Le Ministre de la Justice a veillé à la publication, sur le site du SPF Justice, du Rapport annuel sur le contentieux de la Belgique devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme en 2016-2017.
Ce rapport fait référence à la Déclaration de Bruxelles de mars 2015, adoptée durant la présidence belge du Conseil de l’Europe. Cette déclaration insiste sur la responsabilité partagée entre la Cour, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe et les Etats membres pour la mise en œuvre de la Convention. Du reste, la publication de ce rapport en constitue une illustration.
La Déclaration de Bruxelles comporte aussi un important volet relatif à l’importance fondamentale de l’exécution des arrêts de la Cour et le rapport décrit, au regard de chaque arrêt de violation, les mesures individuelles et générales prises au plan de leur exécution.
82 recours ont été portés à la connaissance de l’Etat belge, parmi lesquels 8 de violations, 8 de non-violations, 14 d’irrecevabilités et 5 de radiations, ainsi que 47 affaires encore pendantes.
L’objet de la présente contribution vise l’analyse des 8 arrêts de violations.
Relevons que 5 arrêts constatent des violations de l’article 3 de la Convention visant l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants, 2 sont relatifs à des violations de l’article 6 de la Convention consacrant le droit à un procès équitable et 1 arrêt décide d’une violation de l’article 8 faisant valoir le droit au respect de la vie privée et familiale.
Les arrêts fondés sur des violations de l’article 3 de la Convention concernent essentiellement les questions endémiques des détentions en Belgique, s’agissant de la détention de personnes internées dans des établissements pénitentiaires (Arrêt W.D. c. Belgique du 6 septembre 2016) ou de personnes purgeant une condamnation à une peine de prison (Arrêt SYLLA et NOLLOMONT c. Belgique du 16 mai 2017 ; Arrêt ROOMAN c. Belgique du 18 juillet 2017) ; un arrêt vise la question de l’expulsion du requérant (Arrêt PAPOSHVILI c. Belgique du 13 décembre 2016), un autre étant relatif à l’absence d’enquête sérieuse et approfondie à la suite d’une plainte pénale (Arrêt B.V. c. Belgique du 2 mai 2017).
Arrêt W.D. c. Belgique du 6 septembre 2016
Interné à la section de défense sociale de la prison de Merksplas, le requérant explique qu’en dehors de l’accès au service psychiatrique de la prison, aucune thérapie ni surveillance médicale particulière personnalisée ne fut entreprise à son égard. De plus, en raison des refus opposés par les établissements du circuit résidentiel et les hôpitaux psychiatriques, il subit sa détention sans perspective réaliste d’une quelconque prise en charge thérapeutique extérieure et donc sans espoir d’une réinsertion dans la société
La Cour estime que les autorités nationales n’ont pas assuré une prise en charge adéquate de l’état de santé du requérant lui permettant d’éviter de se trouver dans une situation contraire à l’article 3 de la Convention. Son maintien en aile psychiatrique sans espoir réaliste d’un changement, sans encadrement médical approprié et pendant une période significative constitue une épreuve particulièrement pénible l’ayant soumis à une détresse d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.
En outre, la Cour considère que l’internement du requérant dans un lieu inadapté à son état de santé, a rompu le lien requis par l’article 5 § 1 e) de la Convention entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles elle a lieu et, partant, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.
Par ailleurs, au vu de l’analyse du système belge tel qu’il était en vigueur au moment des faits, la Cour conclut que le requérant ne disposait pas, pour faire valoir ses griefs tirés de la Convention, d’un recours effectif en pratique, c’est-à-dire susceptible de redresser la situation dont il est victime et d’empêcher la continuation des violations alléguées, de sorte qu’elle conclut à une violation de l’article 5 § 4 et de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention.
Notons que cet arrêt a fait l’objet de la procédure de l’arrêt pilote qui entraine la suspension de l’examen des requêtes similaires durant deux ans, période durant laquelle l’Etat belge doit remédier à la situation des requérants ayant porté leurs affaires devant la Cour.
