"La défense est-elle libre en Belgique ?" : compte-rendu de la journée européenne des avocats

Depuis 2014, la Journée européenne des avocats est organisée chaque année par le Conseil des barreaux européens (C.C.B.E.). L’objectif de cette journée est de promouvoir auprès des citoyens l’Etat de droit et le rôle essentiel de l’avocat.

Le thème choisi pour cette année était « L’importance des avocats : la défense des défenseurs de l’État de droit ». A cette occasion, AVOCATS.BE et le Barreau de Bruxelles ont organisé, en collaboration avec l’association des étudiants de l’Université Libre de Bruxelles, une conférence intitulée « La défense est-elle libre en Belgique ? ».

Cette conférence a rassemblé plusieurs intervenants :

  • Gregory Lewkowicz, Professeur à l’U.L.B. et modérateur de la conférence ;
  • Me Olivia Venet, avocate au barreau de Bruxelles et Présidente de la Ligue des droits de l’Homme ;
  • Me Jean-Marie Dermagne, ancien bâtonnier de Dinant, membre de la Ligue des droits de l’Homme et du Syndicat des Avocats pour la Démocratie ;
  • Me Jan Fermon, avocat au barreau de Bruxelles et membre de l’Association internationale des juristes démocrates ;
  • Me Martin Pradel, avocat au barreau de Paris.

Ont également participé à l’évènement MM. Abdelmonim Hendriks et Francesco Lubaki (étudiants de la faculté de droit de l’UL.B.) ; Me Jean-Pierre Buyle, Président d’AVOCATS.BE ; Me Michel Forges, Bâtonnier de l’Ordre français de Bruxelles ; et Me Peter Callens, Bâtonnier de l’Ordre néerlandais de Bruxelles.

Jean-Pierre Buyle a tout d’abord accueilli les participants, saluant la présence des bâtonniers Michel Forges et Peter Calens et présentant Anne Jonlet, responsable du Bureau européen de liaison d’AVOCATS.BE et du Barreau de Luxembourg. Le Président d’AVOCATS.BE a également rappelé les différents évènements organisés par AVOCATS.BE pour la Journée européenne de l’avocat lors de ces dernières années, tout en soulignant l’importance de l’organisation d’une telle journée.

Abdelmonim Hendriks et Francesco Lubaki, étudiants à la faculté de droit de l’U.L.B., ont également pris la parole pour saluer le thème de cette année, particulièrement pertinent aujourd’hui à la lumière des pressions auxquelles font face les avocats en Belgique.

Les interventions

Olivia Venet, la première intervenante de la soirée, a tout d’abord informé les participants que la Ligue des droits de l’Homme, dont elle est la présidente, changera de nom en décembre 2018 pour devenir la Ligue des droits humains, ce nom permettant d’inclure plus de diversité en termes de genre.

Olivia Venet a illustré les difficultés auxquelles est confrontée la Ligue dans sa défense des droits humains, à travers deux exemples concrets : l’affaire des soudanais, dans laquelle la Cour d’Appel a considéré en 2017 que sans mandat légal, la Ligue n’avait pas d’intérêt à agir ; et une requête en suspension introduite en urgence par la Ligue concernant une vente d’armes par la Belgique à l’Arabie Saoudite, affaire dans laquelle le Conseil d’Etat a reconnu l’intérêt à agir à la Ligue tout en refusant toutefois d’appliquer une procédure d’urgence.

Ces exemples montrent que le manque de reconnaissance de l’intérêt à agir pour des associations comme la Ligue des droits de l’Homme reste un obstacle sérieux à la défense des droits humains. Olivia Venet a rapporté que la Cour constitutionnelle belge a appelé le législateur à réagir, sans que celui-ci n’y ait donné suite pour l’instant.

Prenant la parole à la suite d’Olivia Venet, Jean-Marie Dermagne a expliqué aux participants qu’il considère que la défense est bien libre en Belgique, à condition qu’on en limite la portée et la définition.

Selon lui, la défense est libre : si on la limite au droit de plaider ; si les avocats ont accès aux médias ; si les avocats « grimpent » jusqu’à la Cour de Strasbourg. La défense est libre, mais de jour en jour, l’accusation du ministère public l’est également de plus en plus. La défense est libre, si on perd de vue le pouvoir discrétionnaire grandissant de l’exécutif ; si on écarte que le droit de la procédure pénale s’est rétrécit depuis des années ; si on oublie le fait que de plus en plus de requérants ont du mal de faire appel à un défenseur et font office de « chair à condamnations par défaut ». La défense est libre, si on ne prend pas conscience qu’il existe une « chappe de plomb » qui favorise l’autocensure de la défense.

Cependant, il affirme que si l’on continue de lutter pour la défense des droits humains, pour l’accès à la justice et pour les libertés individuelles, on peut avoir espoir. A ce titre, il considère que le travail d’AVOCATS.BE est « exemplaire ».

L’orateur suivant, Jan Fermon, membre de l’Association internationale des juristes démocrates, a donné à son intervention une perspective plus internationale.

Entre autres exemples, il a notamment cité le cas de Selçuk Kozağaçlı, avocat soumis à des emprisonnements répétés en Turquie, pour son travail en tant qu’avocat. Face à de telles pratiques, Jan Fermon a affirmé que la défense en Belgique apparait bien libre. Et ce, même comparée aux politiques de ses pays voisins, comme l’Allemagne (où l’accès de détenus suspects d’activité terroriste à un avocat est soumis à des règles très strictes) ou en Hollande (où le rôle du bâtonnier est largement en retrait par rapport à la Belgique).

