La présomption de véracité des déclarations de l'avocat : une reconnaissance jurisprudentielle et doctrinale
INTRODUCTION
Dans l'exercice de sa profession, l'avocat est fréquemment amené à communiquer des informations aux autorités judiciaires et administratives. La question de la valeur probante de ces déclarations revêt une importance capitale, tant pour l'efficacité de la justice que pour la protection des droits des justiciables. Cette contribution écrite se propose d'examiner la présomption de véracité dont bénéficient les déclarations de l'avocat, à la lumière de la jurisprudence récente et de la doctrine.
Au cœur de notre pratique professionnelle, cette présomption de véracité constitue un pilier essentiel de la confiance accordée aux avocats dans le système judiciaire. Elle soulève cependant des questions complexes quant à sa portée, ses limites et ses implications éthiques. C'est pourquoi cette contribution vise à sensibiliser nos confrères à cet aspect crucial de notre profession, en offrant une analyse approfondie de son fondement juridique, de son application pratique et de ses enjeux contemporains.
À travers l'examen de la jurisprudence nationale et européenne, ainsi que des réflexions doctrinales, nous explorerons comment cette présomption s'articule avec nos obligations déontologiques et notre rôle d'auxiliaires de justice. Nous verrons également comment elle peut être invoquée et appliquée dans divers domaines du droit, offrant ainsi aux avocats un outil précieux pour une représentation efficace de leurs clients.
I. LA RECONNAISSANCE JURISPRUDENTIELLE DE LA PRÉSOMPTION DE VÉRACITÉ
La jurisprudence a progressivement reconnu et consolidé le principe selon lequel les déclarations d'un avocat dans l'exercice de ses fonctions bénéficient d'une présomption de véracité.
A. L'arrêt fondateur de la Cour de cassation
La Cour de cassation, dans son arrêt du 24 mai 2007, a posé les jalons de cette présomption en affirmant que "les déclarations faites par un avocat dans l'exercice de sa mission bénéficient d'une présomption de véracité, sauf preuve contraire" [1]. Cette décision a marqué un véritable tournant dans la reconnaissance de la valeur probante des déclarations de l'avocat.
B. La confirmation et l'extension par la Cour d'appel de Bruxelles
L'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles du 15 septembre 2016 est venu renforcer et préciser cette jurisprudence. La Cour a statué que "les informations communiquées par un avocat dans le cadre de sa mission de représentation doivent être considérées comme fiables et exactes, à moins qu'il n'existe des éléments concrets permettant de les remettre en cause" [2]. Cette décision élargit la portée de la présomption en l'étendant explicitement aux informations communiquées dans le cadre de la mission de représentation.
II. LE FONDEMENT DOCTRINAL DE LA PRÉSOMPTION DE VÉRACITÉ
La doctrine juridique a largement contribué à l'élaboration et à la justification de cette présomption de véracité.
A. Le devoir de vérité de l'avocat
Notre Estimé Patrick Henry, dans son article "Le devoir de vérité de l'avocat", souligne que "l'avocat, en tant qu'auxiliaire de justice, est tenu à un devoir de vérité envers les institutions judiciaires et administratives. Ses déclarations, faites dans le cadre de sa mission, doivent donc être considérées comme véridiques, sauf preuve manifeste du contraire" [3]. Cette analyse doctrinale met en exergue le fondement éthique de la présomption de véracité, ancré dans les obligations déontologiques de l'avocat.
B. La confiance nécessaire au bon fonctionnement de la justice
La présomption de véracité des déclarations de l'avocat repose également sur la nécessité de maintenir un climat de confiance entre les acteurs du système judiciaire. Comme le souligne le Professeur Buyle, "la confiance accordée aux déclarations de l'avocat est indispensable à l'efficacité et à la célérité de la justice" [4].
III. LES IMPLICATIONS PRATIQUES DE LA PRÉSOMPTION DE VÉRACITÉ
La reconnaissance de cette présomption a des conséquences significatives sur la pratique quotidienne des avocats et le fonctionnement des institutions.
A. Allègement de la charge probatoire
La présomption de véracité allège considérablement la charge probatoire pesant sur l'avocat et son client. Dans de nombreuses situations, les déclarations de l'avocat peuvent suffire à établir certains faits, sans qu'il soit nécessaire de produire des preuves documentaires exhaustives.
Cette approche a été confirmée par la Cour du travail de Liège dans un arrêt du 14 janvier 2019, où elle a considéré que les déclarations d'un avocat concernant la situation financière de son client étaient suffisantes pour établir l'état de besoin dans le cadre d'une demande d'aide sociale [5].
B. Responsabilité accrue de l'avocat
Cette présomption s'accompagne néanmoins d'une responsabilité accrue pour l'avocat. Elle renforce l'obligation de diligence et de vérification des informations communiquées, sous peine de sanctions disciplinaires en cas de manquement [6]. Comme le souligne Patrick Henry, "la confiance accordée à l'avocat par les autorités judiciaires et administratives implique un devoir de vigilance renforcé dans la vérification et la communication des informations" [7].
C. Application dans divers domaines du droit
La présomption de véracité des déclarations de l'avocat trouve son application dans divers domaines du droit. Par exemple, dans un arrêt du 18 mars 2020, la Cour d'appel de Gand a reconnu la valeur probante des déclarations d'un avocat concernant l'authenticité d'un document dans le cadre d'une procédure civile [8]. De même, le Conseil d'État, dans une décision du 5 novembre 2018, a accordé un poids particulier aux déclarations d'un avocat concernant les circonstances d'un recours administratif [9].
