son co-indivisaire. La responsabilité du notaire ne doit pas être mise en cause puisqu’il doit avancer dans sa mission de liquidation judiciaire et exécuter un jugement exécutoire. Pour certains, il pourrait cependant y avoir un risque que la vente soit annulée en cas de réformation du jugement. Dans ce cas, la partie poursuivante serait susceptible de devoir assumer des dommages et intérêts, à l’acheteur cette fois.
Une infime partie de la doctrine estime même que si le notaire est requis de vendre, il doit s’y contraindre et ne peut même pas aviser les potentiels acquéreurs du risque de réformation du jugement de licitation.
Ce courant doctrinal est minoritaire, et la plupart des notaires estiment qu’ils doivent certes avancer dans les opérations de liquidation-partage sur base d’un jugement exécutoire mais qu’ils doivent informer l’acheteur du risque de réformation, ce qui pourrait avoir une incidence importante sur le prix de vente.
Aux praticiens, il est rappelé l’importance de soumettre au Tribunal les questions problématiques en amont, avant la désignation du notaire.
2) L’attribution préférentielle :
A nouveau, le jugement est exécutoire et le notaire doit aller de l’avant mais cela se fait aux risques et périls de la partie requérant le notaire.
Là encore, les sanctions de la réformation peuvent être soit l’annulation de l’attribution ou à tout le moins des dommages et intérêts à charge de la partie requérante après réformation du jugement. Toutefois, ici, les incidences de la réformation éventuelle du jugement ne concerneront que les parties.
3) Jugement ordonnant ou refusant la production de documents
Il est rappelé qu’un jugement ordonnant la production de documents n’est pas appelable et est donc exécutoire également (article 880 du code judiciaire).
Il en est de même des jugements avant dire droit sur pied de l’article 19, § 3 du Code judiciaire : ils sont exécutoires et le magistrat n’a pas le pouvoir de suspendre cette exécution provisoire.
4) Remplacement d’un notaire :
La décision de remplacement de notaire n’est pas appelable.
Elle est donc exécutoire.
Mais il existe toujours la théorie de « l’appel nullité » si le jugement de remplacement de notaire commet une grave erreur de procédure (par exemple, le notaire à remplacer n’est pas convoqué pour s’expliquer).
Pour certains, l’appel-nullité devrait être assorti de l’effet suspensif pour éviter exécution d’une décision prise en violation d’une règle de procédure essentielle.
5) Jugement sur PVI et jugement d’homologation de l’état liquidatif :
Il est rappelé que les jugements rendus sur PVI ou les jugements homologuant un état liquidatif sont également exécutoires par provision.
Seul un petit courant minoritaire exige une décision passée en force de chose jugée pour poursuivre la liquidation-partage ( art. 1218, §3, 3° et 1223, §5 du code judiciaire qui évoquent une « décision passée en force de chose jugée « , régime qui serait dérogatoire à l’article 1397 du code judiciaire)
Pour couper court à toutes discussions, il est rappelé encore une fois l’importance de signifier les décisions de liquidation-partage, ce que les praticiens avocats ont tendance à oublier.
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Sur interpellation d’un participant, nous débattons ensuite d’un casus particulier d’une liquidation-partage au cours de laquelle se pose la question de l’interprétation d’un testament qui fait l’objet d’un procès-verbal intermédiaire de difficultés alors que le jugement ordonnant la liquidation-partage et la vente des immeubles est exécutoire.
Il est rappelé que dans ce cas, le Tribunal aurait pu être saisi d’une question préalable relative à l’interprétation du testament (mais dans ce cas, on perd un degré de juridiction sur l’interprétation du testament qui ne sera pas confiée au notaire d’abord) ; il est également rappelé que le notaire liquidateur, dans ce cas, n’était pas obligé de rédiger un PVI mais pouvait trancher l’interprétation du testament en sa qualité de première juge de la liquidation et faire son état liquidatif sur lequel les parties pouvaient alors rédiger leurs contredits notamment relatif à l’interprétation du testament que le Tribunal trancherait ensuite.
2) Interprétation des testaments par Maître Laurent STERCKX, avocat au Barreau de Bruxelles
Il est rappelé que la question de l’interprétation des testaments est soumise à deux conditions préalables pour « accéder » au principe de l’interprétation puis, une fois ces conditions remplies, il faut passer la question de l’interprétation sous le filtre de trois principes d’interprétations.
Deux conditions préalables pour interpréter un testament :
- Il faut d’abord, bien entendu, un testament, c’est-à-dire un écrit sur pied de l’article 893 du Code civil (article 4.132, § 1 du nouveau Code civil). S’il n’y a pas d’écrit, il n’y a pas de testament et il ne peut y avoir d’interprétation de la potentielle volonté du testateur.
- Il faut que le testament soit obscur, c’est-à-dire qu’il y ait véritablement un doute sur la clarté du testament, doute qui ne vient pas forcément des termes mais est aussi susceptible d’émaner des circonstances de fait entourant la rédaction du testament.
Maître STERCKX nous cite l’exemple d’un testateur qui se trompe de nom dans son testament et emploie le nom d’une nièce décédée au moment de la rédaction du testament, à la place d’une seconde nièce dont tout le monde sait qu’il était très proche.
Dans ce cas, dès qu’il y a un doute, le juge peut procéder à l’interprétation du testament.
Ce principe est rappelé par la Cour de Cassation dans un arrêt du 28 octobre 1977.
Dès lors que le Tribunal a estimé qu’il y a un testament et qu’il est obscur, il peut procéder à l’interprétation en faisant application de trois principes :
- Le premier principe, primordial et principal, est le principe de la volonté.
