La justice restauratrice[1] est un processus qui vise la réparation du dommage, l’apaisement du conflit et la restauration du lien social. En matière de justice protectionnelle, la justice restauratrice est prévue par la loi. Comment cette forme de justice complémentaire ou alternative et tournée vers la restauration trouve-t-elle sa place dans le paysage judiciaire des mineurs ?
Le projet de recherche « Alternative Ways to Address Youth » (AWAY) vise à mettre en lumière et à promouvoir la justice restauratrice en faveur des mineurs en conflit avec la loi au sein de plusieurs pays européens. Cofinancé par l’Union Européenne, il a vu le jour en janvier 2017, pour une durée de 2 ans. DEI-Belgique, la section belge de l’ONG « Défense des Enfants International », participe au projet AWAY. Elle a rendu ses conclusions concernant la Belgique dans un rapport national paru en 2017 et lance actuellement une campagne de sensibilisation auprès des professionnels.
Le rapport national fait état d’un paradoxe important : si notre dispositif légal en la matière s’affiche comme progressiste par rapport à d’autres États, la pratique de la justice restauratrice gagnerait encore à être plus plébiscitée et le recours à la médiation pour les jeunes en conflit avec la loi à être encouragé.
En Belgique, des méthodes de justice restauratrice ont commencé à être pratiquées dans le secteur de la justice des mineurs dès la fin des années 50. En 1965, la prestation éducative ou philanthropique est inscrite dans la loi. Ce n’est toutefois qu’en 2006 avec la réforme de la loi de 1965 que l’approche restauratrice se voit conférer un cadre légal. Les offres restauratrices – médiation et Concertation Restauratrice en Groupe (CRG) – deviennent alors des priorités à mettre en œuvre par le juge et le tribunal de la jeunesse. Enfin, tout récemment, le décret portant le code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse du 18 janvier 2018 a fait un pas de plus en donnant désormais la possibilité aux parties de faire spontanément la demande d’une offre restauratrice. Ce décret devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2019.
Concrètement, comment cela se passe-t-il ?
Lorsqu’un mineur commet un fait qualifié infraction, c’est la section jeunesse du parquet qui sera en charge de qualifier le fait et de déterminer l’orientation du dossier : il peut classer sans suite, saisir le tribunal de la jeunesse ou prendre des mesures relevant de ses compétences avec l’aide des criminologues attachés au parquet.
Dès lors qu’une victime est identifiée, le parquet doit considérer la possibilité d’orienter les parties vers une médiation avant de saisir le tribunal de la jeunesse. Ce dernier doit quant à lui envisager prioritairement une offre restauratrice (médiation ou CRG) avant de recourir à des mesures.
Lorsqu’une offre restauratrice est proposée, le juge ou le Procureur du Roi mandate l’un des 8 services d’actions restauratrices et éducatives (SARE) agréés en Fédération Wallonie-Bruxelles. Ces services travaillent sous mandat et sont notamment chargés de la mise en œuvre des médiations et des CRG.
Médiation ou CRG ?
Rappelons tout d’abord que tant la médiation que la CRG sont des « offres restauratrices ». Elles ne peuvent donc être mises en œuvre que si les personnes qui y participent y adhèrent de manière expresse et sans réserve tout au long du processus.
La médiation est confidentielle et permet aux deux parties – l’auteur de l’infraction et la victime – de s’exprimer sur l’acte commis. L’idée est d’offrir une possibilité de dialogue, de restaurer un lien qui a été brisé. Ce processus peut donner lieu à une rencontre des deux parties, mais ce n’est pas une obligation. À terme, l’objectif est d’arriver à un « accord de médiation » signé par le jeune, ses représentants légaux et la victime. Cet accord peut prendre différentes formes comme, par exemple, des excuses de la part de l’auteur ou une compensation de ce dernier à la victime par un geste symbolique. L’accord est envoyé au parquet pour approbation ou au tribunal pour homologation. Le service désigné établit ensuite un rapport sur l’exécution de l’accord et l’envoie au parquet ou au tribunal.
La CRG diffère de la médiation dans le sens où elle rassemble la victime, l’auteur, mais aussi une personne qui représente la communauté (comme, par exemple, un agent de police), l’entourage social de l’auteur et de la victime ainsi que toute personne utile au processus de résolution du conflit. L’idée est de pouvoir travailler sur les faits commis qui ont eu des conséquences sur les trois parties, communauté comprise. La CRG comprend ainsi une dimension plus communautaire et son objectif dépasse les conséquences subies par la victime.
(Trop) peu de recours à ces méthodes
Alors que le système de justice restauratrice est prévu par la loi depuis 2006, le rapport AWAY constate que les offres restauratrices restent sous-utilisées et que le recours à celles-ci dépendrait principalement de la personnalité des magistrats. Ce constat peut s’expliquer par une réticence de la part des juges et du parquet basée soit sur une méconnaissance des dispositifs, soit sur des craintes.
« Les juges et le parquet ne connaissent pas toujours bien ces dispositifs de médiation, ou ils sont sceptiques. Ils ont le sentiment que la justice restauratrice n’est pas assez forte et impactante sur le jeune. Ils ne croient pas toujours en son efficacité, même si les expériences vécues au sein des SARE sont globalement très positives ». Julianne Laffineur, DEI-Belgique
Précisons que la justice restauratrice n’a pas pour objectif d’être une alternative au classement sans suite ou aux poursuites judiciaires ; sa finalité est l’apaisement et la restauration du lien social et elle s’inscrit en parallèle au processus judiciaire. Si ses effets bénéfiques secondaires peuvent être une participation à la déjudiciarisation et la diminution de la récidive, il s’agit avant tout de permettre aux parties de devenir véritables actrices d’un processus qui les concerne directement, ce qui manque cruellement lors des procédures judiciaires « classiques » qui sont plutôt centrées sur le jeune en tant qu’auteur et très peu sur la victime.
En conclusion
Afin de pallier ces difficultés, DEI-Belgique propose de systématiser l’information relative à la possibilité d’entamer un processus restaurateur à tous les stades de la procédure (police, parquet, tribunal) et à l’égard de toutes les parties concernées. Cette information est d’autant plus cruciale que les parties pourront désormais en faire la demande spontanément, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent dans les affaires concernant les mineurs.
DEI-Belgique souhaite renseigner davantage les professionnels sur le fait que l’approche restauratrice peut trouver sa place dans la justice juvénile, sans exclure le processus judiciaire mais en étant complémentaire. Dans cet état d’esprit, DEI-Belgique lance une campagne avec les SARE pour informer les professionnels à propos de la justice restauratrice, des offres restauratrices possibles en Belgique et de leur fonctionnement. A cette fin, un leaflet explicatif, une affiche, un programme de formation en ligne et une vidéo ont été édités.
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« Chez DEI-Belgique, nous y voyons beaucoup de positif, particulièrement pour les mineurs : quand un enfant se retrouve en justice, il devient un numéro, un dossier, il n’a pas toujours droit à la parole ou selon une temporalité qui n’est pas toujours la sienne. Il doit suivre une procédure très lourde. Avec la justice restauratrice, une approche plus humaine, plus proche, plus adaptée est offerte en complément, ce qui concoure à une justice plus à l’écoute des besoins des enfants ». Julianne Laffineur, DEI-Belgique
Pour plus de renseignements sur le projet AWAY, n’hésitez pas à contacter Julianne Laffineur ou Benoit Van Keirsbilck à DEI-Belgique (02/203 79 08 – www.defensedesenfants.be)
[1] Texte issu de l'article d'Alix Dehin (AlterEchos - 5 novembre 2018)