Arrêt SYLLA et NOLLOMONT c. Belgique du 16 mai 2017
M. Sylla séjourna à la prison de Forest dans une cellule de 9 m2 avec deux autres détenus, avec la circonstance que l’accès à la cour de promenade était limité à une heure par jour, aucune autre activité hors cellule n’était prévue, l’accès aux douches était limité à deux fois par semaine et il est arrivé que l’eau soit froide en raison de pannes ; les vêtements, draps et serviettes étaient changés toutes les trois semaines
M. Nollomont a partagé, à la maison d’arrêt de Lantin, une cellule de 8,8 m² avec un autre détenu. Les conditions de détention étaient les suivantes : l’accès à la cour de promenade est limité à deux fois une heure par jour, le reste du temps étant passé en cellule en l’absence d’activité de type communautaire, les toilettes se situant dans la cellule à côté du lit et n’étant pas cloisonnées si ce n’est par la présence d’un paravent en bois face à la porte, l’accès aux douches avait lieu deux fois par semaine et il arrivait que l’eau soit froide en raison de pannes, les vêtements, draps et serviettes étaient changés une fois par mois, et la cellule nettoyée deux fois par semaine par les détenus. Les détenus sont autorisés à fumer dans les cellules, lesquelles ne sont pas équipées de détecteur de fumée.
La Cour, en ce qui concerne les conditions matérielles de détention en Belgique en général et dans plusieurs prisons en particulier fait référence à un précédent arrêt (Vasilescu c. Belgique, no 64682/12, 25 novembre 2014) contenant des extraits pertinents de documents internes et internationaux relatifs aux problèmes structurels rencontrés en Belgique dans ce domaine.
La Cour estime que le manque d’espace dont a disposé M. Sylla, combiné à l’absence d’activités hors cellule suffit pour considérer que le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention est atteint et elle conclut à une violation de l’article 3 de la Convention.
La Cour estime, en ce qui concerne M. Nollomont, que du fait de la combinaison d’un régime pauvre en activités extérieures à la cellule, et au sein de la cellule, de l’exposition au tabagisme passif ainsi que du manque d’intimité dans l’usage des toilettes, le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention est atteint ; elle conclut à une violation de l’article 3 de la Convention.
Arrêt ROOMAN c. Belgique du 18 juillet 2017
Le requérant explique que, tout au long de son internement durant 13 années, il n’a bénéficié d’aucune prise en charge thérapeutique de ses problèmes de santé mentale ; il se plaint de n’avoir bénéficié d’aucune prise en charge au motif que l’établissement où il est interné, situé dans la région de langue française de Belgique, ne dispose d’aucun personnel soignant parlant l’allemand, une des langues officielles en Belgique et seule langue qu’il maîtrise. De ce fait et de l’absence de toute perspective de voir la situation évoluer, il en a résulté une détérioration de son état de santé mentale.
La Cour conclut à un traitement dégradant en raison du maintien en détention du requérant qui, à l’exception de deux périodes de quelques mois, n’a pas bénéficié d’une psychologue germanophone et, partant, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.
Notons qu’une demande de renvoi devant le Grande Chambre, introduite par le requérant a été acceptée.
Arrêt PAPOSHVILI c. Belgique du 13 décembre 2016 (Arrêt de Grande Chambre)
Le requérant, de nationalité géorgienne, est arrivé en Belgique, en novembre 1998, accompagné de son épouse et d’un enfant.
Dès décembre 1998, le requérant et son épouse ont été interpellés à plusieurs reprises pour des faits de vol et ont fait l’objet de condamnations à des peines d’emprisonnement ferme.
Depuis 2006, plusieurs affections médicales ont été diagnostiquées dans le chef du requérant : leucémie, troubles respiratoires, tuberculose, hépatite C. Des traitements médicaux spécifiques lui ont été prescrits.
3 demandes de régularisation pour circonstances exceptionnelles et 2 demandes de régularisation pour raisons médicales ont été rejetées par l’Office des Etrangers et les recours ont été rejetés par le Conseil du Contentieux des Etrangers.
En revanche, son épouse a obtenu, pour elle et ses trois enfants, une autorisation de séjour illimité, le 29 juillet 2010.
Le 18 février 2012, l’Office des Etrangers délivra un ordre de quitter le territoire « immédiat » et le Conseil du Contentieux des Etrangers rejeta le recours par un arrêt du 29 mai 2015.
Entre-temps, le 23 juillet 2010, invoquant les articles 2, 3 et 8 de la Convention et se plaignant que, s’il était éloigné vers la Géorgie, il n’aurait plus accès aux soins de santé dont il avait besoin et que, vu son espérance de vie très courte, il décèderait dans des délais encore plus brefs et loin des siens, le requérant saisit la Cour d’une demande de mesures provisoires sur la base de l’article 39 de son règlement.