L’article 1156 du Code civil doit être appliqué et le Juge doit rechercher l’intention du testataire derrière la rédaction de son testament : l’esprit doit primer sur la lettre.
Le Juge doit fournir un réel travail d’analyse en fonction des éléments de la cause et dispose d’une grande liberté puisque la Cour de Cassation n’a qu’une possibilité d’analyse marginale.
Maître STERCKX nous cite l’exemple de trois filles dont deux héritières réservataires et une héritière non réservataire car adoptée et un testament rédigé simplement : « je fais de mes trois filles des légataires universelles chacune pour 1/3 ».
Les deux héritières réservataires estimaient alors qu’elles avaient droit non seulement à leur réserve mais encore à 1/3 de la quotité disponible et que la sœur non réservataire n’avait droit qu’à 1/3 de la quotité disponible.
Dans ce cas, le Juge a pu faire appel à des témoins pour expliquer les circonstances du testament, et la volonté du testateur qui était de mettre ses trois filles sur un pied d’égalité de telle sorte que la fille non héritière réservataire a pu disposer d’1/3 de la succession et non de 1/3 de la seule quotité disponible.
- Le deuxième principe d’interprétation, plus subsidiaire mais important quand même, est la théorie de la cohérence.
C’est-à-dire que toutes les clauses du testament doivent s’analyser les unes par rapport aux autres pour garder une cohérence à l’ensemble sur pied de l’article 1161 de l’ancien Code civil.
L’article 1036 de l’ancien Code civil (article 4.126 du nouveau Code civil) énonce quant à lui que « les testaments postérieurs qui ne révoqueront pas d’une manière expresse les précédents, n’annuleront, dans ceux-ci, que celles des dispositions y contenues qui se trouveront incompatibles avec les nouvelles, ou qui seront contraires ».
Maître STERCKX nous cite l’exemple d’un premier testament où le testateur exhérède un de ses quatre enfants, F et institue ses petits-enfants légataires particuliers.
Puis dans un second testament, le testateur exhérède toujours F mais ne fait plus référence aux trois petits-enfants : « je lègue tous mes biens à mes trois enfants A, B et C mais pas à F ».
Cela veut-il dire que les petits-enfants sont déchus du premier leg ?
La Cour, dans son arrêt, a réfléchi à l’ensemble du texte des deux testaments, pour comprendre qu’à aucun moment, le testateur ne parle de ses petits-enfants dans le second testament car simplement, il veut clairement y déshériter F, sans cependant vouloir révoquer le testament en faveur de ses petits-enfants ; la clause du premier testament est donc maintenue en faveur des petits-enfants.
- Le troisième principe, également subsidiaire par rapport au premier principe d’interprétation mais qui peut le soutenir : la théorie de l’efficacité.
Quand deux clauses ont deux sens possibles, on choisit la clause qui permet au testament d’avoir le plus d’efficacité et d’utilité.
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Nous abordons ensuite la caducité du testament : quand le mobile déterminant du testament a disparu, est-ce que la disposition testamentaire est automatiquement annulée ?
A nouveau, les principes d’interprétation du testament peuvent s’appliquer à la question de la caducité du testament car le juge saisi doit se poser les questions de la volonté du testateur, et de la cohérence et de l’efficacité du testament pour apprécier si la clause testamentaire doit être annulée.
Exemple : « je lègue … à mon épouse » et au décès du testateur les parties sont divorcées.
La clause est-elle automatiquement caduque car il y a eu divorce ?
Le divorce entraîne-t-il automatiquement la disparition des sentiments et donc la volonté de révoquer un testament alors que ce testament subsiste et n’a pas été révoqué concrètement ?
Le Juge doit, dans cette analyse de la caducité du testament, faire appel aux principes d’interprétation du testament avec comme question principale la volonté du testateur : quelle est la vraie cause du testament ? le mariage ? l’affection entre les époux ? la volonté d’exhéréder d’autres héritiers légaux ? … Le plus souvent la cause est multifactorielle.
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Un intervenant parle du cas d’un testament rédigé à l’époque d’un concubinage où le testateur lègue à son concubine l’usufruit de son immeuble propre puis la concubine devient épouse ; certes, au moment du décès, on peut se poser la question de savoir si le testament est valable puisqu’on parle de concubine et non d’épouse mais ici, clairement, les règles impératives doivent s’appliquer : testament ou pas, l’usufruit du conjoint survivant (réserve concrète) s’applique sur l’immeuble familial sans discussion possible ; il n’y a donc pas réellement de question d’interprétation du testament.
Deuxième cas soumis par un intervenant : un testament est rédigé en arabe et la procédure se déroulant en français, chaque partie dépose une traduction par un traducteur juré qui diverge sur un point essentiel à la compréhension du testament.
Il est suggéré dans ce cas de faire en sorte que le Tribunal désigne un tiers expert qui devra établir la polysémie éventuelle, pour que le Tribunal puisse se saisir de la question de l’interprétation sur la base d’un testament obscur.
Un troisième cas est soumis aux intervenants : un testament prévoit : « je lègue à mon épouse la plus grande quotité disponible de mes biens, et si elle me prédécède, je lègue à une œuvre X à charge pour eux de faire un leg de 25 % à ma fille ».
La question se pose de savoir si la fille a droit à sa réserve + 25 % de la quotité disponible ou si dans l’esprit du testateur, il s’agissait de « déshériter » sa fille le plus possible de telle sorte qu’elle n’avait droit qu’à sa réserve de 50% (dont les 25 % de leg).
Le Tribunal a alors fait appel à des témoignages pour confirmer que le testateur voulait déshériter sa fille.
Maud COLLIGNON
Avocate au barreau de Verviers