Assurance protection juridique

Libre choix de l’avocat dans une procédure de médiation judiciaire ou extrajudiciaire : un arrêt favorable de la Cour de Justice de l’Union européenne

Mes chers confrères,

Vous vous souviendrez qu’AVOCATS.BE et l’OVB avaient introduit un recours en annulation de la loi du 09 avril 2017 modifiant l’article 156 de la loi du 04 avril 2014 visant à garantir le libre choix d’un avocat ou de toute autre personne ayant les qualifications requises par la loi applicable à la procédure pour défendre les intérêts de l’assuré dans toute phase judiciaire, dans le cadre d’un contrat d’assurance protection juridique.

Notre recours était notamment fondé sur la violation de certaines dispositions de la Constitution belge, lues en combinaison avec l’article 201 de la directive 2009/138, dans la mesure où la loi ne prévoit pas le droit de choisir son avocat lors d’une procédure de médiation.

Avant de statuer, la Cour Constitutionnelle a posé à la Cour de Justice de l’Union européenne, la question préjudicielle suivante : « la notion de « procédure judiciaire » visée à l’article 201, paragraphe 1, [sous] a), de la [directive 2009/138] doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle inclut les procédures de médiation extrajudiciaire et judiciaire prévues par les articles 1723/1 à 1737 du [code judiciaire] ? ».

Nous avons le plaisir de vous informer qu’en son arrêt du 14 mai 2020, la Cour a répondu positivement à la question préjudicielle dès lors qu’elle dit pour droit que :

« l’article 201, paragraphe 1, sous a), de la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009, sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice (solvabilité II), doit être interprété en ce sens que la notion de « procédure judiciaire » visée à cette disposition inclut une procédure de médiation judiciaire ou extrajudiciaire dans laquelle une juridiction est impliquée ou susceptible de l’être, que ce soit lors de l’engagement de cette procédure ou après la clôture de celle-ci ».

Je vous reproduis ci-dessous, le premier commentaire de notre conseil, Me Frank JUDO :

« - Selon la Cour, la directive 2009/138 doit être interprétée à la lumière de son contexte et de ses objectifs, notamment la protection adéquate des intérêts des assurés. En se référant à sa jurisprudence antérieure relative à la directive, la Cour en déduit que la notion de « procédure judiciaire » ne peut être limitée aux procédures se déroulant devant une juridiction proprement dite, ni en opérant une différenciation entre la phase préparatoire et la phase décisionnelle d’une telle procédure. Ainsi, toute phase, même préliminaire, qui est susceptible de déboucher sur une procédure devant une instance juridictionnelle doit être considérée comme relevant de la notion de « procédure judiciaire » au sens de l’article 201 de la directive (voir les points 19-31 de l’arrêt).

- Il s’ensuit, en premier lieu, que la médiation judiciaire (telle que visée par le Code judiciaire belge), relève de la notion de « procédure judiciaire » : 

« 32. En l’occurrence, s’agissant de la médiation judiciaire, il résulte du dossier soumis à la Cour que cette médiation est nécessairement ordonnée par un juge saisi d’un recours juridictionnel et qu’elle représente une phase de la procédure judiciaire engagée devant une juridiction proprement dite, laquelle est, en principe, liée par l’accord de médiation éventuellement obtenu par les parties.

33. Dans ces conditions, considérer que cette médiation ne constitue pas, elle aussi, aux fins de l’article 201 de la directive 2009/138, une « procédure judiciaire » au sens de cet article, priverait, pour cette seule phase, l’assuré de son droit de choisir son avocat ou son représentant. Or, il ne saurait être contesté que l’assuré a besoin d’une protection juridique lors de la phase qui, une fois entamée, fait partie intégrante de la procédure devant la juridiction qui l’a ordonnée. Une telle interprétation est au demeurant conforme à l’objectif de la directive 2009/138, rappelé au point 26 du présent arrêt, et visant à assurer une protection adéquate des assurés, dans la mesure où elle leur permet de continuer à bénéficier de l’assistance du même représentant pour la phase proprement judiciaire de la procédure. »

- L’arrêt poursuit en précisant que le libre choix d’un avocat doit également être garanti en cas de médiation extrajudiciaire. A cet égard aussi, l’arrêt parle pour lui-même :

« 34. De même, s’agissant de la procédure de médiation extrajudiciaire, la circonstance que celle-ci n’intervienne pas devant une juridiction ne permet pas non plus de l’exclure de la notion de « procédure judiciaire » au sens de l’article 201 de la directive 2009/138.

35. En effet, une telle procédure de médiation est susceptible d’aboutir à un accord entre les parties concernées pouvant, à la demande même d’une seule d’entre elles, être homologué par une juridiction. En outre, dans le cadre de la procédure d’homologation, cette juridiction est tenue par le contenu de cet accord tel que défini par les parties lors de la médiation, en dehors des hypothèses dans lesquelles celui-ci est contraire à l’ordre public ou, le cas échéant, à l’intérêt des enfants mineurs. 

36. Il s’ensuit que l’accord auquel les parties parviennent, qu’il résulte d’une médiation judiciaire ou extrajudiciaire, a pour conséquence de lier la juridiction compétente qui procède à son homologation et présente, après avoir acquis force exécutoire, les mêmes effets qu’un jugement. » 

- En outre, la Cour souligne l’importance du rôle de l’avocat dans le cadre d’une procédure de médiation, notamment car une telle procédure est susceptible de fixer définitivement la position juridique de l’assuré (voir les points 37 et 38 de l’arrêt). La Cour ajoute que le droit de l’Union lui-même encourage le recours aux procédures de médiation, et qu’il serait donc « incohérent que le droit de l’Union encourage l’utilisation de telles méthodes et restreigne, dans le même temps, les droits des justiciables qui décident de se prévaloir de ces méthodes » (voir point 41 de l’arrêt). »

La procédure va donc maintenant reprendre son cours devant la Cour Constitutionnelle mais il est très probable que celle-ci, à la suite de cet arrêt de la CJUE, fasse droit à notre recours en annulant la loi du 09 avril 2017 modifiant l’article 156 de la loi du 04 avril 2014 relative aux assurances.

Nous ne manquerons évidemment pas de vous tenir informés du suivi de cette procédure.

Entre-temps, je vous prie, mes chers confrères, d’agréer l’expression de mes sentiments les plus dévoués.

 

Michel Ghislain, 
Administrateur

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