À la suite du décès du requérant le 7 juin 2006, ses proches ont exprimé le souhait de poursuivre la procédure et la Cour a estimé que des circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles exigeaient qu’elle poursuive l’examen de la requête conformément à l’article 37 § 1 in fine de la Convention.
Dans le cadre de l’arrêt de chambre, la Cour conclut qu’aucune circonstance exceptionnelle ne s’opposait, à ce stade, à l’éloignement du requérant.
La Cour, réunie en Grande Chambre, a rappelé que, dans l’affaire N. c. Royaume-Uni qui concernait l’éloignement d’une ressortissante ougandaise malade du sida vers son pays d’origine, ni le fait d’ordonner l’expulsion d’un étranger atteint d’une maladie grave vers un pays où les moyens de traiter cette maladie étaient inférieurs à ceux disponibles dans l’État partie, ni le fait que l’intéressé connaîtrait une dégradation importante de sa situation, et notamment une réduction significative de son espérance de vie, ne constituaient en soi des circonstances « exceptionnelles » suffisantes pour emporter violation de l’article 3.
La Cour estime qu’il faut entendre par « autres cas très exceptionnels » pouvant soulever, au sens de l’arrêt N. c. Royaume-Uni (§ 43), un problème au regard de l’article 3 les cas d’éloignement d’une personne gravement malade dans lesquels il y a des motifs sérieux de croire que cette personne, bien que ne courant pas de risque imminent de mourir, ferait face, en raison de l’absence de traitements adéquats dans le pays de destination ou du défaut d’accès à ceux-ci, à un risque réel d’être exposée à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des souffrances intenses ou à une réduction significative de son espérance de vie.
En conclusion, la Cour estime qu’en l’absence d’évaluation par les instances nationales du risque encouru par le requérant à la lumière des données relatives à son état de santé et à l’existence de traitements adéquats en Géorgie, les éléments d’information dont disposaient ces instances ne suffisaient pas à leur permettre de conclure qu’en cas de renvoi vers la Géorgie, le requérant n’aurait pas couru de risque concret et réel de traitements contraires à l’article 3 de la Convention
Au plan de l’article 8 de la Convention, l’arrêt de chambre avait considéré que la famille pourrait prendre la décision de quitter temporairement la Belgique pour se rendre en Géorgie et elle avait conclu à l’absence de violation de l’article 8.
Sur ce point, l’arrêt de Grande Chambre conclut qu’il appartenait aux autorités belges d’examiner si, eu égard à la situation concrète du requérant au moment du renvoi, on pouvait raisonnablement attendre de la famille qu’elle le suivît en Géorgie ou si, dans le cas contraire, le respect du droit du requérant au respect de sa vie familiale exigeait qu’il fût autorisé à séjourner en Belgique pour le temps qui lui restait à vivre.
En l’espèce, la Cour a estimé que, si le requérant avait été éloigné vers la Géorgie sans évaluation desdites données, il y aurait également eu violation de l’article 8 de la Convention.
Arrêt B.V. c. Belgique du 2 mai 2017
La requérante se plaint de ne pas avoir bénéficié d’une enquête complète et exhaustive pour se plaindre des viols et de l’attentat à la pudeur qu’elle dit avoir subis.
La Cour constate que lors du dépôt de plainte par la requérante en septembre 1998, aucune mesure adéquate n’a été prise pour s’enquérir de la crédibilité de cette dernière, avant le classement sans suite de cette plainte.
La Cour observe que l’ensemble des mesures d’investigation ordonnées ensuite dans le cadre de l’instruction postérieurement à la constitution de partie civile de la requérante, le 14 février 2002, ont été réalisées tardivement, après plusieurs années, et sans qu’un plan d’enquête cohérent tendant à la recherche de la vérité ne puisse s’en dégager. 68. Aux yeux de la Cour, l’enquête ne peut, dans ces conditions, pas passer comme ayant été menée de façon sérieuse et approfondie.
La Cour estime que la passivité des autorités compétentes, le retard et le manque de coordination dans la réalisation des mesures d’investigation exécutées ont en effet compromis l’efficacité de l’enquête, l’écoulement du temps étant au demeurant susceptible d’avoir une incidence sur le caractère probant des témoignages et partant sur les possibilités s’offrant à ces autorités d’établir les circonstances des actes dont il s’agit.
La Cour estime que les autorités compétentes n’ont pas usé de toutes les possibilités qui s’offraient à elles pour établir lesdites circonstances.
La Cour conclut par conséquent à la violation du volet procédural de l’article 3 de la Convention.
