« Je me rendais compte à quel point l’Europe ne supporte pas la brutalité. Les baptêmes d’étudiants sont encadrés. Les délinquants sont dressés au moutonnage carcéral. Il faut éteindre les guerres. La religion doit être douce, apporter la paix.
Nous sommes devenus des peuples de vacanciers. Ahuris par les 7 janvier et 13 novembre 2015 à Paris, le 22 mars 2016 à Bruxelles.
Bien que l’on se doute que cette férocité se tapit encore chez ceux que nous ne croyons pas entrés dans la civilisation, nous pensons que notre évangélisation humaniste triomphera de tout.
On envoie des « missi dominici » bienveillants.
Ma vie a été consacrée à cette vocation. Avocat en province pour sauver les petites frappes. Avocat sans frontières pour défendre les génocidaires. Diplomate international pour apaiser les conflits. Un pompier avec un seau d’eau. »
Après trois beaux recueils de nouvelles, Jean-Marc Rigaux a fait le grand saut et nous offre un premier roman atypique. Une sorte de thriller philosophique et hybride.
Cela commence dans les alcôves des fédérations sportives internationales, ici celle de l’athlétisme. Cela se termine dans les profondeurs de l’Afrique.
Le lien entre ces deux mondes ? La course bien sûr, et la plus belle d’entre elles, le marathon. 42 kilomètres, 195 mètres.
La course, elle est omniprésente dans ce livre. Elle scande l’intrigue, égrenant les 42.195 mètres du marathon, au rythme des pas qui s’accumulent, des sensations qui se succèdent, des endorphines qui se libèrent.
L’intrigue : Kipjiru[1], champion olympique 2012 et champion du monde 2013 du marathon, a été assassiné. Par qui, pourquoi, pour quoi ? Y a-t-il un lien avec un scandale du dopage ?
Le dopage génétique ne constituait-il pas une source potentielle d’égalité, gommant les différences génétiques si on le voulait ? Ne devait-on pas le haïr pour les raisons opposées à celles pour lesquelles on le honnissait publiquement ?
Au lieu de le dénigrer pour ses filouteries, ne fallait-il pas plus se méfier de cet araseur de différences, de ce sculpteur d’uniformité, de ce zélote de la cité idéale de Platon ou chacun serait façonné dans le même moule d’airain pour un rôle défini par avance ?
Philosophique, je vous disais.
Un ex-avocat, ancien d’Arusha, devenu diplomate, est chargé, contre une forte rémunération, d’une mission d’enquête discrète. Elle le mènera de Monaco à Nairobi, de Londres à Kampala, pour se terminer sur les hauteurs du Mont Elgon, patrie des Kalenjins, entre Kenya et Ouganda.
L’intrigue n’est sans doute pas ce qu’il y a de plus important. Il subsistera d’ailleurs de fameuses zones d’ombre. Comme dans la vraie vie. Il y a d’ailleurs un mystère dans ce livre. Du chapitre 11, on passe au chapitre 12bis. Clin d’œil à Harry Potter ? Qu’est devenu le chapitre 12 ?
- Vous ne savez pas qu’il y a eu un génocide au Rwanda en 1994 ?
- Non. Je ne connais qu’un… Comment dites-vous ?... Un génocide ? C’est celui des Luos sur les Kikuyus. En 2008. A Eldoret. Ma famille y a péri. On a parlé de Cour Internationale. Là-bas. En Europe. On n’est pas au courant de ce qui s’y passe. Qui va être puni ? En attendant, ici, je croise tous les jours les assassins de ma famille. Ils se promènent. Ils rient. Ils boivent. Ils vont à l’office du dimanche. Certains conduisent des voitures. Tout le monde sait qui a fait quoi. On se tait. Ça recommencera un jour.
L’Afrique, c’est un autre monde. Qui, pourtant, fait aussi partie du nôtre.
Patrick Henry
Ancien Président
[1] Ne cherchez pas Kipjiru dans les palmarès. Il n’a jamais existé. En revanche, c’est bien un Ougandais, appartenant, comme Kipjiru, à l’ethnie des Kalenjins, qui a donné de très nombreux champions au Kenya, Stephen Kiprotich qui a remporté ces deux marathons.