On vivait dans un monde où les pervers narcissiques seraient bientôt aussi nombreux que les ruptures de couple. Le phénomène de mode était comparable à la surpopulation d’enfants HPI dans les classes. La normalité, si tant est que la notion existe, était devenue l’exception.
Nicolas Feuz, procureur du canton de Neufchâtel, est aussi l’auteur de seize romans policiers. Et il ne compte pas s’arrêter là.
Le Philatéliste est, avant tout, un roman noir qui fait penser à des films comme Seven ou Bone collector. Un tueur, qui semble particulièrement sadique, organise un savant jeu de piste au moyen de colis postaux. Leur caractéristique commune : ils sont oblitérés avec des timbres confectionnés avec de la peau humaine…
L’important n’est pas tant de comprendre quels sont les mobiles du criminel. Nicolas Feuz nous le fait comprendre dès l’entame du roman. Le coupable est manifestement « Sam le bouseux », comme l’avaient gentiment surnommé ses condisciples qui, on l’aura compris, le harcelaient quand il était môme. Aujourd’hui, Sam se venge.
Mais qui est Sam ? Qu’est-il devenu, trente ans plus tard ? Et que sont devenus ses harceleurs ? Ana Bartomeu, la policière chargée de l’enquête – mais qui, elle, ignore tout des mobiles du criminel – va tenter de le découvrir avec l’aide de Mitch, un surdoué de l’informatique mais qui, à la suite d’une affaire qui a mal tourné, semble avoir sombré dans l’alcoolisme. Suite en lisant l’ouvrage…
Aujourd’hui, la loi sur l’ADN ne permet que de définir le sexe de l’auteur d’un délit. Avec le phénotypage, on pourra aussi connaître la couleur de ses yeux, de ses cheveux, son âge et son origine ethnique. Politiquement, ce dernier point de plait pas à la gauche ni aux Verts. Quoi qu’il en soit, la technique du phénotypage n’est pas encore totalement au point et ce ne sera probablement jamais une preuve absolue, en tout cas pas dans un avenir proche. Mais qui sait, d’ici quelques années, on pourra peut-être reconstituer le visage de quelqu’un grâce à son ADN…
Nous n’en sommes pas encore là et Ana devra se contenter de moyens d’enquête plus classiques. Et, comme on le voit, Nicolas Feuz, qui sait parfaitement tenir ses lecteurs en haleine, ne se privera pas de distiller, çà et là, quelques-unes de ses réflexions sur l’évolution de notre justice criminelle.
À la foire du livre, alors que je venais de terminer Le Philatéliste, j’ai eu le plaisir de tomber, tout à fait par hasard, sur Nicolas Feuz qui dédicaçait son précédent ouvrage, Les larmes du lagon, tout juste sorti en livre de poche (et, par ailleurs, couronné du prix des lecteurs, sélection 2024). Nous y suivons Tanja Stojkaj, une policière aux techniques, disons, rugueuses (le procureur Feuz aurait-il un faible pour les policiers qui ne s’embarrassent pas trop de déontologie ? En voici en tout cas deux en deux romans…), qui s’est exilée à Bora-Bora pour s’y protéger de la mafia balkanique et, aussi, un peu, pour échapper à un mandat d’arrêt lancé contre elle à la suite d’une intervention qui a mal tourné... Elle s’y est réfugiée avec son fils et sa mère qu’elle veut tenir à l’écart de ces turbulences.
Mais elle est à peine arrivée que, sur la plage, son fils lui ramène, après quelques coquillages et un bernard-l’ermite, un doigt humain. La voici embringuée, volens nolens, dans une autre affaire de vengeance sur fond du scandale du Rainbow warrior (vous vous souvenez ? Lorsque les services secrets français firent sauter le bateau de Greenpeace, causant un mort, pour éviter que celui-ci ne perturbe leurs essais atomiques en Polynésie). Un suspense haletant, construit de façon plus classique, plein de rebondissements, mais surtout un personnage complexe, tiraillé entre l’amour de son fils (et de sa mère) et diverses autres pulsions, dont, bien sûr, celle de faire justice.
La justice, pas la vengeance.
Patrick HENRY,
Ancien Président