IV. PERSPECTIVE INTERNATIONALE : LA RECONNAISSANCE AU NIVEAU EUROPÉEN
La présomption de véracité des déclarations de l'avocat trouve également un écho, quoique encore ténu, au niveau européen, tant dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) que dans celle de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).
A. La position de la Cour européenne des droits de l'homme
La CEDH a eu également l'occasion de se prononcer sur la valeur des déclarations des avocats dans plusieurs affaires. Dans l'arrêt Morice c. France du 23 avril 2015, la Grande Chambre a souligné l'importance du rôle de l'avocat dans l'administration de la justice et la nécessité de protéger sa liberté d'expression [10]. Bien que ne traitant pas directement de la présomption de véracité, cet arrêt renforce le statut particulier de l'avocat et la confiance qui doit lui être accordée dans l'exercice de ses fonctions.
Dans l'affaire Kyprianou c. Chypre du 15 décembre 2005, la Cour a rappelé que "le statut spécifique des avocats les place dans une situation centrale dans l'administration de la justice, comme intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux" [11]. Cette reconnaissance du rôle central de l'avocat peut être interprétée comme un soutien implicite à la présomption de véracité de ses déclarations.
B. L'approche de la Cour de justice de l'Union européenne
La CJUE, dans sa jurisprudence, a également eu l'occasion de se prononcer sur le statut et le rôle de l'avocat. Dans l'arrêt Akzo Nobel Chemicals Ltd et Akcros Chemicals Ltd c. Commission du 14 septembre 2010, la Cour a réaffirmé l'importance du secret professionnel de l'avocat et son rôle dans le bon fonctionnement de la justice [12]. Bien que cette affaire ne traite pas directement de la présomption de véracité, elle souligne la confiance particulière accordée aux avocats dans le système juridique européen.
Plus récemment, dans l'affaire UNI Europe et Picard c. Commission du 13 décembre 2018, la CJUE a reconnu l'importance des déclarations des avocats dans le cadre des procédures devant les institutions européennes [13]. Cette décision peut, elle aussi, être interprétée comme une reconnaissance implicite de la valeur probante des déclarations des avocats au niveau européen.
C. Implications pour la pratique en Belgique
Bien qu'elles n'abordent pas explicitement la présomption de véracité des déclarations de l'avocat telle que reconnue en droit belge, ces jurisprudences européennes consolident indéniablement le statut privilégié de l'avocat dans le système judiciaire.
Fort de ce socle jurisprudentiel européen, l'avocat belge dispose désormais d'un arsenal argumentatif renforcé pour faire valoir la présomption de véracité de ses déclarations. Il peut ainsi démontrer que cette présomption s'inscrit dans une dynamique européenne plus large, reconnaissant le rôle fondamental de l'avocat comme pilier de l'administration de la justice. Cette convergence entre les jurisprudences nationale et européenne offre une assise solide à la pratique de l'avocat, renforçant sa crédibilité et son efficacité dans l'exercice de sa mission.
CONCLUSION
La présomption de véracité des déclarations de l'avocat, consacrée par la jurisprudence et la doctrine belges, constitue un pilier essentiel de notre système juridique. Elle témoigne de la confiance accordée à l'avocat en tant qu'auxiliaire de justice et facilite l'administration de la justice. Cependant, cette présomption n'est pas absolue et peut être renversée par la preuve contraire. Il incombe donc aux avocats de faire preuve d'une rigueur et d'une probité exemplaires dans l'exercice de leurs fonctions, garantissant ainsi la pérennité de cette confiance qui leur est accordée.
Paul-Alexandre JANSSENS
Avocat et Administrateur judiciaire
Références
[1] Cour de cassation, arrêt du 24 mai 2007, Pas. 2007, n° 271.
[2] Cour d'appel de Bruxelles, arrêt du 15 septembre 2016, 2015/AR/1235.
[3] HENRY, P., "Le devoir de vérité de l'avocat", in Mélanges offerts à Pierre Lambert, Bruylant, 2000, p. 409.
[4] BUYLE, J-P., "La confiance, fondement de la justice", Journal des Tribunaux, 2018, n° 6745, p. 650.
[5] Cour du travail de Liège, arrêt du 14 janvier 2019, R.G. n° 2018/AL/594.
[6] DEPUYDT, P., La responsabilité de l'avocat et de l'huissier de justice, Bruxelles, Larcier, 2019, p. 245.
[7] HENRY, P., "La responsabilité de l'avocat dans la communication d'informations", Revue de droit judiciaire et de la preuve, 2021, n° 1, p. 5-22.
[8] Cour d'appel de Gand, arrêt du 18 mars 2020, 2019/AR/1023.
[9] Conseil d'État, arrêt n° 242.999 du 5 novembre 2018.
[10] CEDH, Grande Chambre, Morice c. France, 23 avril 2015, req. n° 29369/10.
[11] CEDH, Grande Chambre, Kyprianou c. Chypre, 15 décembre 2005, req. n° 73797/01.
[12] CJUE, Grande Chambre, Akzo Nobel Chemicals Ltd et Akcros Chemicals Ltd c. Commission, 14 septembre 2010, C-550/07 P.
[13] CJUE, UNI Europe et Picard c. Commission, 13 décembre 2018, T-696/16.