*
Les violations de l’article 6 de la Convention concernent, l’une, le formalisme excessif (Arrêt MIESSEN c. Belgique), l’autre la durée excessive d’une instruction pénale (Arrêt J.R. c. Belgique du 24 janvier 2017).
Arrêt MIESSEN c. Belgique
Au cours de la nuit du 18 au 19 décembre 2003, le requérant fut victime d’un acte intentionnel de violence sans que l’auteur ne pût être appréhendé.
Par courrier du 14 mars 2007, le procureur du Roi de Bruxelles informa le requérant qu’il ne disposait pas d’assez d’éléments pour entamer des poursuites, mais que l’information judiciaire se poursuivait.
Par courrier du 14 janvier 2008, le procureur du Roi de Bruxelles informa le requérant que l’affaire avait été classée sans suite.
En date du 13 août 2009, le requérant introduisit auprès de la Commission pour l’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence et aux sauveteurs occasionnels une demande en vue de l’obtention d’une aide financière.
Le 14 décembre 2009, le procureur général près la cour d’appel de Bruxelles transmit à la commission le dossier répressif demandé par elle en précisant que « le dossier a été classé sans suite le 16 juin 2004 pour signalement du suspect, K.M., qui n’a pas été reconnu formellement par la victime ».
Dans un avis du 25 mars 2010, le délégué du ministre de la Justice proposa de déclarer la demande du requérant recevable étant donné qu’il ne pouvait pas savoir que le délai de trois ans était dépassé au vu des informations contradictoires fournies par le parquet. Il proposait également de déclarer la demande partiellement fondée.
Par décision du 14 septembre 2010, la commission déclara la demande du requérant irrecevable pour ne pas avoir été introduite dans le délai de trois ans à partir de la décision de classement sans suite du 16 juin 2004.
Le 18 octobre 2010, le requérant saisit le Conseil d’État d’un recours en cassation. Il se plaignait notamment d’une motivation « quasi inexistante » en ce qu’elle ne rencontrait pas l’argument basé sur les informations contradictoires fournies par le parquet.
A la suite du mémoire en réponse déposé par l’État belge, le requérant déposa son mémoire en réplique qui reprenait le contenu de sa requête initiale.
Par arrêt du 1er décembre 2011, le Conseil d’État déclara le recours du requérant irrecevable au motif qu’en l’espèce, le mémoire en réplique se bornait à reproduire la requête, sans chercher à répondre aux arguments de la partie adverse, de sorte qu’il ne répondait pas au vœu de l’article 14, alinéa 3, de l’arrêté royal du 30 novembre 2006 déterminant la procédure en cassation devant le Conseil d’État.
Le requérant se plaint que le Conseil d’État a porté atteinte au droit d’accès à un tribunal de deux manières : d’une part, par une application excessivement formaliste de l’article 14, alinéa 3 de l’arrêté royal du 30 novembre 2006 régissant la procédure en cassation administrative devant le Conseil d’État, il a rejeté le mémoire en réplique ; d’autre part, par ce rejet, il n’a pas permis au requérant de voir la décision de la commission annulée et l’a privé de l’ultime chance de voir une juridiction statuer sur sa demande en indemnisation.
La Cour n’est pas convaincue que le respect de la condition imposée, à savoir celle d’inclure dans le mémoire en réplique une réponse aux arguments de la partie adverse, ait été indispensable pour que le Conseil d’État puisse exercer son contrôle dans le cas d’espèce, même de manière simplifiée. À cet égard, elle constate que les développements des moyens invoqués par le requérant dépassaient à peine une page, que le contenu du mémoire en réplique était identique à celui de la requête en cassation, et que ces moyens avaient été examinés par l’auditorat dans son rapport écrit. Dans ces circonstances, la Cour considère que la lecture du seul mémoire en réplique aurait suffi au Conseil d’État de prendre connaissance de « l’ensemble des arguments » du requérant et de statuer au vu d’un seul acte de procédure.
La Cour estime que l’interprétation particulièrement stricte par le Conseil d’État de l’article 14, alinéa 3 de l’arrêté royal du 30 novembre 2006 a restreint de façon disproportionnée le droit du requérant à voir son recours en cassation examiné au fond et, partant, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Arrêt J.R. c. Belgique du 24 janvier 2017
Le 10 septembre 2003, le fil du requérant signala à la police qu’il venait de tuer sa mère, laquelle était séparée du requérant.
