À ceux qui pensent qu’être avocat c’est chercher la vérité, y compris la sienne, il (il s’agit de François Gibault) répond que cette dernière « n’existe pas », tout n’étant qu’« inventions accumulées, mensonges, affabulations, rêves insensés, espérances trahies, rien d’autre que des portes qui s’ouvrent sur pas grand-chose et qui se referment sur rien ».
Belle introduction à ce récit qui est sous-titré La véritable histoire des manuscrits retrouvés.
L’histoire est connue. Il y a quelques années, les héritiers d’une famille de résistants prennent contact avec le journaliste Jean-Pierre Thibaudat, dont la mère a également été une grande résistante. Ils souhaitent lui remettre une impressionnante (plus de 6000 pages) cargaison de feuillets manuscrits par Céline, comprenant plusieurs romans inédits, une version complète de Casse-pipe, dont on ne connaissait que quelques pages, des correspondances, une version alternative de Mort à crédit et un « dossier juif » confectionné par Céline dans la perspective de l’écriture de ses immondes pamphlets Bagatelles pour un massacre, Les beaux draps et L’école des cadavres (je dois à la vérité de dire que je ne les ai jamais eus en main si bien que j’emprunte, mais sans grande crainte, le qualificatif « immonde » à Emmanuel Pierrat). Ces documents, Céline les avait abandonnés dans l’appartement qu’il occupait à Paris lorsque, à la libération, il prit la fuite pour le Danemark.
Pourquoi Jean-Pierre Thibaudat ? Parce qu’il est journaliste et qu’ils souhaitent bénéficier du secret des sources. Et aussi parce qu’ils lui font une confiance suffisante pour lui demander de conserver ce trésor par devers lui jusqu’à la mort de la veuve de Céline, Lucette Destouches, car ils ne souhaitent pas que celle-ci bénéficie, en aucune façon, des profits qui pourraient être tirés de ces manuscrits. Jean-Paul Thibaudat les conservera donc plus longtemps qu’il ne le pensait car Lucette Destouches vivra jusqu’à l’âge de 107 ans, ne décédant qu’en 2019. De quoi laisser au dépositaire de ce trésor le temps de le déchiffrer, de l’inventorier et d’en recopier de grandes parties…
Une fois le décès survenu, comment restituer ce trésor ? C’est dans cette perspective qu’il consulte Emmanuel Pierrat. On imagine aisément la surprise de ce dernier, voyant débarquer dans son cabinet un journaliste muni de deux énormes valises, puis les ouvrant pour en extraire les fameux feuillets.
La décision est vite prise de prendre contact avec les héritiers de Céline et Lucette, l’avocat et écrivain François Gibault et Véronique Chovin, une ancienne élève de Lucette. L’idée est de leur proposer des modalités pour que le « trésor » qu’ils détiennent soit, sous une modalité ou une autre (Bibliothèque nationale ? Institut Mémoires de l’édition contemporaine ?), mis à la disposition de tous. Car si l’homme Céline peut être considéré comme un fieffé salopard, il est peu discutable que certains de ses écrits comptent parmi les monuments de la littérature du XXe siècle. Et nos protagonistes, comme moi d’ailleurs, estiment qu’on ne peut jeter des chefs d’œuvre aux oubliettes parce que leur auteur a, par ailleurs, commis des actes inadmissibles. La solution passe par la contextualisation.
Mais les choses ne se passent pas comme espéré. Véronique Chovin exige la restitution des manuscrits sans condition et, très vite, une plainte est déposée (contre X, bien sûr, mais en citant quand même Jean-Paul Thibaudat et Emmanuel Pierrat) pour recel. La thèse des plaignants est que les manuscrits ont été volés par un certain Oscar Rosembly, qui fut un temps le comptable de Céline. Lucette et Véronique Chovin auraient d’ailleurs été sur le point de se faire restituer les documents, peu avant la mort de Lucette, mais la famille Rosembly se serait rétractée au dernier moment.
Le livre d’Emmanuel Pierrat est une plaidoirie, voire un réquisitoire contre François Gibault et, surtout, Véronique Chovin. Il ne se prive d’ailleurs pas de les égratigner, et même de les éreinter, parfois avec violence, parfois en mettant en exergue leurs vies, professionnelles et privées, avec une certaine complaisance. Il est vrai que l’attaque initiale avait été sauvage.
Il serait intéressant de prendre connaissance de la version de François Gibault et Véronique Chovin. Qui sait, peut-être un jour ?
Mais un élément me trouble plus que cette guéguerre. L’on apprendra in fine que ce ne sont pas les héritiers de Rosembly qui ont remis le trésor à Jean-Paul Thibaudat, mais bien ceux d’Yvon Morondat, un compagnon de la libération qui s’était vu attribuer l’appartement déserté par Céline lors de sa fuite. Or Céline a su que Morondat détenait ses manuscrits et, lorsque celui-ci lui a proposé de les lui restituer (contre remboursement des frais exposés pour leur gardiennage), il a refusé avec rage, prétendant qu’il ne s’agissait que de brouillons sans valeur, et qu’il ne s’agissait pas des versions plus élaborées qu’il recherchait et qui lui avaient été volées.
Mais alors, est-on sûr que les ouvrages qui nous sont aujourd’hui livrés avec grand tapage sont les versions « terminées » que Céline recherchait ? Celles-ci dorment-elles encore quelque part ? Pouvons-nous attendre à ce qu’un jour réapparaissent des versions plus « épurées » (c’est le mot qu’utilisait lui-même Céline) de ces œuvres ? Y aura-t-il un jour une troisième version des Œuvres complètes de Céline dans La Pléiade (peut-être, d’ailleurs, rédigée avec un plus grand soin que la deuxième, ajouterait Emmanuel Pierrat, qui n’est pas tendre avec le travail éditorial qui a présidé à la deuxième édition) ?
L’histoire de Céline n’est donc pas terminée.
Céline l’avait d’ailleurs prédit dans le Voyage : « La vérité, c’est une agonie qui n’en finit pas. La vérité de ce monde, c’est la mort. Il faut choisir, mourir ou mentir. Je n’ai jamais pu me tuer moi ».
Patrick Henry,
Ancien Président