« De gueules à la fasce alaisée d'argent », telle est l'énigmatique traduction dans la langue de l'héraldique du panneau de signalisation routière « Sens interdit ». Hiératiques blasons posés au bord des voies de circulation, les signaux choisis pour régler la circulation et guider les usagers de la route s'inscrivent dans une très longue tradition. Ils sont héritiers de l'héraldique et de symboles immémoriaux inscrits dans l'inconscient collectif. Aussi la couleur rouge s'est-elle naturellement imposée pour le panneau « Sens interdit » et pour le panneau « Stop ». Dans la psychologie collective, le rouge n'est-il pas associé depuis toujours au danger et à l'interdiction, au sang et aux flammes de l'Enfer ?
Les rapports entre le droit et la couleur sont nombreux. Parfois la couleur dit le droit (c'est le cas des panneaux routiers, des feux de circulation, des cartons des arbitres sportifs, des balises maritimes, ...). Parfois la couleur dit le statut (c'est le cas des casques bleus, des drapeaux blancs, des croix rouges, vertes ou blanches, ...). Parfois c'est le droit qui dit la couleur (à Wimbledon, on joue en blanc ; un piment d'Espelette, c'est rouge ; les anneaux olympiques ont cinq couleurs standard). Parfois la couleur est saisie par le droit (les semelles rouges des souliers Louboutin sont protégées par le droit, comme l'outrenoir d'Anish Kapoor, et tant d'autres).
Jacques Larrieu, professeur en droit de la propriété intellectuelle et de la concurrence, s'est livré à ce curieux inventaire des liens entre le droit et la couleur.
Son beau livre (il est d'un format respectable et abondamment illustré – et évidemment coloré) suit un plan original : les intersections entre couleurs et droit sont étudiées non par catégories, mais en suivant le spectre de l'arc-en-ciel, de violet à rouge, en ne manquant pas d'y ajouter le noir et le blanc (sont-ce des couleurs ? La discussion est éternelle, mais ce n'est pas l'objet de l'ouvrage).
En fonction de ses appétences, nous en apprendrons évidemment plus sur le droit de la propriété intellectuelle que sur d'autres domaines, mais ces derniers sont loin d'être ignorés.
Une couturière d'origine russe prénommée Milka a-t-elle le droit d'utiliser la couleur violette pour élaborer son logo informatique ? Kraft Foods, propriétaire des chocolats caractérisés par leur emballage violet, pensait que non. L’entreprise suisse n'a finalement pas obtenu raison.
Quid si un plombier inverse, en installant des robinets, la couleur rouge et la couleur bleue ? Surtout s'il peut faire valoir pour sa défense qu'il est daltonien ?
Pourquoi les couleurs rouge et verte des balises marines sont-elles inversées d'un côté de l'Atlantique à l'autre ?
Peut-on licencier une coiffeuse parce qu'elle a raté une coloration ? On dit pourtant que les hommes préfèrent les blondes ... Sauf Alain Souchon comme chacun le sait.
À la suite d'une pénurie d'indigo, l'armée française choisit, au XIXe siècle, d'opter pour le rouge pour l'uniforme de ses soldats. Mal lui en prit. Trop voyante, cette couleur fit de ses troufions des cibles idéales...
Pourquoi le drapeau blanc est-il blanc ? Grotius l'explique déjà dans Le droit de la guerre et de la paix, écrit en 1562. Mais il en trouve l'origine au premier siècle, lors de la guerre civile qui opposa les troupes romaines de Vitellius et de Vespasien.
Voici quelques-uns des articles que vous découvrirez dans cette curieuse encyclopédie. Mais je vous ai gardé le noir pour la fin.
Aucune disposition législative, aucun acte réglementaire n’est venu décréter que la robe d’audience serait noire. Etrangement, les textes édictés par les instances professionnelles ne traitent toujours pas du sujet : l’actuel Règlement intérieur national (RIN) de la profession d’avocat n’en souffle mot, pas plus que le Code de déontologie. À défaut de sources nationales, le conseil de l’Ordre du barreau local a compétence pour réglementer les modalités du port et de l’usage de la robe d’audience, a confirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 2 mars 2022. Ces règlements locaux ne nous apprennent rien de plus sur la couleur de la robe d’audience… Rien sur la couleur... C’est donc, faute de mieux, à une tradition ancienne dont l’origine demeure floue que l’on rattache cette teinte noire… Il faut donc admettre que la couleur noire de la robe de l’avocat français résulte de cette source de droit qu’est la coutume, un usage fondé sur une opinio juris seu necessitatis, c’est-à-dire sur la conviction, chez ceux qui s’y conforment, d’agir en vertu d’une règle qui s’impose à eux comme une règle de droit.
Quant à moi, je pensais que la robe noire, portée sans aucune décoration (mais il est vrai que nos confrères parisiens ne respectent pas cette règle), ni signe convictionnel, était le signe de notre égalité et de notre indépendance. Tous égaux sous la robe. Tous libres sous la robe. Et le noir a l’avantage de ne présenter aucune nuance, ou presque. Mais je sais que ce choix est loin d’être universel. Hier chez nous, ailleurs aujourd’hui, certaines robes d’avocats ne sont pas noires. J’ai dans mon téléphone une photo où je pose dans une belle robe ornée de rouge et de vert, échangée avec la consœur turque qui pose à mes côtés. Et je me souviens d’un confrère algérois dont la robe était rouge.
Erreur au-delà, vérité en deçà…
Patrick Henry,
Ancien Président