Cependant, il a souligné que la défense en Belgique n’est pas dépourvue d’obstacles. Il reste notamment le problème considérable de l’accès à la justice pour les victimes de multinationales belges à l’étranger, venus demander justice en Belgique et pour qui intenter un recours reste très coûteux. L’accès à la justice reste donc un réel problème, y compris en Belgique.

Enfin, en tant qu’avocat au Barreau de Paris exerçant parfois en Belgique, Martin Pradel a exprimé son point de vue selon lequel l’accès à la justice des détenus est parfois plus simple en Belgique qu’en France, illustrant ses propos de ses expériences.

En outre, pour avoir milité à la F.I.D.H. et à l’Union internationale des avocats, Martin Pradel s’est dit saisi de la difficulté que les avocats rencontrent parfois à défendre, du fait d’une forme d’autocensure pour les cas sensibles. Martin Pradel a souligné qu’il constate actuellement en France un « glissement » dans la conception des magistrats et de la façon de rendre la justice. L’avocat constate en effet que les juges en France ne semblent plus avoir le sens du droit, mais de l’Etat.

« Faut-il être courageux en Belgique pour juger ? » Selon lui, la réponse à cette question donne un indice sur l’étendue de la liberté de la défense dans le pays.

Le débat

Au sujet de la question de l’effectivité des décisions, Olivia Venet s’est dite alarmée face à la volonté délibérée du gouvernement de ne pas respecter des décisions de justice nationales et européennes, ou encore de refuser de suivre des recommandations des Nations Unies. Pour elle, aujourd’hui, « Le gouvernement foule la justice ». Cette attitude se manifeste par ailleurs dans la part de budget alloué à la justice en Belgique, très limitée, ce qui a pour conséquence de limiter également l’accès à la justice pour les justiciables.

Réagissant également à cette question, Jan Fermon a affirmé qu’il existe aujourd’hui selon lui un « triangle infernal » composé des trois éléments suivants : une volonté claire de l’exécutif de prendre le dessus ; un sous-financement de la justice ; une privatisation d’une partie de la justice.

Un avocat turc a également pris la parole au sujet des problèmes de droit à la défense qui se posent aujourd’hui en Turquie.

Il a notamment rapporté que 1546 avocats sont actuellement poursuivis en Turquie, 590 sont détenus, et 107 ont reçu des peines allant jusqu’à 12 ans de prison. L’avocat a ajouté que dans le monde entier, même dans des pays que l’on devrait pouvoir qualifier de « démocratiques » en Europe, comme la Hongrie et la Pologne, il est nécessaire de continuer à militer pour le droit à la défense. Il a suggéré à ce titre la possibilité de compter davantage sur les tribunaux internationaux.

Martin Pradel, qui a publié un rapport en 2014 sur la situation de la protection des droits humains en Turquie à la demande la F.I.D.H., a renchérit en affirmant que les mouvements de dissonance ou d’indépendance ont depuis longtemps été réprimés en Turquie et qualifiés comme « activités terroristes ». Il a souligné à ce titre que ce qui se passe en Turquie aujourd’hui pourrait parfaitement nous arriver en Europe, selon qui tient les rênes du pays. Martin Pradel a cependant affirmé que la C.E.D.H. est un levier important contre l’autoritarisme de la Turquie, en dépit des efforts de celle-ci pour se soustraire à ses arrêts.

Olivia Venet est également intervenue pour insister sur la nécessité de rester vigilants vis-à-vis de la défense en Belgique. Elle a insisté sur la nécessité de se battre au quotidien et de lutter contre une forme d’accoutumance à la pression.

Répondant à la critique selon laquelle les magistrats ne réagissent pas suffisamment contre les attaques visant la défense de la justice, Jean-Marie Dermagne a souhaité donner l’exemple de magistrats qui prennent des décisions courageuses. Il a également souligné l’importance de continuer à organiser des évènements comme la Journée européenne de l’avocat.

Rappelant le rôle essentiel joué par les Ordres pour l’indépendance de la justice, Gregory Lewkowicz a alors donné la parole aux bâtonniers Peter Callens et Michel Forges.

Pour Peter Callens, nous sommes à présent à la croisée des chemins concernant le choix de société dans lequel nous voulons vivre. Se référant à plusieurs évolutions législatives au niveau national et européen jugées préoccupantes pour la défense de la profession, ainsi qu’aux propos tenus par le secrétaire d’Etat à l’asile et à l’immigration contre les avocats, le bâtonnier a insisté sur la nécessité pour le barreau de conserver son rôle de contre-pouvoir et de ne pas devenir le bras prolongé de l’exécutif.

A son tour, Michel Forges a souligné que le bâtonnier est un rouage essentiel de la défense des avocats, qui sont sujets à plusieurs menaces sans que le public ne les soutienne toujours. Par ailleurs, il a également évoqué l’existence d’un pouvoir à la marge (indignés, syndicats, lanceurs d’alerte) qui se lèvent et réagissent avec les avocats pour la défense de la justice, contre les préjugés.

En conclusion

La conférence aura donc permis aux intervenants et participants d’échanger réflexions et expériences autour des questions que pose la problématique de la défense en Belgique et au-delà. Si celle-ci apparaît libre en Belgique, à la lumière de la situation qui prévaut dans d’autres pays du monde, elle n’en est pas moins largement perfectible, notamment en ce qui concerne la question de l’accès à la justice.

 

Ainsi qu’il ressort des discussions, il est important de « rester vigilants » pour l’avenir et de continuer de se battre pour la défense des droits humains et de la justice elle-même.

 

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