L’avocat mandataire sportif : de chrysalide à papillon ?

Le récent Rapport sur l’avenir de la profession et les débats qui s’en sont suivis démontrent que le statut de l’avocat n’est pas figé ; il est un véritable feu nourri. Nonobstant un attachement avéré à la tradition, si l’avocat vacille sur ces bases, il débat, s’adapte, se réinvente, se transforme, mais aussi il rêve.

Bien lointain est le temps où la profession d’avocat s’articulait exclusivement autour de la formule traditionnelle « conseiller, concilier et plaider ». L’avocat s’est rapidement détaché de ce triptyque classique pour exercer des activités périphériques et devenir notamment administrateur de société, syndic de copropriété, lobbyiste, détaché en entreprise, ou encore plus récemment délégué à la protection des données.

Cependant, lorsque l’avocat quitte son pré carré pour exercer une activité périphérique, il s’expose, en principe, à un changement de statut et il consent, dans une certaine mesure, à abandonner ses prérogatives usuelles — tel le secret professionnel —, comme l’a rappelé la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 23 janvier 2008. Il existe donc, d’une part, le périmètre de la profession — où l’avocat dispose de la totalité de ses prérogatives — et, d’autre part, des activités étrangères à ce périmètre.

Lors d’une assemblée générale du 15 octobre 2018, AVOCATS.BE a décidé de ne pas réglementer strictement le périmètre de la profession d’avocat mais de définir celui-ci, conformément à la position de la Cour constitutionnelle, comme « la mise au point de la situation juridique du client, à savoir les activités de conseil, d’information, d’explications, d’assistance et de défense juridiques ».

Aussi, au-delà de ce noyau dur, il convient d’examiner si et dans quelles conditions l’activité périphérique envisagée serait compatible avec les exigences de la profession. Cette mission est dévolue aux autorités ordinales.

Ces prémisses étant posées, l’actualité nous donne l’occasion d’aborder une activité qui pourrait rejoindre à terme les rangs de ces activités « compatibles » : celle d’agent sportif ou celle contiguë mais néanmoins différente de mandataire sportif.

Cette activité consiste à assister, représenter et négocier au nom d’un joueur, d’un entraîneur, d’un club ou d’une organisation sportive dans le cadre de la conclusion d’un contrat relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive.

Inventée aux États-Unis par des avocats, elle est rapidement devenue l’apanage d’autres professionnels aux formations variées, souvent mus par l’esprit du lucre et dont les pratiques se sont régulièrement avérées sujettes à la critique même s’il existe des intermédiaires compétents et respectables.

Très récemment, en Belgique, et en particulier dans le milieu du football, les initiatives se sont multipliées pour redorer le blason de cette profession : nomination d’experts par la Pro-League, création d’une fédération professionnelle des agents, projet de loi visant à instaurer une licence pour les agents sportifs en Belgique, etc. La profession est indéniablement en pleine mutation et se cherche des lendemains meilleurs.

En France, les avocats peuvent notamment, dans le cadre de la réglementation qui leur est propre, assister et représenter l’une des parties intéressées à la conclusion d’un contrat relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive. L’avocat propose ainsi une alternative aux acteurs du milieu sportif leur assurant indépendance et transparence dans la gestion de leurs différents contrats.

L’avocat jouit également en ce domaine d’un précieux savoir-faire et dispose des compétences nécessaires pour cet exercice dont il est d’ores et déjà familier. Il est en effet un négociateur prudent, un conciliateur éclairé et un rédacteur averti.

Les auteurs du Rapport sur l’avenir de la profession estiment que « L’avocat doit pouvoir cumuler l’activité d’avocat avec l’exercice d’autres services juridiques. Ainsi, l’avocat pourrait exercer deux professions distinctes, en ce compris des activités relevant du droit ou de conseil dans différents domaines qui ne sont pas caractéristiques de la mission d’avocat comme celle (…) d’agent (de sportif ou d’artiste) ». 

Si l’idée peut paraître séduisante, d’aucuns auront à l’esprit les termes quelque peu désuets de l’article 437 du Code judiciaire selon lequel la profession d’avocat est incompatible avec « l’exercice d’une industrie ou d’un négoce », soit la profession de commerçant. Les commerçants sont « ceux qui exercent des actes qualifiés commerciaux par la loi et qui en font leur profession habituelle, soit à titre principal, soit à titre d’appoint » au sens de l’article 1er du Code de commerce.

Si à terme cette interdiction devrait disparaître avec l’avènement de la loi sur la modernisation de la profession et qu’elle se marie difficilement avec la notion d’avocat-entreprise, il n’en demeure pas moins qu’elle s’applique aujourd’hui pleinement. 

Ceci étant, cette interdiction existait également outre-Quiévrain et n’a nullement constitué un obstacle infranchissable pour nos voisins. En effet, l’avocat n’y est pas un agent sportif, mais un mandataire sportif dont le mandat n’a pas pour objet principal d’exercer des actes de courtage — soit la mise en relation entre le joueur ou l’entraîneur et le club et qui demeurent l’apanage de l’agent de joueur —, mais essentiellement d’assister et représenter son mandant dans les négociations contractuelles qui jalonnent sa carrière.

Si ce premier volet ne pose pas de difficulté, l’acte de courtage qui serait exercé par l’avocat doit, quant à lui, être réfléchi et circonscrit dès lors qu’il constitue un acte de commerce par nature. À cet égard, en France, le Conseil National des barreaux a estimé à l’époque que l’avocat pouvait exercer un acte de courtage sans violer l’interdiction de principe de se livrer à des activités mercantiles à condition que (i) cet acte reste l’accessoire de la prestation juridique de rédaction d’actes ou de conseil et (ii) qu’il soit posé dans l’intérêt commun des deux parties.

En Belgique, la question s’est posée dans des termes similaires à l’égard des notaires qui exerçaient, en sus de leur mission classique, une activité de négociation immobilière. Ces derniers, en vertu de l’article 6, alinéa 1er, 6 ° de la loi du 25 ventôse an XI contenant organisation du notariat, ne peuvent exercer, par eux-mêmes ou par personne interposée, un commerce. Cependant, pour la Cour de cassation, le courtage immobilier effectué par le notaire est l’accessoire de l’authentification de la vente d’immeuble. Partant, l’acte de courtage - n’étant pas à titre principal - n’est pas commercial et échappe à l’interdiction précitée (Cass., 11/06/2010, J.T., 2010/31, n° 6407, p. 536-538). Cette activité n’est pas plus exercée à titre d’appoint dès lors qu’il ne s’agit nullement d’une activité distincte de l’activité principale, mais bien l’accessoire de celle-ci.

Cet enseignement nous semble pouvoir s’appliquer mutatis mutandis à l’avocat mandataire sportif à condition naturellement que l’acte de courtage demeure l’accessoire de la prestation juridique, épicentre de son intervention. 

Le débat est de taille, mais s’annonce passionnant. Certes, toute évolution ne doit pas se faire sans se poser de questions et les termes de l’équation sont connus : il faut que cette nouvelle activité soit compatible avec les valeurs fondamentales de la profession et obéisse aux trois exigences indéfectibles : indépendance, probité et dignité.

Nous n’apercevons cependant pas ce qui empêcherait les autorités ordinales, comme elles l’ont déjà fait par le passé, de fixer les balises nécessaires à la compatibilité de ces deux activités afin que l’avocat puisse conserver sa singularité.

Puissent ces quelques lignes nourrir le débat, et permettre, lorsque les conditions seront réunies, à la chrysalide de devenir papillon. 

 

Thomas Metzger,
Avocat au barreau de Bruxelles

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