Au cours de l’instruction, le fils u requérant accusa son père d’être le commanditaire de cet homicide. Le 3 mai 2004, le requérant fut placé sous mandat d’arrêt et il fut libéré par un arrêt du 21 mai 2004 de la chambre des mises en accusation de Mons.
Par un arrêt du 12 décembre 2014, la chambre des mises en accusation annula certaines pièces de la procédure, mais refusa de déclarer les poursuites à l’égard du requérant irrecevables. Quant à l’argument tiré du dépassement du délai raisonnable, elle le rejeta.
Par un arrêt du 12 mai 2016, la chambre des mises en accusation, estimant qu’il n’existait pas de charges suffisantes à l’encontre du requérant, ordonna le non-lieu. La question du délai raisonnable ne fut plus évoquée.
Le requérant se plaint de la durée excessive de l’instruction dans le cadre de la procédure menée contre lui.
La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le caractère raisonnable de la durée d’une procédure doit s’apprécier suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères suivants : la complexité de l’affaire ainsi que le comportement du requérant et des autorités compétentes. En outre, seules les lenteurs imputables à l’État peuvent amener à conclure à l’inobservation du délai raisonnable
La Cour indique que l’article 6 § 1 astreint les États contractants à organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs cours et tribunaux puissent remplir chacune de ses exigences, notamment celle du délai raisonnable.
Or elle constate que l’instruction a connu plusieurs périodes de ralentissement voire de stagnation : au début de l’enquête entre 2004 et 2006, lors de la mise en route de l’expertise systémique entre 2008 et 2010, ainsi qu’entre 2010 et 2014, période durant laquelle seule la commission rogatoire fut menée à bien (voir paragraphes 9?20, ci-dessus)
La Cour conclut que la complexité de l’instruction et le comportement du requérant n’expliquent pas à eux seuls la longueur de la procédure ; la cause majeure de celle-ci réside dans la manière dont les autorités ont conduit l’affaire et, partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
*
L’Arrêt Kalnéniené c. Belgique du 31 janvier 2017 constate une violation de l’article 8 de la Convention, consacrant le droit au respect de la vie privée et familiale.
Le 13 juin 2005, le juge d’instruction du tribunal de première instance de Bruxelles délivra un mandat de perquisition afin de procéder à une perquisition à l’adresse où résiderait le dénommé [J.R.], dans le but d’y rechercher et de saisir tous les éléments et/ou objets qui ont trait à la participation à une organisation criminelle et traite d’êtres humains.
L’immeuble d’habitation concerné comporte dix appartements distincts sur quatre étages. L’appartement de J.R. se trouve au rez-de-chaussée, celui de la requérante au deuxième étage.
Les officiers de la police judiciaire décidèrent de leur propre chef de procéder à la perquisition de l’appartement de la requérante. Ils y saisirent des notes, des cahiers, de l’argent, des téléphones portables, des passeports et d’autres documents.
La requérante rapporte que, lors des interrogatoires de police, elle fut confrontée aux éléments de preuve obtenus lors de la perquisition, ce qui l’amena à avouer les faits reprochés.
La chambre des mises en accusation estima que l’irrégularité de la perquisition et le fait de ne pas écarter ses résultats du dossier n’empêchaient pas qu’un procès équitable puisse être garanti à la requérante.
Renvoyée devant le tribunal correctionnel, la requérante fut condamnée le 21 novembre 2006 par la cour d’appel de Bruxelles, notamment à une peine d’emprisonnement de cinq ans.
La requérante allègue que la perquisition ayant eu lieu à son domicile sans mandat du juge d’instruction constitue une violation de son droit au respect de sa vie privée et de son domicile tel que protégé par l’article 8 de la Convention.
Vu l’importance des droits garantis par l’article 8 de la Convention et de l’ingérence que constitue une perquisition dans ce droit, la Cour ne saurait accepter qu’un mandat de perquisition soit interprété de manière aussi extensive comme s’il avait été délivré pour un immeuble entier constitué de plusieurs logements et occupé par de multiples personnes y ayant leur domicile, sauf motivation particulière du juge d’instruction.
La Cour relève que l’article 89bis CIC prévoit qu’une perquisition ne peut être effectuée par un officier de police judiciaire que si celui-ci dispose d’un mandat exprès du juge d’instruction et que tel n’était pas le cas en l’espèce, de sorte qu’il n’y avait pas de base légale à la perquisition litigieuse, et que celle-ci n’était dès lors pas « prévue par la loi ».
Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
Yves Oschinsky, Président de l’Institut des Droits de l’Homme du barreau de Bruxelles