L’affaire des visas humanitaires

Les droits de l’Homme de Strasbourg ne sont pas universels

 

  1. En 2016, 4 membres d’une famille syrienne fuyant les combats à Alep se rendaient à l’ambassade de Belgique à Beyrouth. Ils se disaient menacés et sollicitaient l’obtention d’un visa de court séjour. Ils voulaient légalement se rendre en Belgique et y demander l’asile pour des raisons humanitaires. Une famille de namurois était prête à les héberger.

Il s’en est suivi une quarantaine d’instances au cours desquelles le Conseil du Contentieux des Etrangers imposera à l’Etat belge de délivrer un visa valable trois mois ou un laissez-passer à la famille. L’Etat belge refusera d’octroyer un visa de court séjour et ce, nonobstant un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles qui lui enjoignait de délivrer les visas ou les laissez-passer, sous peine d’astreinte.

  1. La famille porta l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’Homme. La question centrale était de savoir si un Etat est obligé ou non d’attribuer un visa humanitaire sur base d’une demande introduite dans une ambassade à l’étranger.

La Belgique était soutenue par 11 autres gouvernements. La famille requérante était quant à elle soutenue par 7 organisations non gouvernementales, dont AVOCATS.BE, représentée par Me Frédéric Krenc.

L’affaire a été plaidée en grande chambre le 24 avril 2019. Tous les bâtonniers de notre institution y étaient présents.

  1. Le 5 mars 2020, la haute juridiction de Strasbourg a déclaré la requête irrecevable.

Concernant le grief pris de la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants, en raison du refus de la délivrance d’un visa aux requérants), la Cour considère que les requérants ne relevaient pas de la juridiction de la Belgique lorsqu’ils ont demandé leurs visas depuis Beyrouth. L’irrecevabilité est rationae loci.

« Le simple fait de pénétrer dans une ambassade ne met pas l’étranger pour la délivrance des visas sous la responsabilité des Etats avec lesquels il n’a aucune attache. En décider autrement aboutirait à consacrer une application quasi universelle de la Convention, sur la base du choix unilatéral de tout individu où qu’il se trouve dans le monde ».

Concernant le grief pris de la violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme (droit à un procès équitable en raison de l’inexécution des décisions rendues par le conseil du contentieux des étrangers), la Cour a considéré que le contentieux sous-jacent, de l’entrée, de séjour et de l’éloignement des étrangers ne relevaient pas de cette disposition, dont le champ d’application est limité aux matières civiles et pénales. L’irrecevabilité est rationae materiae.

  1. Cet arrêt ne répond pas aux attentes des juristes humanistes qui ont suivi cette procédure de très près. Notre institution a pu être entendue en ce qu’elle portait la voix des avocats, des justiciables et des juges dont les décisions étaient inexécutées et dont l’autorité avait été méprisée. L’Etat de droit était en danger.

Nous avions plaidé l’application du principe de subsidiarité, c’est-à-dire qu’il revient au juge national d’appliquer la Convention européenne des droits de l’Homme. La Cour de Strasbourg n’intervient qu’en cas de carence ou de défaillance. Or, en l’espèce, le Conseil du Contentieux des étrangers avait fait une application juste de la Convention et avait accordé la protection de cette convention aux requérants. La juge interne qui décide d’être généreux dans la conception qu’il a des Droits de l’Homme et de la Convention européenne est fondé de le faire. Si la Cour désavoue le juge national, elle vide le principe de subsidiarité de sa substance. La Cour n’a pas répondu à ce moyen.

Il n’est pas fréquent de voir la Cour européenne des droits de l’Homme avancer une conception aussi restrictive de nos Droits humains et adopter une position en-deçà d’un juge national. La déception est grande.

 

Jean-Pierre Buyle, 
Ancien président d’AVOCATS.BE

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